top of page
Taper sur un ordinateur

    Rechercher 

 Retrouvez tous nos articles, évènements...
 

223 éléments trouvés pour «  »

  • Éclairage Covid-19 | Se nourrir au temps du confinement : Le cas de la commune de Plougonvelin (29)

    par Pauline Beaumont, École Normale Supérieure, Paris L’épidémie de Covid-19 a eu un lourd impact sur nos habitudes, notamment sur notre alimentation et approvisionnement. Les commerçants et les habitants de la petite commune bretonne de Plougonvelin (Finistère) racontent leur expérience, et ses conséquences sur leurs perceptions de leur environnement. Résultats d’une étude locale, reflétant les implications concrètes des directives nationales sur un système alimentaire urbain, et sur le quotidien et l’état d’esprit de personnes confinées. Pauline Beaumont est élève à l’École Normale Supérieure de Paris. Elle réalise cette étude pour le Centre de formation sur l'environnement et la société (CERES). Ce texte n'engage que son auteur et pas l'ensemble du collectif qui rédige les bulletins. L'épidémie de Covid-19, qui sévit en France depuis le mois de janvier 2020, a entraîné la prise de mesures sanitaires sans précédent. Du 17 mars au 11 mai 2020, la population a été « confinée », c’est-à-dire que tous les déplacements sur le territoire ont été limités, et devaient être justifiés par des motifs professionnels ou personnels impérieux. À cela s’est ajoutée la nécessité de mettre en place des «gestes barrière» hygiéniques et une distanciation sociale stricte, pour éviter que ne se diffuse l’épidémie. Ces mesures ont eu un impact considérable sur le quotidien des Français, mais aussi, de manière générale, sur l’ensemble des échanges inter et intra étatiques — et notamment sur les échanges alimentaires. Tous les continents sont touchés par la maladie, et les réponses politiques, quoique diverses, vont le plus souvent dans le même sens : vers une incitation des citoyens à rester chez eux. Ainsi, quelques grandes tendances ont pu être mises en lumière dans différents pays. Par exemple, la FAO a publié un rapport intitulé Coronavirus. Food Supply Under Strain. What to do ?, où l’on trouve cette remarque : Market witnessed an increase in both staple food and ready-to-eat food that can be stored and also strong increase on e-commerce. In Italy, demand for flour increased by 80%, canned meat by 60%, canned beans by 55%, and tomato sauce by 22%. These trends lead to difficulties to sell produce, loss of perishable produce and loss of income. Also, it witnessed an increase in e-commerce up to five times fold. Closure of farmers’ markets, preventing smallholder farmers to direct sell to consumers, leading to loss of income, loss of perishable produce and accumulation of non-perishable produce. (1) Je la cite in extenso, parce qu’elle souligne un phénomène global, et que les éléments observés se retrouvent en France au même titre que dans les autres pays confinés. Pour paraphraser le titre d’un article du chercheur Nicolas Bricas, paru le 16 mai dans Sciences Avenir : « Le Covid-19 révèle un système alimentaire mondial malade » (2) . Plus encore que le fond de cet article, ce qui nous intéresse ici c’est l’idée que l’épidémie agit comme « révélateur ». Révélateur de quoi ? Révélateur des difficultés liées à l’éclatement de la chaîne de production, certes, mais également des capacités d’adaptation des acteurs et des consommateurs. La demande alimentaire n’étant pas, en théorie, élastique, il est intéressant de regarder comment les systèmes alimentaires se sont organisé pour faire face au bouleversement de leur mode de fonctionnement habituel. Cette étude aurait pu être menée à plusieurs échelles : à l’échelle mondiale, à l’échelle nationale, à l’échelle urbaine, ou même à l’échelle individuelle. Nous avons choisi de nous intéresser à l’échelle d’une ville, petite, pour mener une enquête aussi complète que possible. Ainsi, notre terrain se situe à Plougonvelin, petite commune de Bretagne située dans le département du Finistère, qui compte 4 174 habitants selon le recensement de 2017. Elle se situe aujourd’hui dans un département dit « vert », donc l’un de ceux où la situation est la moins critique selon les données des urgences et des services de réanimation. Pourtant, c’est aussi dans cette petite ville qu’a été diagnostiqué le premier cas de Bretagne, le 27 février 2020 (3). On a pu donc constater une inquiétude plus forte dans les premiers temps, mais aussi un apaisement des esprits au fil des semaines. La commune compte suffisamment de commerces pour que ses habitants puissent, en théorie, ne pas avoir besoin de la quitter pour s’approvisionner. Une petite dizaine d’enseignes a maintenu une activité, même réduite, pendant au moins une partie du confinement : deux boulangeries, une épicerie, un supermarché, un caviste, une crêperie, une biscuiterie, deux restaurants. À cela s’ajoutent deux agriculteurs, qui vendent directement leurs produits aux consommateurs, et un marché dominical. Ces informations étaient toutes relayées par la mairie, dans le bulletin communal hebdomadaire, Les Échos de Plougonvelin (4). Tous ces lieux ont dû adapter leurs pratiques, pour la sécurité des salariés et des clients, mais ils sont parvenus à rester ouverts, garantissant l’approvisionnement alimentaire régulier des habitants de la ville. Cette enquête a été menée via deux moyens essentiellement. Le premier était des entretiens, écrits et oraux, avec les commerçants, et avec la Mairie de Plougonvelin - notamment le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS). Le second était deux questionnaires adressés aux habitants de la ville sur les réseaux sociaux, et relayés par l’association loi 1901 Kafé Citoyen (5), qui organise des débats démocratiques au sein de la commune. Le premier questionnaire, envoyé au milieu du confinement, le 8 avril, cherchait à connaître les réactions des habitants à chaud, et a reçu 127 réponses. Le second, envoyé le 16 mai, était davantage un appel à témoignages rétrospectif, et il a reçu 57 réponses. Même s’il est clair qu’il faut traiter les informations collectées avec beaucoup de prudence, les échantillons n’étant pas représentatifs (voir annexe), quelques grandes tendances se dégagent. Celles-ci rejoignent les résultats de l’enquête de plus grande ampleur, « Manger au temps du coronavirus », menée par le Réseau Mixte Technologique Alimentation Locale, réseau d’experts issus de la recherche et de la formation, financé par le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, dont les résultats sont consultables sur leur site internet (6). Ainsi par exemple, on a pu remarquer des comportements similaires dans plusieurs endroits du territoire, comme la réalisation de stocks au début de la période et la préparation de plats plus élaborés qu’à l’habitude ; ou des réactions psychologiques (la peur, la démarche réflexive sur son alimentation). Il s’agit donc d’identifier des tendances, pour dégager des dynamiques, en se demandant comment les comportements en temps de crise pourraient donner lieu à une réflexion, voire à une réorganisation des systèmes alimentaires à l’avenir. Pour comprendre comment la commune de Plougonvelin s’est organisée face à l’épidémie de Covid-19, il faut commencer par rendre compte des mesures mises en place par les commerçants (producteurs, distributeurs et restaurateurs). Dans un second temps, on étudiera, en s’appuyant sur les réponses apportées aux questionnaires, les comportements des habitants plougonvelinois. De façon générale, on note une volonté de continuer à vivre en conservant au maximum ses habitudes. Pourtant, beaucoup font aussi état d’une réflexion aboutissant sur une remise en cause de leurs modes de vie, et d’un réel désir de changement. C’est heureux, car pour citer le sociologue et philosophe des sciences Bruno Latour, invité sur la Matinale de France Inter le 3 avril dernier : « Si on ne profite pas de cette situation incroyable pour changer, c’est gâcher une crise » (7). La nécessaire adaptation des commerçants L’annonce du confinement a dans un premier temps plongé les commerçants dans une profonde incertitude quant aux modalités d’ouverture. Tous ont donc commencé par liquider leurs stocks de produits périssables, grâce à des promotions, ou bien de façon non marchande, en faisant des dons à des associations caritatives. Par la suite, une fois les modalités du confinement précisées, il a fallu composer avec les règlements et les désirs des salariés, pour apporter une réponse satisfaisante. Pour les producteurs, l’activité continue Pour la boulangerie Laot, la question de fermer les portes ne s’est jamais vraiment posée. Mélanie Laot, la patronne, l’énonce simplement : « Le confinement a commencé un mardi midi. On est restés ouverts toute la journée ». Elle ajoute que les mesures sanitaires n’ont pas été difficiles à imposer, dans un secteur où les normes d’hygiène sont strictes, et où les cuisines étaient donc déjà équipées en blouses, masques et gants. Les seules évolutions notables ont été l’installation de vitres en plexiglas pour protéger les vendeurs, et la mise en place d’un service de livraison pour éviter que les habitants plus vulnérables ne se rendent à la boutique. Le chiffre d’affaires n’a pas été très différent de celui des années précédentes, même si les ventes globales ont baissé de 31,33% — signe que les clients ont préféré espacer leurs visites pour limiter le risque de contagion (8). La boulangerie est donc restée à Plougonvelin un lieu jugé nécessaire par ses habitants. Selon un meunier, fournisseur de la boulangerie Laot, les boulangeries de villages et de villes ont dans l’ensemble mieux tenu dans le confinement que les boulangeries des zones commerciales, parce qu’elles sont des lieux familiers et de sociabilité. La commune de Plougonvelin compte quelques autres activités de pure production, notamment de fruits et de légumes. Ainsi, Nicolas Magueur, propriétaire du Potager de Saint Mathieu, et producteur de légumes certifiés agriculture biologique, a fait le choix de se concentrer sur les paniers de légumes qu’il propose en partenariat avec l’AMAP Penn Ar Bed. Cela a suffi pour lui permettre d’écouler ses stocks chaque semaine, et de se concentrer sur sa propre production, comme la saison est une période relativement creuse. Il a arrêté temporairement le système d’achat-revente avec des grossistes et a mis sa salariée, chargée habituellement de la vente (directe et sur les marchés), au chômage partiel. Sa seule inquiétude est que ses clients aient changé d’habitude au moment de son retour sur les marchés, et décident d’aller se fournir chez d’autres producteurs. Mais pour lui, « en pesant le pour et le contre », il semblait préférable de ne pas prendre le risque de contamination en restant sur les marchés. La fermeture des écoles a été problématique, en raison de son contrat avec les cantines scolaires ; mais il est parvenu à écouler son stock dans les paniers de l’AMAP. Un autre producteur de légumes de la commune, Ty Gwen Légumes, a souffert également de la fermeture de l’un de ses débouchés : le restaurant de la Pointe Saint Mathieu, qui lui permet normalement de réaliser 50 % de son chiffre d’affaires, avec ses 150 couverts quotidiens. Pourtant, cette perte importante a été compensée par une augmentation forte du nombre de clients en vente directe en plein air, qui ont choisi de privilégier une agriculture locale au temps du confinement. Ce point sera détaillé plus bas. L’activité de vente a donc dû être modifiée, voire a été arrêtée, dans certains secteurs. Pour ceux qui cumulent activité de production, activité de vente directe et activité d’achat-revente, comme La Ferme de Penzer, située dans la commune voisine du Conquet, il a aussi fallu changer de mode de fonctionnement. Ainsi, elle a fermé ses activités de vente directe, sans pour autant cesser de vendre ses produits. Elle a mis à profit sa double activité de revendeur et de producteur, pour mettre en place dès la première semaine un système de paniers, à récupérer en drive tous les week-ends, à un horaire précis, afin d’éviter une trop grande affluence. Dans ce panier, on pouvait trouver différents produits, de la ferme (légumes de saison, fruits), ou de producteurs locaux (œufs, rillettes de canard...). Un partenariat a également été mis en place avec la crêperie La Crêpe Dantel’. Si toutes les activités de vente ont été impactées par l’épidémie du Covid-19, les commerçants revendant directement leur propre production sont ceux qui en ont le moins souffert. Il faut également souligner que la mairie s’est battue pour que le marché de la ville, limité à l’alimentaire, obtienne l’autorisation d’ouvrir. Au départ, seuls les producteurs locaux étaient autorisés, mais le préfet a finalement accepté que les ambulants soient présents. Six commerçants étaient donc là tous les dimanches — contre normalement dix en cette saison. Très peu fréquenté les premières semaines, sans doute en raison de la crainte des habitants, il l’a été de plus en plus chaque dimanche tout au long du confinement. Le dernier week-end a été marqué par une grande affluence, et parfois par un oubli assez manifeste des gestes-barrières. Ainsi le fromager faisait-il goûter les fromages sans trop de ménagement aux clients qui attendaient dans la file... Entre clients et commerçants, les « gestes barrière » La Biscuiterie de la Pointe Saint Mathieu propose une double activité de confection de biscuits et autres spécialités locales, et de revente de produits locaux (confitures, thés, cafés, souvenirs). Ce commerce proposant essentiellement des produits « non essentiels », sa fréquentation a considérablement diminué, de 2 000 clients par mois à une petite centaine cette année. L’équipe a dû geler les embauches coutumières d’avril (deux saisonniers), et a arrêté de passer des commandes auprès de leurs fournisseurs, pour se concentrer sur l’activité de production (gâteaux bretons, kouign-amanns). La mise en place assez tardive d’un système de livraison dans la commune et les alentours n’a pas rencontré de « réelle demande ». Par ailleurs, la faible affluence en boutique (« rarement plus de deux personnes à la fois ») a permis de respecter les normes de sécurité assez facilement. Mais pour d’autres, la question de la sécurité a été plus ardue, et c’est le cas notamment dans la grande distribution. La commune compte un assez grand Intermarché, très utile à ses habitants — 91,3% des sondés ont affirmé s’y rendre au moins ponctuellement. Frédéric Vallet, directeur commercial, insiste sur ce point : il ne pouvait pas fermer ses portes, car « tout le monde a immédiatement compris la nécessité d’un commerce alimentaire ». Sa priorité a été de mettre en place des mesures d’hygiène, avec vitres en plexiglas, masques, et gel hydro-alcoolique pour protéger — et rassurer — les salariés. Il a pensé, un temps, à réserver l’accès du supermarché aux personnes âgées le matin, pour limiter l’affluence ; mais a renoncé, préférant inviter les gens à échelonner davantage leurs passages sur la journée entière. Malgré des difficultés pour se fournir en denrées « basiques » (notamment la farine), les prix de 10 000 produits ont été bloqués, et les pénuries redoutées au début du confinement ont pu être évitées. Le nombre de clients sur la période a diminué par rapport aux années précédentes, mais le panier moyen a augmenté, signe là aussi que les gens cherchaient à espacer au maximum leurs visites. Il convient aussi d’évoquer la petite épicerie, Le RDV des Quatre Saisons, spécialisée dans les produits bio et locaux, et arrivée relativement récemment dans la commune. Elle aussi a constaté une augmentation globale du nombre de clients (24,4% des sondés ont dit s’y rendre), mais elle a donné assez peu de précisions sur sa situation. On peut néanmoins rapprocher son cas d’un témoignage rapporté dans l’étude « Manger au temps du Covid- 19 », déjà évoquée. S’agissant d’une épicerie récemment ouverte dans un village de 500 habitants en Bretagne, on trouve ce commentaire : Nous nous sommes posé la question (pas très longtemps) si nous restions ouverts mais il allait de soi que l'épicerie était "utile" à maintenir. C'est typiquement ce genre de lieux qui sont pour nous indispensables en temps de crise comme celle-là [...] en tant "qu'indicateur de santé mentale" du village : depuis 9 mois, nous avons développé une relation de confiance et d'interconnaissance avec les habitants et dans ce contexte anxiogène, ils aiment à venir chez nous pour faire leurs courses tranquillement, avoir quelqu’un à l'écoute, pouvoir se confier si besoin, croiser d'autres habitants et prendre des nouvelles, rester dans la vie active du village. C’est un témoignage important, car il insiste sur la dimension sociale (et psychologique) des commerces. Rester ouverts, malgré les difficultés que cela comporte, c’est aussi maintenir un lien avec les habitants, et les rassurer. L’épicerie constituait une alternative « à taille humaine » à l’Intermarché, et à ce titre, il était utile qu’elle reste ouverte. Ce sentiment est d’ailleurs également décrit dans les questionnaires envoyés aux habitants. Ainsi, une femme confinée écrit : « Distanciation sociale est de toute évidence un lourd impact dans la relation humaine, éloignement social !!!. D’autant plus ressentie [sic] pour ma part en supermarché soit absence de chaleur, de sourires et même d’échanges verbales [sic] ». Elle conclut d’ailleurs qu’après le confinement, elle gardera pour habitude de privilégier et de soutenir « les produits locaux, de proximité ». Enfin, le type de commerce alimentaire dont l’activité a été la plus impactée par le confinement est bien sûr les restaurants, qui n’ont toujours pas obtenu l’autorisation d’ouvrir à l’heure où nous écrivons ces lignes. La commune de Plougonvelin en compte trois qui ont fait le choix de maintenir une activité : une pizzeria, un foodtruck et une crêperie. Tous ont dû s’adapter, avec plus ou moins de succès, et sont parvenus à changer leurs habitudes pour se conformer aux exigences de lutte contre l’épidémie. La pizzeria Ti Mad Eo, qui propose également quelques plats cuisinés, et la crêperie La Crêpe Dantel’ n’ont plus proposé que de la vente à emporter et de la livraison, sur des plages horaires étendues. Le foodtruck Le Ptit Breizh n’a pas eu à réinventer fondamentalement son mode de restauration. Il est d’ailleurs celui qui s’est sorti le mieux de la crise, et il raconte même avoir vu plus de clients qu’à l’habitude : « Pas de concurrence directe au niveau de l’emporté, tous les restaurants autour étaient fermés, donc les gens étaient contents. » Les perturbations de la chaîne de commande Mais pour les restaurants, le vrai problème a été celui des fournisseurs. Si la crêperie dit n’avoir rencontré aucune difficulté de cet ordre, ne se fournissant qu’auprès de producteurs locaux, les deux autres enseignes racontent avoir dû résoudre des problèmes sur la chaîne de commande. Ainsi, le patron du restaurant et pizzeria Ti Mad Eo nous parle des nombreux manquements, et de ses journées passées au téléphone pour joindre les fournisseurs. Le jambon blanc et le fromage sont les produits les plus durs à trouver : les usines tournent au ralenti, les grossistes ont du mal à se ravitailler et les prix flambent. Il faut s’adapter en trouvant des producteurs locaux, et en créant de nouveaux contacts. Même problème pour le foodtruck Le Ptit Breizh : comme la restauration classique est à l’arrêt, il est souvent compliqué de trouver des fournisseurs prêts à livrer un restaurant seul. Chez Métro, les rayons sont vides, surtout au rayon frais. Les deux mettent cependant un point d’honneur à bloquer les prix, pour ne pas que les clients ressentent ces difficultés. La question des fournisseurs s’est aussi posée avec acuité à l’Intermarché, raconte Frédéric Vallet, notamment pour la farine. La crainte d’une pénurie de farine, une tendance nationale, est bien étudiée dans le deuxième rapport de l’étude « Manger au temps du Covid-19 », et rapportée dans de nombreux articles et reportages sur le confinement. Frédéric Vallet raconte que pendant un temps, il a même pensé à limiter le nombre de paquets de farine par personne et par jour — l’idée a été abandonnée, de peur que les gens ne reviennent quotidiennement. Un accord a finalement été signé avec une meulerie bretonne, qui ne livrait habituellement que les artisans boulangers. Même les paquets de 10 kg de farine sont achetés dans la journée de leur mise en rayon. Enfin, à la Cave de Kéruzas, cave à vin de la commune dirigée par Laurent Perschaud, les relations avec les fournisseurs ont dû être adaptées. Certains ont fermé dès le début du confinement, et n’ont pas rouvert ensuite. D’autres ont arrêté la livraison, notamment en raison du manque de salariés (recours au chômage partiel), ou de la fermeture de nombreux commerces. Avec ceux-là, il a fallu être «un peu débrouillard». Des livraisons s’improvisaient par exemple dans des parkings à l’air libre à Brest, à 20 kilomètres de Plougonvelin, dans le respect des normes de sécurité. Il était donc nécessaire de se réinventer, dans les comportements individuels comme dans les activités professionnelles, et ce à tous les niveaux de la chaîne de production et de commercialisation. Mais l’adaptation empirique des commerçants n’est pas la seule conséquence des dispositions légales et sanitaires mises en place pour endiguer l’épidémie. C’est aussi chez les clients, et chez les citoyens, qu’il faut chercher à dégager de grandes tendances, pour prendre la mesure du phénomène. S’adapter à un bouleversement profond des habitudes Ambiance générale : peur et incertitude La première tendance qu’on a pu remarquer chez les habitants de la ville, notée également par les commerçants chez leurs clients, est la peur, ancrée dans une grande incertitude. Celle-ci s’exprime de plusieurs manières : la peur de l’autre dans les commerces, la peur de sortir, la peur du manque, aussi. À la Cave de Kéruzas, le caviste raconte une dispute qui a éclaté lorsqu’un client en a accusé un autre de ne pas respecter les distances de sécurité. De même, le restaurant Le Ptit Breizh rapporte que de nombreuses personnes ont appelé, pour s’assurer que les vendeurs seraient équipés en masques et en gel hydro-alcoolique. Comme dans beaucoup d’autres endroits en France, la première réaction chez les consommateurs a été de faire des stocks. La première semaine, raconte Frédéric Vallet, les gens se ruaient vers les produits non corruptibles : les pommes de terre, les légumes surgelés, ou les pâtes. Certains tickets étaient alors très élevés, pouvant atteindre 500 € ou 600 €. Par la suite, dans une deuxième vague, ce sont les paquets de farine qui ont été pris d’assaut, notamment en raison de la recrudescence de la préparation de gâteaux et de pain à la maison. « Les ménages veulent limiter leurs sorties et réduire la fréquence d'achats extérieurs, y compris en boulangerie », analyse Stéphane Dahmani, chef économiste à l’Ania (Association nationale des industries agroalimentaires), dans un reportage pour France 3 – Régions (9). On a constaté à la même période une désaffection des boulangeries artisanales, notée dans le deuxième rapport de l’étude « Manger au temps du Covid-19 ». Cette tendance est reflétée par un tweet du ministre de l’économie Bruno Le Maire le 1er avril, se voulant rassurant au sujet des boulangeries : « Les boulangeries restent ouvertes pendant le confinement. J’invite tous les Français à acheter leur pain en boulangerie. La profession est fortement sensibilisée aux règles d’hygiène. Le pain est cuit à haute température, ce qui élimine le #Covid19 ». Autre conséquence de ce climat de peur : le recours massif à la livraison et au drive. Le magazine Libre Service Actualités (LSA), hebdomadaire analysant les tendances du commerce et de la consommation en France, en fait le constat dans son numéro du 20 mars : « Entre le 9 et le 15 mars, les ventes de drive ont augmenté de 61 % et l'e-commerce de 90 %. » Les trois premières semaines, « c’était de la folie », confirme Frédéric Vallet : les commandes en drive ont doublé. À tel point que certains habitants évitent le drive, car l’affluence en fait un lieu plus risqué que l’Intermarché lui-même, et que les produits manquent souvent. La fréquentation a baissé ensuite, pour se stabiliser à environ 30 % de plus qu’à l’habitude. Le témoignage d’une consommatrice rend compte de cette évolution : Au tout début, j'étais inquiète de devoir aller faire les courses et j'ai fait du drive. Mais finalement, je suis retournée dans le magasin en faisant très attention ». Selon une autre : « Je me suis mise au drive (pour la 1ère fois), mais du fait de la pénurie de certains produits, j'ai finalement continué à me rendre à l'intérieur du supermarché. Les restaurants font aussi le constat de cette inquiétude vis-à-vis des modes d’approvisionnement. Ainsi, le patron de Ti Mad Eo, le restaurant-pizzeria de la ville, reconnaît que les trois premières semaines ont été les plus complexes, comme les clients n’osaient pas venir jusqu’à son enseigne, même pour de la vente à emporter. Cette inquiétude s’est cependant dissipée à partir du mois d’avril. Mais la crainte, c’est aussi la peur des pénuries. Beaucoup de personnes notent le manque de produits de base au supermarché, comme les œufs, la crème, le beurre, le pain de mie, et évidemment la farine. Il arrive aussi que les produits habituels manquent : il faut alors se tourner vers des produits différents, sans que cela n’induise nécessairement de grands changements dans l’alimentation, si ce n’est parfois une augmentation du montant dépensé. Mais comme l’affirme une habitante : « “adaptation” est le nouveau mot in de la ménagère aujourd’hui ». Les pénuries sont plus fréquentes au début du confinement : selon Frédéric Vallet, il a fallu du temps pour que la chaîne de commande se réorganise. Un autre sondé en tire pourtant une conclusion plus pessimiste, et se dit « inquiet sur la connerie humaine qui a permis de vider certains rayons avant le confinement, alors que deux jours après c'est redevenu "normal" ». Pour se rassurer : conserver ses habitudes Il faut souligner que beaucoup des personnes interrogées disent que leur alimentation n’a pas changé pendant le confinement. Selon l’enquête «Covid-19 et systèmes alimentaires » (rapport 2), « pour les uns, le maintien de certaines habitudes alimentaires permet de garder des repères et contribue à la réassurance ». Ainsi, la tendance la plus représentée dans le premier questionnaire est « Je m’efforce de garder une régularité dans mes repas (horaires stables, repas sains) », choisie par 66 % des sondés. De même, dans le second questionnaire, 60 % des sondés déclarent qu’ils ont conservé au maximum leurs habitudes alimentaires. Souvent, c’est d’abord un changement quantitatif qui prime, et non un changement qualitatif. Ainsi cette femme, entrepreneuse, confinée seule avec plusieurs enfants, souligne que « le fait d’être tous présents augmente le nombre de repas et les quantités » – sans que cela change fondamentalement leurs habitudes, car elle s’est surtout efforcée surtout de maintenir une alimentation variée et équilibrée. De même, un père de famille confiné avec sa partenaire et leurs trois enfants, déclare : « Du fait que toute la famille soit à la maison, nous avons effectivement passé plus de temps en cuisine, sans changer nos habitudes de cuisiner "maison" ». Parfois pourtant, le changement de domicile induit un changement de régime, qui peut être désagréable, comme pour cette sondée, qui a souffert d’un « changement de régime alimentaire car retour dans ma famille. Beaucoup plus de viande (à chaque repas) et de matières grasses. Moins de légumes. » La question peut être plus compliquée, lorsque la personne confinée suit un régime spécial, et ne parvient pas à trouver les produits aussi facilement que d’habitude. C’est ce qu’on retrouve dans le témoignage d’une femme retraitée vegan. Ainsi, comme elle l’explique : « J’ai tout fait moi-même : pain sans gluten, lait soja, tofu, laits végétaux, yaourts végétaux, fromage soja à base de yaourts, gâteaux... il faut dire que je suis Vegan et que c’est difficile de trouver ces produits au supermarché de Plougonvelin ! ». Ce n’est pas radicalement nouveau pour elle, précise-t-elle : elle cuisinait déjà beaucoup, notamment à partir de produits de son propre potager. Pour autant, elle reconnaît en conclusion que son confinement a été douloureux : « J’ai très mal vécu ce sentiment d’être prisonnière et infantilisée ». Cette volonté de changer le moins possible ses habitudes alimentaires est présente chez des parents, qui veulent maintenir une alimentation saine pour leurs enfants ; mais aussi chez les personnes âgées. Ainsi, Christine Calvez, adjointe aux affaires sociales et vice- présidente du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de Plougonvelin, s’est déplacée pour aider les personnes vulnérables à faire leurs courses, et elle raconte des anecdotes savoureuses. Elle évoque par exemple ce couple, de 95 et 98 ans, qui lui commandait spécialement « pour trente et quelques euros de brioches » de la boulangerie du Conquet, tous les mardis. Même chose avec le vin : « Quand il n’y avait pas la bonne marque, ils râlaient ! ». Ou encore cet homme qui commandait tous les dimanches des huitres du marché ; qui a aussi demandé une bouteille de whisky, son « petit plaisir »... Pour se réconforter : l’envie de « se faire plaisir » Car dans cette période d’incertitude, le besoin de se « faire plaisir » se fait sentir. C’est vrai avec l’alcool : Laurent Perschaud, le caviste, insiste sur ce point : « J’ai jamais vu autant de clients au mois d’avril ». Il précise : « C’était la fête du cubi », notamment le cubi de rosé, et ça « c’était une tendance nationale ». Selon lui, c’est parce que les gens, confinés chez eux, ne s’embarrassant pas du standing des bouteilles en verre, boivent avant tout pour leur plaisir, mais dans des quantités plus abondantes qu’à l’accoutumée. Même discours au sein de la Biscuiterie de la Pointe Saint Mathieu : « Nous vendons principalement des biscuits et de la bière locale ». Marielle, la responsable magasin, précise : « En plus de tous nos biscuits, nous vendons de très nombreux produits d'épicerie (soupes, terrines, sardines, thés, cafés, farine...) dont les clients locaux raffolent... On se doit d'être présent pour nos clients fidèles. » Donc des produits familiers, et des produits-plaisir, qui sont importants aussi dans un moment compliqué, pour compléter les plats préparés chez soi. À la pizzeria Ti Mad Eo, comme à la boulangerie Laot, les observations concordent : les gens se font livrer de la nourriture plus fréquemment que d’habitude, car les plats de traiteurs garantissent une alternative reposante et variée à la cuisine maison quotidienne. La tendance au grignotage, par ailleurs, est inexorable selon nombreux témoignages. 21 % des sondés au début du confinement reconnaissent une tendance à la « nourriture réconfort ». Même lorsqu’on trouve aussi une volonté de conserver une alimentation saine, les craquages sont plus fréquents. « Nous (les parents) nous sommes laissés aller à plus de grignotage en soirée (chocolats, biscuits...) » reconnaît un père de famille. Même remarque chez cette salariée en télétravail, confinée avec son compagnon et un enfant en bas-âge, qui dit s’efforcer de conserver ses habitudes, mais reconnaît consommer plus de gâteaux industriels. Ou encore chez cette étudiante confinée avec ses parents : « Je ne mangeais plus trop de sucre [avant le confinement], j’ai recommencé car trop angoissée ». Et chez cet homme, retraité, pour qui rien n’a changé durant le confinement «hormis une surconsommation de crêpes et gâteaux maison ». Vers un nouveau mode de vie ? Repenser son alimentation : faire la cuisine Mais même si beaucoup affirment avoir changé leurs habitudes le moins possible, il est certain que le temps passé chez soi encourage à faire davantage de cuisine. C’est le cas de 51,6 % des sondés, qui affirment qu’ils « cuisinent davantage et tentent de nouvelles recettes ». Une tendance bien notée par Frédéric Vallet, qui souligne que les plats cuisinés (les sandwiches, les raviolis en conserve) ne se vendaient plus du tout, alors que la consommation de produits de base avait beaucoup augmenté. Même constat à la boulangerie Laot : la vente de pâtisserie a beaucoup baissé, et les sandwiches, le plus souvent achetés par des ouvriers, ne se vendaient quasiment plus. Et en effet, la période apparaît comme le moment parfait pour se lancer des « défis culinaires », et faire des expérimentations. Une étudiante chez ses parents rapporte ainsi avoir fait « beaucoup plus de plats qui sont longs à la préparation, confection de pain, gâteaux, brioche ». Deux Parisiens confinés en Bretagne ont aussi décidé de se lancer dans des recettes nouvelles et sophistiquées, comme la confection intégrale de délicieuses ramen pour l’un ; ou la préparation de pains au chocolat pour l’autre. De même une femme, retraitée, évoque des « confections de 4 heures. Comme des cakes, des gâteaux variés, des petits gâteaux, des petits fours, des tartes, des biscuits crème au beurre, crèmes pâtissières, flans... Également en salé confection de raviolis, de pâtes, de nouilles, des spaetzles, des fleurons, des bouchées à la reine, des friands... bref de la cuisine plus longue et beaucoup de plats plaisirs chronophages et antidépresseurs !!!! ». Autre exemple encore chez cet homme, confiné avec sa partenaire et un enfant, qui témoigne de ses expériences : « je ne cuisine habituellement que des entrées et plats, je me suis essayé à la pâtisserie : far, tarte aux pommes, milkshake ». Et bien sûr, une tendance nationale : la préparation de pain, plus ou moins réussie. C’est un des aspects notés dans l’étude « Manger au temps du Covid-19 » : « Outre son aspect symbolique et le fait que son achat quotidien multiplie les sorties, le pain est une opportunité d’échange, singulièrement par le levain ». Selon un témoignage d’un Breton dans cette même étude : « nous avons décidé avec mes fils (par Skype) de faire chacun notre levain. J'avais toujours pensé que c'était compliqué et puis finalement avec le confinement... Nous avons diffusé à des ami(e)s et nous avons tous décidé d'essayer et de nous donner des nouvelles de notre levain ». Le pain remplit donc une fonction symbolique et sociale forte. Néanmoins, si certains comptent garder cette habitude après le confinement, d’autres sont plus sceptiques : « le pain de la boulangerie était quand même meilleur », reconnaît une habitante. D’ailleurs, la boulangerie Laot remarque une nette augmentation des ventes de pain par rapport aux années précédentes, sur toute la période. On parle aussi beaucoup de faire pousser ses propres légumes. Certains le faisaient déjà avant le confinement ; mais c’est un élément sur lequel on veut insister. Ainsi, un foyer fait état d’un « projet d'agrandir le potager car actuellement nous avons seulement un potager d'herbes aromatiques ». Une femme, interrogée sur les effets durables qu’aura eu confinement, atteste aussi de sa volonté de : « Faire mon propre potager et faire beaucoup plus de choses maison ». Une fois encore, se reflète ici une tendance nationale. Ainsi le site internet Agrosemens, qui permet de commander des semences issues de l’agriculture biologique, a-t-il annoncé dès le 17 mars la fermeture de sa plateforme de e-commerce, avec ce message : « Face à l’explosion du nombre de commandes depuis 24 heures nous avons pris la décision de désactiver, ce lundi 16 mars à 14h00, nos sites marchands (e- commerce) dans le but de pouvoir vous servir au mieux. Dans cette période de recentrage nous tenons plus que jamais à être fidèle à notre parole et à nos engagements. » Repenser son approvisionnement : vers du bio et du local Un autre point essentiel, c’est une volonté largement accrue de privilégier les produits issus de l’agriculture biologique, et plus encore des circuits courts. Ainsi, chez Ty- Gwen Légumes, les ventes directes à la ferme ont augmenté de 30 %, car, selon le producteur, « les gens ont peur d’aller au supermarché », et sont rassurés par l’idée d’une vente en plein air. Au Potager de Saint Mathieu, c’est aussi comme cela qu’on explique l’afflux de nouveaux clients : « Dans les grandes surfaces, les gens n’ont pas envie de tripoter les fruits et les légumes». C’est un constat qu’on retrouve largement chez les consommateurs, comme le note l’étude «Manger au temps du Covid-19»:«le local, souvent associé à la qualité et à la confiance, fait partie des préoccupations ». C’est aussi un moyen d’éviter le risque de pénuries, car si l’Intermarché est susceptible de manquer d’œufs ou de lait, l’éleveur paraît un choix plus sûr et responsable. De plus, privilégier les circuits (très) courts est parfois nécessaire pour limiter au maximum les déplacements. 20 % des répondants disent ainsi s’être tournés vers une alimentation plus « durable » ; et 48 % ont évité d’aller au supermarché, pour leur préférer les producteurs locaux et les petits commerces. Pourtant, il faut relativiser : on l’a déjà souligné, 91,3 % des sondés ont affirmé se rendre, au moins ponctuellement, à l’Intermarché. Le confinement a également poussé de nombreux foyers à chercher et à échanger avec des producteurs directement. Un couple rapporte ainsi avoir fait le choix d’une cuisine plus « élaborée » et « réalisée avec des producteurs locaux (légumes à la ferme, poissons “au cul du bateau“, viande de boucherie locale) ». Un autre s’enthousiasme : « depuis le confinement on a rencontré et adopté des produits d'autres producteurs locaux. On échange même maintenant par sms avec eux ! Ça nous conforte dans cette voie. » Et il ajoute : « Nous avons découvert et sympathisé avec de nouveaux producteurs locaux et réalisons avec encore plus de force l'importance du tissu local pour la résilience. » Selon l’étude « Manger au temps du Covid-19 », on trouve aussi des consommateurs qui, privés de marché, se promettent de prendre contact avec les producteurs, afin de garantir des échanges directs avec eux, dans l’éventualité d’une prochaine crise : « Je n'ai pas leur contact direct je ne peux pas les joindre directement pour me ravitailler et les soutenir. C'est ma note pour le futur, avoir tous les contacts des producteurs et pas seulement connaître leurs emplacements de marchés », dit ainsi une habitante de Rennes. Ces « bonnes habitudes » résisteront-elles à l’épreuve du retour à la vie « normale » ? Beaucoup affichent leur bonne volonté à ce sujet : « Mon approvisionnement après confinement n’obéira plus au diktat de la grande industrie. Je suis convaincue qu’il faut revenir à des circuits courts des achats simples proche de chez nous. » déclare une habitante. D’autres en revanche, et notamment des commerçants, sont plus sceptiques. Ainsi, chez Ty- Gwen Légumes, on se refuse à se réjouir trop rapidement : oui, les clients prétendent vouloir désormais privilégier le local, mais « entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font... ». Même commentaire chez Le Ptit Breizh, où l’on dit espérer un changement dans les mentalités, mais où on reconnaît avoir des doutes, quand on voit les files devant les McDonalds qui ont commencé à se former dès la réouverture. Repenser son environnement : l'apparition de solidarités nouvelles La conséquence logique du confinement a été un rapprochement, contraint, des membres au sein de la cellule familiale. Pour la plupart, cette cohabitation forcée n’a pas posé problème : ainsi, 85,2 % des sondés ont trouvé que les repas en famille étaient des moments agréables ; tandis que seuls 1,9 % les qualifient d’anxiogènes. Par ailleurs, 11,1 % notent une nouvelle répartition des tâches, non seulement au sein du couple, mais aussi entre les parents et les enfants, à qui on apprend à cuisiner : « les enfants ayant appris à faire quelques plats, chacun aidera selon ses capacités » note une mère de famille, optimiste pour l’avenir. Hors de la cellule familiale, le confinement est aussi un créateur de lien social .Le troisième rapport « Manger pendant le Covid-19 » le soulignait déjà : Les attitudes de solidarité autour de l’alimentation (regroupement des courses entre voisins, aide aux personnes âgées, commandes groupées aux agriculteurs locaux), exprimées dans la proximité du village ou du quartier, se confirment comme une caractéristique forte de cette période de confinement. C’est aussi le constat optimiste que fait Christine Calvez, du CCAS, qui coordonne des actions de solidarité au sein de la commune. La Mairie a ainsi mis en place un numéro d’urgence, et appelé chaque semaine toutes les personnes de plus de 75 ans résidant dans la commune, pour s’assurer qu’ils n’avaient besoin de rien. Plus intéressant pour nous : ils ont proposé la prise en charge de courses pour les personnes âgées ou dépendantes. Une équipe de huit bénévoles est ainsi allée faire les courses pour quarante foyers plougonvelinois. Mais cette solidarité institutionnelle est très largement relayée par une solidarité citoyenne et spontanée. « Entre voisins, ils se sont beaucoup aidés. Dans les lotissements, quand une personne allait acheter le pain, il achetait pour cinq ou six personnes autour de lui » rapporte Christine Calvez. Ainsi un homme, confiné avec sa partenaire et leurs enfants, note des « contacts plus fréquents avec [ses] voisins (dépannage alimentaire, discussion, échange et apéritifs) ». On trouve plusieurs témoignages attestant de cette solidarité, notamment envers les plus âgés. Par exemple celui de cette infirmière libérale, qui n’a pas cessé de travailler pendant le confinement, mais qui raconte : « Dans notre foyer, nous avons proposé de l'aide aux voisins âgés, ce qui a été apprécié ». Elle n’est pas la seule : 44 % des répondants disent avoir participé, ou constaté au moins une attention accrue à l’égard des personnes vulnérables. À côté de cela, on trouve aussi des commandes groupées de mangeurs, qui achètent à des producteurs locaux et se partagent ensuite les produits livrés. Ainsi par exemple une habitante, travaillant par ailleurs dans le médical et candidate aux élections municipales de 2020, a pu distribuer, par le biais d’un groupe Facebook, 104 kilogrammes de fraises aux résidants de la commune. « Au niveau du lien social, c’est vrai que la Covid a permis aux gens de se rencontrer » conclut Christine Calvez, à la fin de notre appel. En plus de cette solidarité des citoyens entre eux, la période a permis le développement de partenariats entre les commerçants, soucieux de se soutenir dans une période où la chaîne de commandes est perturbée. C’est le sens des propos de Bruno Le Maire, ministre de l’économie, au début du confinement : il a invité les distributeurs à faire preuve de « patriotisme économique » (10), et d’acheter leurs produits aux petits producteurs impactés par la fermeture des marchés. Le directeur commercial de l’Intermarché salue cette initiative, et promet avoir agi dans ce sens, notamment pour le maraîchage et l’achat de poissons à des marins pêcheurs du Conquet (ville située à 6,2 kilomètres de Plougonvelin). Nicolas Magueur du Potager de Saint Mathieu raconte avoir été contacté par l’Intermarché, lui proposant, dans ce contexte, de lui racheter ses produits s’il avait du mal à les écouler. Il dit ne pas en avoir eu besoin, mais avoir apprécié l’initiative. Cependant, l’Intermarché n’est pas forcément le meilleur débouché pour les producteurs. Mais d’autres liens apparaissent, entre les commerçants locaux. L’exemple de la crêperie La Crêpe Dantel’ est à ce regard très éclairant, car ce restaurant, qui accueille habituellement entre 100 et 150 clients par jour à cette période de l’année, a dû fermer ses portes le temps du confinement, et réduire considérablement son activité, même en proposant des crêpes à emporter une après-midi par semaine, ainsi qu’un service de livraison. Elle a cependant développé des partenariats avec d’autres enseignes locales. Ainsi, la Ferme de Penzer, déjà évoquée, fournisseur de longue date de la crêperie, a commencé le 5 avril à inclure des crêpes de froment dans les paniers drive. Un exemple plus flagrant encore : un accord a été passé avec deux boulangeries (la Boulangerie Laot à Plougonvelin, et la boulangerie du Vent sucré au Conquet), et avec la biscuiterie de la Pointe Saint Mathieu, déjà évoquée. Ces trois commerces ont proposé à la crêperie de vendre ses crêpes, alors qu’elles-mêmes ont l’habitude d’en confectionner et d’en vendre tout l’année. Pauline Jeffroy, dirigeante de la crêperie, souligne que cette proposition a été faite « uniquement par solidarité entre commerçants ». Elle ajoute avoir fait le choix de continuer à soutenir un producteur de cidre et de jus de pomme de la région, en proposant ses produits, car il était nouveau sur le marché et avait du mal à écouler sa production. En conclusion, on peut citer le témoignage d’une habitante, qui a vécu son confinement toute seule, et qui revient sur son expérience, en confiant le malaise qu’elle ressent encore : « Avec du recul (j'ai repris mon activité professionnelle depuis le 11 mai à temps plein), je pense que j'ai pris le temps de réfléchir à ma vie actuelle, à mes aspirations pour l'avenir et aussi beaucoup plus globalement au monde dans lequel nous vivons. J'ai trouvé le temps long pendant le confinement, voire très long par moment, avec beaucoup de doutes et d'interrogations. [...] Aujourd'hui la vie reprend doucement, mais personnellement, je trouve cette situation encore anormale : le fait de devoir porter un masque et se désinfecter constamment les mains, la crainte de transmettre le virus aux personnes qui nous entourent, la méconnaissance de ce virus. Je me demande encore si nous retrouverons un jour notre "vie d'avant". » Ainsi, le déconfinement a commencé il y a une semaine ; mais de nombreuses incertitudes perdurent pour les commerçants comme pour les citoyens. Les restaurants n’ont toujours pas l’autorisation d’ouvrir, et le télétravail est maintenu aussi souvent que possible. Cette période de transition nous invite à nous interroger sur l’avenir, et sur ce qui restera, des réflexions formulées au temps du confinement. Le retour à la « vie d’avant » est-il possible, et plus encore, est-il souhaitable ? Pour reprendre le propos polémique de Bruno Latour cité en introduction : il est essentiel aujourd’hui de ne pas « gâcher la crise », mais au contraire d’en tirer tous les enseignements possibles. Des habitudes prises pendant le confinement, au moins quelques- unes vont rester. Certains reconnaissent que la reprise du travail va rendre difficile de dégager du temps pour faire la cuisine ; mais la plupart des témoignages sont optimistes. « Je pense qu’il y aura un avant et un après corona en habitudes alimentaires, suite à une prise de conscience et un retour aux priorités des bases de la vie » déclare ainsi une retraitée. La volonté de consommer davantage de produits locaux, voire de faire pousser ses propres légumes, est très présente. Plusieurs témoignages font aussi état d’un désir de transmission aux enfants, de les faire participer à l’élaboration du potager, ou de les sensibiliser à l’importance des circuits courts. (1) Food and Agriculture Organization of the United Nations, « Coronavirus. Food Supply Chain Under Strain. What to do? », 24 mars 2020. Lien (2) Sciences Avenir, « Nicolas Bricas : “Le Covid-19 révèle un système alimentaire mondial malade” », 16 mai 2020 . Lien (3) Ouest France, « Entretien. Plougonvelin, la commune du premier cas breton de Covid-19 », 27 avril 2020. Lien (4) Tous les bulletins communaux sont consultables sur le site de la Marie de Plougonvelin. Lien (5) Leur site internet : https://plougonvelin.net/ (6) RMT Alimentation Locale, COVID-19 et Systèmes Alimentaires. Manger au temps du coronavirus. Lien (7) https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand- entretien-03-avril-2020 (8) Entre le 15 mars et le 11 mai 2019, 18 900 personnes sont venues à la boulangerie, contre 12 978 cette année aux mêmes dates. (9) https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/covid-19-bray-minoterie-forest-fait- tourner-son-moulin-repondre-forte-demande-farine-1811866.html (10) Le Figaro, « Bruno Le Maire appelle la distribution à acheter des produits aux agriculteurs français », 24 mars 2020. Lien ANNEXE - Profil des répondants aux deux questionnaires : Télécharger cet éclairage Crédit Photo : Plougonvelin par Moreau.henri Pour découvrir d'autres articles proposant des analyses de l'impact de la crise du covid-19 sur les systèmes alimentaires, consultez la rubrique Eclairages

  • Éclairage Covid-19 | De l'aide alimentaire à l'aide humanitaire, récit d'un dérapage social

    par Dominique Paturel. Cet éclairage a initialement été diffusé sur le site Urgence Transformation Agricole et Humanitaire (utaa.fr) puis sur le site de la Chaire UNESCO Alimentation du Monde (chaireunesco-adm.com). Ce texte n'engage que son auteur et pas l'ensemble du collectif qui rédige les bulletins. Dominique Paturel est chercheure en Sciences de gestion à l’INRAE - UMR Innovation, membre du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action (LISRA) et membre du Collectif Démocratie Alimentaire. - Mai 2020 - Les données de cet article reposent essentiellement sur les informations dans la presse nationale, régionale accessibles sur internet. Ces informations ont été triangulées par des interviews auprès d’associations et les sites officiels soit des institutions, soit du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, soit du Ministère de la solidarité et de la santé. La décision de confinement annoncée le lundi 16 mars 2020 en soirée est mise en place à partir du mardi 17 mars à midi. Les activités s’arrêtent immédiatement et l’ensemble de la population, en état de sidération, s’exécute. Des files d’attente se forment devant les supermarchés. Rien de tout cela n’appartient à notre mémoire depuis 70 ans. La décision de fermer les marchés de plein vent met en difficulté, d’une part, les agriculteurs dont la voie de commercialisation essentielle est le circuit direct, et d’autre part, une partie des habitants ayant l’habitude de s’approvisionner via ce moyen, dont un certain nombre de quartiers populaires urbains et des habitants ruraux. En outre, les services publics ferment et il faudra une quinzaine de jours (voire trois semaines dans certains quartiers des grandes villes) avant qu’ils trouvent une organisation. L’accès à l’alimentation des familles à petit budget La question de l’accès à l’alimentation se pose rapidement pour plusieurs raisons : la première est double : il y a très vite une rupture de stock pour les produits alimentaires dits de première nécessité (pâtes, riz, farine) vendus dans les grandes et moyennes surfaces au premier prix, et la seule solution est de s’approvisionner avec des produits plus chers. Soit les familles les achètent quand même, par peur de manquer, et ainsi vont se retrouver sans ressource plus tôt dans le mois. Soit elles ne peuvent pas les acheter et elles vont se retourner vers la distribution de l’aide alimentaire alors que pour certaines familles, cela ne faisait pas ou peu partie de leur façon d’accéder à l’alimentation. la deuxième est la fermeture de centres de distribution de l’aide alimentaire : les bénévoles étant pour la plupart des retraités, souvent de plus de 65 ans, dans ce climat de sidération et de risque sanitaire, ils vont rester chez eux. Les associations et opérateurs habituels suspendent les distributions par manque de « bras ». Le travail bénévole manquant ainsi au rendez-vous de la distribution met un coup d’arrêt à la filière. la troisième raison est liée à la fermeture des associations et services publics d’action sociale : ils « s’absentent » du terrain. Les petites associations, plus souples et plus agiles dans leur capacité d’adaptation se retrouvent en première ligne. Même si leur objet n’est pas celui de l’alimentation, elles sont obligées de s’y mettre. Des habitants commencent à s’organiser pour aller faire des courses pour les plus âgés, les femmes seules avec de jeunes enfants, les personnes à mobilité réduite, etc. Ces petites associations deviennent des points d’appui en terme d’auto-organisation de la solidarité. L’AN 02, 3e arrondissement de Marseille Petite association de sept personnes au début du confinement, habituée à intervenir sur le modèle du travail social communautaire, elle est présente dès le début du confinement. Ils font ce qu’ils savent faire : mettre en contact des personnes avec des demandes avec des bénévoles pouvant répondre. Ils mettent en place une plateforme téléphonique où l’objectif est de rapprocher les demandes de certains avec les réponses pouvant être apportées par d’autres. Leur réactivité amène vers eux un nombre important de demandes mais aussi de réponses solidaires. Lors de l’interview de Jonas (4e semaine) 260 personnes ont/avaient participé au dispositif. Face au manque de réponse publique, ils prennent en charge la distribution alimentaire : dans un premier temps, ils cherchent des sources d’approvisionnement et dans un deuxième temps, lorsque l’aide alimentaire se réorganisera, ils assureront la distribution. Retrouvez l’interview de Jonas La quatrième raison est liée à la fragilité des ressources liées à des activités à temps partiel et des activités informelles qui sont suspendues. La présence de tous les membres de la famille au foyer dont en particulier les enfants normalement inscrits à la cantine de leur école ou collège, et les denrées alimentaires à bas prix en rupture de stock font exploser les budgets. De plus, comme pour une partie de la population, le grignotage est présent comme façon de lutter contre le stress ambiant. L’organisation de l’aide alimentaire Dès la fin de la première semaine de confinement, des banques alimentaires, des fédérations du Secours populaire, des centres des Restos du Cœur s’organisent pour reprendre les distributions. Mais ils ne seront pas présents sur l’ensemble du territoire car il leur faut résoudre plusieurs difficultés : la disponibilité des bénévoles : les associations ayant des activités autre que l’aide alimentaire lancent des appels et leurs bénévoles, plus jeunes, qui habituellement sont au travail, répondent présent. Des étudiants rejoignent également ces associations. l’approvisionnement : dans la première semaine, la fermeture de la restauration hors foyer permet de distribuer toutes ces denrées qui ne sont pas consommées et une partie de l’approvisionnement qui était prévu pour la semaine suivante. Puis dans un deuxième temps, ce stock est épuisé et la grande distribution, habituellement pourvoyeuse de l’aide alimentaire, n’a pas beaucoup de choses à proposer. une fois réglées les questions de la disponibilité des bénévoles et de l’approvisionnement de produits à distribuer, la réorganisation administrative est aussi à revoir : la plupart des salariés des conseils départementaux, des mairies, des services sociaux est pour partie en télétravail ou en absence de service autorisée. Les conditions d’accueil sont très inégalitaires selon les territoires. la distribution doit se faire sous forme de colis de produits secs et pour une durée minimum de deux semaines de façon à éviter aux personnes concernées de sortir. L’exemple de la plateforme de Montpellier Le Secours populaire de l’Hérault maintient l’ouverture de sa distribution alimentaire et arrive à stocker des produits d’hygiène en particulier juste avant le début du confinement. Les associations habituées à intervenir auprès du public en grande précarité se demandent comment répondre à l’urgence alimentaire puisque toutes les autres distributions s’arrêtent. Une coordination de plusieurs associations se met en place et se tourne vers le Secours populaire pour les aider à s’organiser. Le secrétaire général départemental a à son actif plusieurs missions humanitaires pour le Secours populaire. Il a, d’une part, utilisé les quelque temps avant la mise en confinement pour acheter des produits d’urgence, et d’autre part, fait appel aux comités locaux pour que des bénévoles plus jeunes viennent renforcer la logistique. Il propose aux bénévoles du Bus Solidarité qui intervient auprès des étudiants de venir les rejoindre. De son côté le Secours Catholique, présent depuis le début, propose avec la présence du salarié et de quelques bénévoles de prendre en charge l’accueil de la demande d’urgence. Un protocole sanitaire est co-construit entre les différents intervenants et ils mettent en place une distribution de colis alimentaires, dans un hangar prêté pour le temps du confinement par le Conseil Départemental. Il y aura trois sessions d’une semaine de distribution espacée de 15 jours pour réalimenter les stocks. Les personnes sont adressées vers cette plateforme par les Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) et les Missions locales de la métropole, le CHU, les associations humanitaires, les services d’État en charge des migrants, les services sociaux. Environ 3 000 personnes sont destinataires de ces distributions. Les demandes augmentent à chaque nouvelle distribution. À la fin du confinement, les associations estiment qu’il y aura environ 50 % de personnes supplémentaires. Sur ces 3 000 personnes, 1 800 habitent en squats ou l’un des dix bidonvilles de la ville. Dans la population venant à la plateforme, il y a des familles qui ne sont pas des habitués de la distribution alimentaire : ce sont ceux que Sylvain de la Petite Cordée appelle les « Gilets Oranges » : ils pourraient être des Gilets Jaunes, pour lesquels les réseaux de solidarité n’existent plus et pas encore dans la situation de grande précarité ; pourtant ils sont « à fleur » du basculement et leur venue est un signal fort quant à l’état social du pays. En parallèle, des centaines d’actions solidaires se sont développées sur l’ensemble du territoire comme les soutiens des réseaux Amap avec la mise à disposition de paniers, mais aussi des citoyens ordinaires qui ont partagé avec d’autres. Les articles dans la presse se multiplient et donnent un aperçu des actions. Trois types d’interventions s’organisent de façon synchronique : 1) Des actions plutôt portées par des associations de lutte contre la pauvreté : celles-ci s’adressent dès le début du confinement aux sans-abris, aux habitants des logements précaires (bidonvilles, camps, squats, hôtels, etc.) 19 mars, actu.fr – Le restaurant social La Chaloupe à Rouen reste ouvert et accueille les sans-abris confinés dehors ; 21 mars, Le Progrès – Saint-Étienne, la Société Saint-Vincent-de-Paul continue les distributions d’aide alimentaire dans le quartier du Soleil ; 25 avril , site Enlargeyourparis– Une banque alimentaire créée par Amelior, association de soutien aux biffins. Les biffins et les ferrailleurs connaissent la précarité ; cependant ne pas pouvoir acheter de quoi manger est une situation nouvelle. Depuis le début du confinement, leurs activités sont arrêtées car il n’y a plus aucune récupération possible et la plupart n’a pas de droits sociaux. 2) Des actions portées par des associations de lutte en lien aux quartiers populaires : ces associations ou collectifs participent activement à la mise en place de distribution alimentaire en affichant la liberté d’accès (pas de contrôle d’identité et pas de gestion directe des inscriptions). Une partie d’entre elles sont soutenues par le Secours populaire par une forme de « mécénat de compétences » sur la mise en place d’une organisation (protocole sanitaire, logistique, approvisionnement, distribution, etc.) propre aux interventions humanitaires. 10 avril – Le Progrès - La réquisition d’un MacDo. Le Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille réquisitionne un MacDo, en liquidation judiciaire depuis décembre 2019, dans le 14e arrondissement de Marseille. Il devient un centre de distribution d’aide alimentaire. 23 avril – RT France - Le collectif Association Collectif Liberté, Égalité, Fraternité, Ensemble, Unis (Aclefeu) à Clichy-sous-Bois a distribué des denrées fournies par des grossistes et des commerçants originaires du quartier et on a assisté à des queues s’étirant sur 300 mètres et de longs temps d’attente. Plus de mille demandeurs ont été servis ce jour. 27 avril – La Marseillaise – Alerté par l’Unef, Emmaüs livre deux camions de denrées alimentaires aux étudiants de Saint Charles. Certains étudiants disent ne pas avoir mangé depuis deux ou trois jours. 3) Les collectivités territoriales interviennent par des repas, des colis alimentaires ou des chèques alimentaires. 6 avril – Le Figaro - La ville de Brest distribue des bons alimentaires pour les familles dont les enfants sont inscrits à la cantine à un tarif réduit. Le montant de la subvention est de 300 000€. 15 avril – La Marseillaise – Marseille rouvre sa cuisine centrale pour livrer 5 000 repas par jour. 18 avril – La Voix du Nord– La mairie de Lille met en place la distribution de denrées alimentaires pour 6 000 enfants privés de cantine (environ 3 500 familles concernées). Celle-ci se déroule dans les écoles et est réalisée par des agents de la ville. Les paniers sont constitués de fruits et légumes, de produits laitiers et de produits secs pour deux semaines. 6 mai – actu.fr– La région Occitanie propose des « paniers solidaires Occitanie » avec des produits locaux. Cette action se déroulera de la mi-mai à fin juin. Les produits de ces paniers sont achetés par la Région auprès des producteurs locaux et issus de dons. Le 23 avril, le gouvernement apporte un soutien financier supplémentaire de 39 millions. Il y est prévu une allocation de 105€ pour les familles bénéficiant du revenu de solidarité active (RSA) et de l’allocation de solidarité spécifique (fin de droits au chômage). Cordonnées par les préfectures, ces aides sont distribuées par les CCAS et les associations sous forme de chèque d’urgence alimentaire. Ce sont essentiellement les territoires métropolitains qui sont concernés mais par le biais des CCAS des territoires ruraux peuvent en être destinataires. Le tableau ci-dessous récapitule la présence et l’intensité de l’intervention, à partir des témoignages des acteurs dans les quartiers urbains en situation de pauvreté. Les leçons du confinement La crise a montré le manque de souplesse des services publics quant à leur réactivité : il aura fallu une bonne quinzaine de jours avant que ceux- ci soient en capacité de trouver une organisation capable de faire face aux besoins alimentaires de la population. Il en est de même pour les associations institutionnelles. En outre, les interventions se sont mises en place de façon très différentes en fonction de la réalité des forces au niveau local et micro-local : ici c’est le Secours populaire, là c’est la banque alimentaire, et ailleurs les Restos du Cœur. Les associations confessionnelles ont également pris place dans les divers partenariats comme Muslihands à Lyon, ou le Secours Catholique dans beaucoup de communes, y compris l’armée comme par exemple à Belfort, en renfort des Restos du Cœur. Au manque des équipements sanitaires s’est ajoutée la fragilité de la logistique qui a mis au jour l’interdépendance des acteurs du système alimentaire et de la filière de l’aide alimentaire. Les petites associations ont su s’adapter alors que les institutions se sont retrouvées en situation d’arrêt total. Sans cette réactivité première, la situation sociale aurait probablement dérapé plus fortement. Le modèle d’intervention est celui de l’aide humanitaire motivée par un risque majeur de manque alimentaire. Cependant, en dehors du Secours populaire, de la Croix Rouge et des associations type Médecins du Monde qui avaient, en interne, des compétences et de l’expérience en matière d’interventions humanitaires, les autres acteurs (y compris les services publics) ont mis du temps à trouver les formes d’organisation face au contexte singulier de la pandémie. Même si la coordination organisée rapidement par les préfets s’est mise en route dès la première semaine, elle a peiné à se mettre en place. Un certain nombre d’intervenants interviewés nous ont dit qu’ils avaient souvent été eux-mêmes initiateurs de coordination pour mutualiser leurs moyens (ressources humaines, logistique et produits). En outre, les efforts du gouvernement et de ses services se sont concentrés sur la prise en charge médicale en première urgence, laissant aux uns et aux autres le devoir de répondre à la situation alimentaire des populations précaires. Les produits distribués ont été essentiellement des produits secs. Les produits frais (fruits, légumes, et produits laitiers) ont fait défaut. L’approvisionnement en temps ordinaire se porte sur des fruits et légumes souvent achetés sur les circuits longs alors que durant cette période la disponibilité était davantage liée à la production de proximité, plus chère. Les opérateurs de l’aide alimentaire ont dû dépasser leurs clivages habituels pour partager l’accès aux ressources et faire avec des associations, plus petites et probablement plus engagées dans des projets d’émancipation des populations concernées. Ces petites associations ont été en majorité des points d’ancrage de la solidarité en actes dans des territoires souvent en jachère de l’intervention institutionnelle. À la sortie du confinement, il sera difficile de les renvoyer dans l’ombre. Le soutien massif apporté par les collectivités territoriales (communales, intercommunales, département et région) dès qu’elles ont pu réintervenir, a permis probablement d’éviter une dégradation encore plus importante pour ces populations fragilisées économiquement. Les CCAS ont été des acteurs essentiels dans l’accueil de la demande d’urgence. La coordination des différents opérateurs s’est structurée au fur et à mesure et a rempli son rôle d’accessibilité pour les plus éloignés. Toutefois la réactivité du corps social à travers une multitude d’initiatives de solidarité inédites, imaginées dans l’urgence a mis en lumière une dynamique impressionnante. Des jeunes, des femmes, comme à Bassans (16e arrondissement de Marseille) étaient en première ligne pour assurer les réponses aux besoins ordinaires et donner accès aux aides d’urgence comme les chèques, les bons ou les tickets alimentaires [1]. Sur les campus des étudiants, enseignants et habitants sont venus en aide aux étudiants confinés dans les cités universitaires avant que les Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) y participent. Une responsable d’un service social du Crous dans un article de Libération du 7 avril, en réponse aux critiques du collectif local explique que « Nous assurons la continuité de nos services. Il a fallu toutefois les renforcer durant cette période, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain. La temporalité n’est pas la même entre un collectif et une administration… Nous avons dû attendre les directives de l’État. » La réponse de cette responsable correspond à la réalité de ce qui s’est passé sur l’ensemble du territoire national et pour l’ensemble des populations précaires ou précarisées par le confinement. L’ensemble des intervenants, à la veille de la fin du confinement témoigne : de la mise en lumière des invisibles, complètement dépendants de l’aide alimentaire pour accéder à l’alimentation que sont les habitants des squats, des bidonvilles, des camps et les sans-abris. Même si cette réalité était connue par les associations intervenant habituellement, elle l’était moins pour les autres opérateurs de l’action sociale. Les modes d’organisations de l’action sociale reposant sur la séparation des publics rendaient aveugle l’ampleur de la situation réelle de ces personnes. de la présence de nouveaux pans de populations à ces distributions d’aide alimentaire. Tous évaluent 30 à 50 % de bénéficiaires supplémentaires. Si cela se confirme, aux 5,5 millions de bénéficiaires avant le confinement, il faudra rajouter ces 1,6 à 2,7 millions supplémentaires. du fait que ces demandes ne s’arrêtent pas avec le confinement et qu’il va bien falloir continuer à permettre l’accès alimentaire. Le financement et la diversification des produits distribués vont être centraux pour la suite. L’aide a consisté en produits secs et peu de produits frais à la fois pour des difficultés d’organisation logistique complexe dans le contexte sanitaire et d’approvisionnement. En outre, les produits d’hygiène, absolument nécessaires pour les gestes barrières, sont achetés et font peu l’objet de dons. Ils ont représenté une partie non négligeable des budgets des intervenants. L’accès à l’eau est resté problématique pour les sans-abris et les habitants des camps et certaines associations se sont posées la question de distribution de bouteilles d’eau. Les enjeux pour la suite sont importants et le manque de revenus des familles précaires laisse de lourdes traces sociales. Tout le travail effectué depuis dix ans sur l’accompagnement au changement des pratiques alimentaires a volé en éclat face à la réalité du retour de la faim ou de la peur d’avoir faim. La démocratie alimentaire soutenant l’appropriation par les populations, des systèmes alimentaires dont ils ont besoin, est plus que nécessaire. Mais cet épisode de mise en place d’une aide humanitaire risque d’engager des réponses assignant les populations à petits budgets à n’accéder à l’alimentation que sous cette seule forme. Le dispositif d’aide alimentaire existant depuis 1985 [2] a déjà largement creusé ce sillon. Et le paradoxe se durcit entre la population qui s’est saisie des circuits courts pour s’alimenter et celle qui va continuer à dépendre de cette aide humanitaire. Cependant, les collectifs et associations intervenant sur les quartiers populaires et qui ont fait face dans des conditions difficiles, ne vont certainement pas baisser les bras, replaçant l’alimentation comme objet politique. Dans les éléments de connaissance du virus, la comorbidité liée aux maladies chroniques dont certaines variables sont directement connectées à la qualité nutritionnelle met également au grand jour la place des fruits et légumes, des produits frais en général et à l’inverse des consommations d’aliments ultra-transformés. Ainsi les enjeux de démocratie alimentaire pointent avec encore plus de force la rupture d’égalité dans les conditions d’accès à une alimentation saine. Conclusion Cette situation de crise a montré combien l’accès de toutes et tous à une alimentation de qualité ne peut être pensé comme simple question technique, qui devrait être régulée par le marché. Cela relève au contraire d’un enjeu démocratique pour définir les principes et les modalités concrètes de cet accès, considéré comme un besoin essentiel, au même titre que la santé, le logement, l’éducation, la culture… Les propositions sur le droit à l’alimentation durable comme fondement d’une réelle démocratie alimentaire, s’appuyant sur une restauration collective à plus grande échelle, un service public de l’alimentation désencastré du Ministère de l’agriculture, à l’échelle locale, participent d’une réflexion urgente vers une sécurité sociale de l’alimentation. [1] Ces chèques, bons ou tickets alimentaires sont soit les dispositifs déjà existants et distribués par les Centres communaux d’action sociale, soit les dispositifs mis en place dans l’urgence par les communes, les régions et l’État. [2] Pour comprendre le dispositif d’aide alimentaire, Paturel, D (2013) Aide alimentaire et accès à l’alimentation, [en ligne] https://inra.academia.edu/DominiquePATUREL Pour découvrir d'autres articles proposant des analyses de l'impact de la crise du covid-19 sur les systèmes alimentaires, consultez la rubrique Eclairages

  • Éclairage Covid-19 | 1ers résultats d’enquêtes sur les solidarités alimentairesavec les populations

    Nicolas Bricas (Cirad, UMR Moisa et Chaire Unesco Alimentations du monde), Carla Abadie (Univ. Toulouse Jean Jaurès et Inrae UMR Moisa), Iris Farrugia-Amoyel (ingénieure de recherche associée Cirad, UMR Moisa), Alexia Lorieux (Univ. Toulouse Jean Jaurès et Cirad, UMR Moisa) et Amélie Wood (Univ. Montpellier et Cirad, UMR Moisa) Les éléments présentés ici proviennent d’une enquête réalisée par des étudiantes en Master 2 de sciences sociales appliquées à l’alimentation (Univ. Toulouse) et de nutrition publique (Univ. Montpellier) et par une chercheur associée bénévole sous la direction de Nicolas Bricas. L’objectif de cette enquête est d’identifier la diversité des situations de précarisation alimentaire liées à la crise du Covid-19 et les difficultés rencontrées par les structures de solidarité. La première phase vise à identifier les situations durant le confinement. La seconde, qui démarre, visera à identifier les situations en sortie de confinement et quelques semaines après pour comprendre les possibles effets transformateurs de cette crise sur l’alimentation des populations vulnérables. Les enquêtes, toutes réalisées par téléphone, prennent la forme d’entretiens approfondis à l’aide d’un guide méthodologique. Cette enquête reçoit le soutien de l’Observatoire Cniel des Habitudes Alimentaires (CNIEL). Ce texte n'engage que son auteur et pas l'ensemble du collectif qui rédige les bulletins. Enquêtes réalisées Les résultats présentés ici sont issus d’une première série d’entretiens avec des personnes en situation de précarité et de professionnels ou bénévoles de structures d’accompagnement des personnes en besoin d’assistance réalisés en avril et mai 2020. Carla Abadie : 5 entretiens auprès de personnes précaires à Toulouse et 3 avec des professionnels et bénévoles en Guadeloupe. Iris Farrugia-Amoyel : 2 entretiens auprès de personnes précaires et 7 avec des professionnels et bénévoles majoritairement dans le sud de la France. Alexia Lorieux : 10 entretiens auprès de personnes précaires et 6 avec des professionnels et bénévoles à Paris. Amélie Wood : 9 entretiens auprès de personnes précaires et 6 avec des professionnels et bénévoles à Dijon, Bruxelles. Une grande diversité de situations de précarisation La précarisation alimentaire se manifeste à première vue par l’augmentation du nombre de personnes qui ont recours à l’aide alimentaire. Presque toutes les associations interrogées témoignent d’une forte augmentation du nombre de bénéficiaires et redoutent une vague plus importante encore dans les mois à venir. Cette augmentation a commencé dès le début du confinement compte tenu de la baisse voire de la disparition de revenus qui ne sont pas forcément ou pas encore compensées. Une partie des demandeurs d’aide sont des personnes qui avaient déjà recours à cette aide, mais de nombreuses nouvelles personnes se manifestent sans que leur profil soit pour autant bien connu. Pour faire face à l’afflux de ces personnes, les associations ne réclament plus de preuves des besoins d’aide (contrôle des revenus) et ne relèvent plus que le nom des bénéficiaires pour éviter la fréquentation de plusieurs lieux de distribution. Cette pratique répond parfois à la difficulté pour les nouveaux bénéficiaires d’oser se déclarer véritablement en précarité. Mais le recours à l’aide alimentaire est la partie émergée d’un iceberg. Une partie de la population qui bouclait ses fins de mois difficilement mais ne bénéficiait pas d’aide spécifique ou d’une aide discrète (ex. tarif réduit à la cantine) se retrouve en plus grande difficulté. Mais elle n’a pas l’habitude ou ne veut pas recourir à des aides par honte ou car elle s’estime moins dans le besoin que d’autres. Une partie des personnes en précarité alimentaire sont donc hors des radars sociaux. Toutes les situations de précarité ne relèvent pas seulement de difficultés financières : Les personnes âgées ou malades à domicile qui bénéficiaient d’aides ménagères, de soignants ou personnes de compagnie peuvent se retrouver en difficulté du fait de la réduction de ces aides, qui peuvent être malades elles-mêmes ou qui limitent ou renoncent aux visites par crainte de contaminer les personnes fragiles. Bien que des logiques de solidarité se mettent en place, certaines personnes souffrent d’un isolement profond et soulignent la difficulté à être seules en cette période. Il est par exemple compliqué d’aller “quémander” de l’aide à des inconnus lorsque l’on n’a pas d’autres choix. Inversement, il est difficile pour d’autres, par peur de se faire mal juger, de refuser des visites d’amis dans le besoin qui ne comprennent pas la nécessité d’une distanciation sociale. Des étudiants en situation économique précaire qui bénéficiaient des services de la restauration collective et qui n’ont pas pu rejoindre leur famille ou se regrouper se retrouvent en difficulté. Ils n’ont pas forcément les moyens financiers ou le savoir-faire pour cuisiner eux-mêmes. Parmi eux, de nombreux étrangers venant de pays “pauvres” ne peuvent plus compter sur le soutien de parents eux-mêmes privés de revenus ou ne pouvant plus transférer de l’argent du fait de la limitation des services dédiés. Les personnes sans domicile fixe, ne bénéficient plus de la mendicité des passants du fait de leur réduction et de la fermeture des restaurants et ne peuvent plus récupérer les invendus ni même bénéficier d’un accès aux sanitaires. Si certaines bénéficient de gestes de solidarité de la part de citoyens, d’autres souffrent de la disparition soudaine de ces solidarités locales (aides de riverains ou voisins, de commerces ou de restaurants). Certaines personnes cherchent à se relocaliser là où elles peuvent espérer croiser du monde, avec des risques de concentration et donc de contamination au coronavirus et des réactions de commerçants gênés pas ces regroupements à leurs abords. D’autres au contraire, craignant la contamination, s’isolent, rendant difficile leur repérage lors de maraudes. Des personnes qui n’étaient plus dans les radars des associations se sont volontairement rendues à nouveau visibles pour bénéficier des aides apportées par les maraudes notamment. Elles sont parfois prises en charge dans des centres d’hébergement où elles apprécient cette sécurité mais ont besoin d’un temps d’adaptation pour se familiariser à ces nouvelles conditions : Il y a un problème de transition, d’être en quatre murs... mon ami dormait par terre et laissait la fenêtre grande ouverte car il ne supporte pas le manque d’air. Les liens sociaux sont parfois brisés et ce public reste peu informé des évolutions de la pandémie. Elles sont parfois même verbalisées pendant leurs déplacements avec l’impossibilité de contester les amendes par manque d’assistance sociale. A contrario, certaines personnes ont pu trouver un logement et sont sorties des radars associatifs. Parallèlement, la rupture des canaux administratifs d’aides financières a aggravé la situation des personnes devant introduire de nouvelles demandes d’aides ou des recours si les aides s’étaient arrêtées. Certaines personnes ayant des dépendances à l’alcool ou à des drogues ont pu voir leur approvisionnement restreint ou coupé. Ces sevrages peuvent conduire à davantage de tensions et d’angoisses. Il y a également les personnes en état de dépression qui peuvent se retrouver confinées seules ou avec des personnes dont le foyer était déjà une source de danger et de stress (telles que les personnes battues). Les femmes se retrouvent surchargées mentalement et physiquement du fait de l’augmentation des tâches ménagères qui pouvaient auparavant être allégées par le recours à la restauration collective à midi. Le confinement ne semble pas se traduire par une véritable réorganisation de la répartition des tâches au sein de la famille. Certaines femmes cuisinent pour passer le temps ou se faire plaisir. D’autres essaient de pallier les tensions naissant de la proximité dans le foyer et de la baisse de moral des enfants qui ne voient plus leurs amis. Elles leur distribuent plus facilement des biscuits ou des chips ou cuisinent des plats plus gras, sucrés ou salés, qu’ils préfèrent, et en leur permettant de manger plus souvent : “quand ils mangent, ils sont tranquilles”. A contrario, certaines femmes subissent une pression pour changer leurs habitudes alimentaires et sportives, en particulier par le biais des réseaux sociaux dénonçant les risques de grossir (“body-shaming”) et vantant ou apportant des conseils pour la “réussite de son confinement”. A cette diversité de situations doit correspondre une diversité des besoins d’aide et de modalités d’octroi de ces aides. Et cette adéquation est encore en cours de rodage, d’autant que les structures d’aide rencontrent elles aussi des difficultés. Les difficultés de la réponse en terme d’offre de solidarité Les associations spécialisées dans la lutte contre la précarité connaissent un renouvellement des bénévoles. Des personnes relativement âgées qui craignent de s’exposer à une contamination au virus ou qui ont peur de le transmettre ne participent plus aux distributions (non sans déception) alors que de nombreux nouveaux bénévoles se manifestent pour s’engager dans ces associations. Un certain nombre de lieux de distribution ont dû fermer par manque d’espace pour accueillir les personnes en toute sécurité. Cela se traduit par une réorganisation du travail et un afflux plus important dans les centres qui restent ouverts. Certains lieux ont dû modifier leur activité sans pour autant fermer : les associations qui proposaient habituellement des repas à table ont maintenu cette aide alimentaire par la distribution de paniers-repas à la place. De même les épiceries sociales et solidaires s’adaptent en proposant parfois du Drive et de la livraison à domicile. Les produits alimentaires peuvent parfois s’accumuler dans ces centres car leur redistribution n’est pas assez rapide, provoquant du gaspillage du fait du dépassement des dates limites de consommation. Certaines épiceries sociales et solidaires et structures d’aide alimentaire se mettent à travailler ensemble pour apporter une aide collective dans certaines communes moins bien desservies : “Cela met en place des solidarités forcées, mais permet à chacun de comprendre comment l’autre fonctionne, par le biais d’une action collective.” Une des grandes difficultés aujourd’hui pour les associations est de répondre aux demandes en plats chauds. Il leur est en effet impossible de satisfaire ce besoin pour diverses raisons (cuisines trop étroites qui ne permettent pas de respecter la distanciation par exemple) mais la demande de la part des bénéficiaires ne fait que s’accentuer depuis ces derniers jours. Les seuls points de distributions qui réussissent à proposer des plats chauds voient leur fréquentation augmenter de manière significative. Les bénéficiaires préfèrent en effet favoriser ces endroits et le bouche à oreille favorise le regroupement des personnes dans ces lieux. L’offre ne permet malheureusement pas de fournir un plat chaud à tout le monde. En parallèle, une multitude de nouveaux acteurs sont apparus pour venir en aide à des personnes dans le besoin : particuliers, restaurateurs, commerçants, groupes de bénévoles qui distribuent paniers ou plats cuisinés. La solidarité s’organise alors à une échelle très locale, en faisant appel au réseau de chacun. Ces nouveaux acteurs cherchent à s’adapter à des situations très particulières, et défendent ces approches qu’ils estiment plus adaptées par rapport à celles plus massives des plus grosses associations qui font plus de volume. L’une d’entre elles, “professionnelle” de l’aide, rodée aux choix d’aliments et à la logistique de leur mise à disposition craint que ces mobilisations citoyennes spontanées se traduisent pas une gestion insuffisante des risques sanitaires des aliments ou plats distribués. Par ailleurs, les plus petites associations ont été sollicitées de toutes part afin de pallier aux besoins alimentaires des plus vulnérables, bien qu’elles n'exercent pas forcément dans ce domaine initialement. Face à l’afflux de demande, la solidarité tend à se réduire à une aide alimentaire alors que celle-ci était auparavant un élément parmi d’autres des pratiques de solidarité : lien social, conseils, traductions, etc. La précarité tend alors d’avantage à être traitée surtout comme un état de manque matériel, compensé par de l’aide, alors qu’elle est aussi l’affaiblissement voire la rupture de liens sociaux, le découragement, la honte, difficultés qu’une seule aide matérielle ne peut à elle seule atténuer. Mais si les structures limitent le temps passé à l’entretien des liens sociaux, elles font des efforts pour les maintenir. Les bénévoles des maraudes qui rencontraient jusque là beaucoup de souffrances et de détresse dans la rue, font maintenant face à la “découverte d’une fragilité alimentaire exceptionnelle” au début du confinement. Comme en témoigne un agent d’une association d’accompagnement aux personnes sans abris ou sans domicile : Les personnes ont subi un “gros flou” parce que tout a fermé de manière urgente et il y avait beaucoup de désinformation. Donc ils n’avaient plus accès à des services tels que les services sociaux qui permettaient une alimentation régulière. Comme cela a été maintes fois relevé depuis des années (1) , l’aide en produits alimentaires à cuisiner pose parfois problème. Les produits peuvent être de mauvaise qualité culinaire ou gustative (riz collant par exemple) voire environnementale. Les particuliers qui les ont donnés ont estimé qu’il fallait prioriser la quantité plutôt que la qualité. Les bénéficiaires n’ont pas l’habitude de cuisiner ou de consommer certains produits. Mais surtout, ils n’ont que très peu le choix des produits qu’on leur donne. Ils doivent se soumettre au jugement, souvent très bien intentionné, des bénévoles sur ce qui est bon pour les bénéficiaires avec parfois des rationnements de certains produits prisés (comme les produits laitiers, viande et poisson). Il peut en résulter un sentiment d’humiliation qui conduit certaines personnes à renoncer à ces aides. L’aide en plats cuisinés est parfois préférée. Elle permet d’offrir une alimentation de qualité, la cuisine pouvant compenser la qualité des ingrédients et elle est plus adaptée aux personnes qui ont des difficultés à cuisiner. Certains EHPAD ou MARPA n’ont plus assez de personnel pour cuisiner les plats et doivent servir des repas industriels aux résidents, ce qui impacte grandement leur qualité de vie. Mais les plats préparés peuvent aussi être source de problème. Par exemple la soupe est un des plats qui, certes, valorise les invendus de légumes mais dont l’offre trop régulière provoque une lassitude. Plusieurs associations observent une forte demande en produits bruts, en fruits et légumes de la part de certaines personnes (celles qui bénéficient d’un coin cuisine dans les hôtels solidaires par exemple). Les offreurs d’aide alimentaire sont parfois en difficulté pour proposer ou utiliser certains produits qui sont parfois la base de l’alimentation de certains ménages (comme la farine). Par ailleurs, le manque de certains produits de base est corrélé avec le début du ramadan, période durant laquelle des plats traditionnels sont consommés et nécessitent des produits spécifiques pour leur préparation. Cette situation sans précédent amène même certains demandeurs d’asile à se sentir dans les mêmes conditions que dans le pays qu’ils ont fui, et se demandent comment un tel manque de choix est possible dans un pays comme la France. L’aide budgétaire, qui permet aux personnes en difficulté de rester insérées dans la société en allant faire ses courses comme tout le monde, pose la question de l’origine du financement. Si dans une société de surabondance alimentaire et de gaspillage il est possible de trouver des aliments à donner, il est pour autant plus difficile de mobiliser des financements pour distribuer des aides financières. Le respect des gestes-barrières s’avère difficile lorsque l’affluence est importante. Certains bénéficiaires ne savent pas lire ou ne comprennent pas le français. Ils saisissent donc mal la situation et les risques de covid-19. Certains organismes d’accompagnement font appel à des traducteurs pour leur apporter des explications et fournir des attestations de sorties.. Certaines personnes, notamment les plus jeunes, ne se sentent pas concernées par le risque. Il y a également des doutes quant à la véracité du fait dû à l’abondance de “fake news” et d’un climat social préalablement tendu. (1) 1 cf notamment l’ouvrage “Se nourrir lorsqu’on est pauvre” et les travaux de Dominique Paturel (Inrae), de Pauline Sherer (Leris), Magali Ramel (ATD Quart monde), etc. Nombre d’entre eux sont rassemblés sous forme de vidéos ou de policy briefs de la série “So What” sur le site web de la Chaire Unesco Alimentations du monde. Télécharger cet éclairage Pour découvrir d'autres articles proposant des analyses de l'impact de la crise du covid-19 sur les systèmes alimentaires, consultez la rubrique Eclairages

  • Bulletin de partage 4 - Les options politiques post-confinement s’affirment et s’affichent

    Sur le terrain, la crise continue à rapprocher des acteurs qui s'ignoraient. Entre le 7 et le 21 avril a eu lieu un renforcement du débat politique sur l’alimentation et l’agriculture. Il s’affirme dans les jours qui précèdent le déconfinement, avec des oppositions tranchées, et dans un flou entretenu par l’absence de cadrage politique européen. Des alliances inédites s’étaient nouées dès le début du confinement pour répondre aux attentes des consommateurs. Elles se renforcent, notamment entre organisations de la société civile et collectivités. Par exemple dans les Parcs Naturels Régionaux où “des producteurs [...] sollicitent le Parc naturel régional du Vercors et sa chargée de mission promotion et valorisation des produits agricoles pour les aider à mettre en place un système de bon de commande avec livraisons sur des points précis dans le Royans.” (chargé de mission du Parc Naturel Régional, 24 avril). Un consommateur lyonnais mentionne le 28 avril la “mise en place d'un marché de producteurs par la mairie du premier arrondissement”. Les mairies, et plus généralement les collectivités locales, sont en effet toujours en première ligne, comme nous l’avions développé dans le numéro 3. L’outil projet alimentaire territorial est présenté comme un outil pour affronter les crises : “Moi je travaille sur les projets alimentaires territoriaux, alors j'ai entendu dire que les collectivités qui en avaient étaient un peu mieux préparées aux chocs. Je pense qu'elles avaient une meilleure connaissance du tissu agricole et qu'elles ont essayé déjà de mettre en lien les différents acteurs de l'alimentation. Les outils qui sont utiles dans ce cas là pour moi ça va être les ateliers de travail, les groupes locaux, les magasins de producteurs, le bio dans la restauration (notamment collective), l'éducation au goût.” (étudiante des Pays de la Loire, en stage à Paris, 5 mai). L’action des collectivités est cependant parfois questionnée. De l’extérieur comme le fait une agricultrice du Gard le 1er mai “non seulement les politiques n’ont pas soutenu les circuits courts, mais ils n’ont pas été cadrés. Des producteurs abusent comme en période de guerre et de rationnement et risquent de mettre à mal la confiance des consommateurs”. Mais aussi à l’interne, comme le montre ce retour d’un agent territorial le 1er mai “je travaille au sein d'une collectivité à faire émerger une stratégie alimentaire et agricole en lien avec les enjeux climat. Avec mes collègues en charge de ce dossier, les avis divergent sur quoi faire de cette expérience covid-19 sur le portage de cette réflexion.[...] La lecture du rapport de Greniers d'abondance m'a donné une grille de lecture efficace. J'étais jouasse. Puis j'ai tenté de les partager avec mes collègues-alliées et ma hiérarchie sur ce dossier. Et aujourd'hui, on me dit surtout de ne pas trop penser. L'heure est à la gestion de la crise”. Mais le cas de l’alimentation, particulièrement sensible, a aussi pu inspirer des agents en charge d’autres secteurs d’activités, comme nous l'apprenons le 8 mai : “la Communauté d’Agglomération [...] a établi une carte des commerces ouverts pendant le confinement. Mon collègue du développement économique en charge de l'artisanat et des commerces a vu cette carte et souhaité faire la même chose, d'abord en cartographiant les commerces.” Nous voyons aussi apparaître sur la scène des acteurs peu mentionnés jusqu’à présent, comme la gendarmerie, sur laquelle un producteur désireux d’ouvrir un marché à la ferme déclare : “nous avons prévenu la gendarmerie et présenté l’ensemble de l’organisation du marché. Nous en avons profité pour demander à ce que les autorités passent sur les lieux le jour du marché afin d’avoir un regard critique sur ce que nous faisions et ainsi pouvoir améliorer et pérenniser cette démarche. Ceci dans le but de pouvoir la renouveler chaque semaine dans la sérénité et la joie le temps des restrictions”. A l’échelle nationale, le débat politique sur ce qu’il convient de faire après retrouve les oppositions d’avant la crise. La FNSEA a lancé un “Manifeste pour une souveraineté alimentaire solidaire. UNE ALIMENTATION POUR TOUS DANS LE RESPECT DE LA PLANÈTE” , avec l’appui des organisations de filière et du secteur coopératif agricole qui lui sont proches. Elle y met en avant un terme emblématique de la Confédération Paysanne, la souveraineté alimentaire, qui répond par une tribune dans Libération le 12 mai “La souveraineté alimentaire sera paysanne ou ne sera pas”, avec des alliés représentant des organisation écologistes, de consommateurs, paysannes ou syndicales. Pendant ce temps, la stratégie européenne “de la fourche à la fourchette”, dont la publication avait été annoncée pour le 29 avril, est une nouvelle fois reportée pour “les semaines à venir” ou “pour la semaine du 18 mai” selon IFOAM. Le motif en est que “compte tenu de la crise causée par la pandémie de coronavirus, la Commission est en train de réviser son programme de travail 2020” (selon Euractiv). Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°4 | Article précédent : Détresse alimentaire et réseaux de partage

  • Retour sur 8 semaines de confinement à l’aide de l’analyse lexicométrique

    Par Grégori Akermann, sociologue, INRAE Les contributions qui nous sont parvenues au cours des 8 semaines de confinement ont été analysées au moyen du logiciel de lexicométrie ​Iramuteq​. La lexicométrie est une méthode d’analyse statistique, qui permet d’étudier les liens entre les mots, les cooccurrences et les surreprésentations de certains mots dans des segments de textes, permettant d’identifier les dynamiques des univers lexicaux (classes) utilisés par les auteurs des contributions. Nous avons appliqué cette méthode au corpus de contributions nous étant parvenu entre le 15 mars et le 11 mai (540 contributions), mais également sur 4 sous-corpus, équivalant à chaque fois à 15 jours de contribution, afin d’identifier des évolutions dans les descriptions durant la période de confinement. Sur l’ensemble du corpus, les contributeurs nous ont beaucoup parlé de “marché” de “produit”, de “producteur”, de “légumes” et de “local” - ces cinq termes étant chaque semaine placé dans le top 10 des mots les plus utilisés. Le terme le plus utilisé pour décrire le contexte de la crise du Covid 19 est le mot ​“confinement“ qui arrive en 7e position avec 268 occurrences, soit beaucoup plus que les termes ​covid​ (n=36), ​coronavirus ​(26) ou ​virus​ (9). Tout au long des 8 semaines de confinement, l’analyse lexicométrique montre que les contributeurs ont principalement décrit 5 univers lexicaux. Un premier est celui du foyer, de la maison, du jardin, des enfants et des activités qui y sont liées (20,9% des segments). Il s’agit de décrire les temps de la cuisine, du repas, les changements d’habitudes alimentaires. Les acteurs de ces descriptions sont les parents et les enfants, qui agissent dans la maison, mais également le jardin, le potager. Un second univers est celui des produits alimentaires (19,3% des segments). Les fruits et les légumes qui sont les produits les plus décrits, mais également d’autres produits alimentaires qui prennent plus ou moins de place dans les descriptions au cours des semaines. Ces produits sont décrits dans différents espaces, celui du magasin, du panier du producteur, de la maison, ou plus généralement comme composante du régime alimentaire. Un troisième univers décrit les activités d’approvisionnement, en particulier en circuit court, en particulier les adaptations des producteurs pour (dé)livrer leurs produits alimentaires (26,9%). Ici, ce sont les producteurs, observés par des consommateurs, qui sont les principaux acteurs de ces récits. Il s’agit de décrire les nouvelles modalités de prise de commande, de vente, de livraison, dans un contexte de fermeture des marchés de plein vent. Un quatrième univers décrit plus globalement les systèmes alimentaires, les chaînes alimentaires courtes et les acteurs qui les soutiennent (19,9%). Si cette classe est très liée à la précédente, le point de vue est ici moins centré sur les activités que sur le système d’acteur. Les acteurs sont les collectivités locales, les associations, les organisations agricoles qui s’activent pour accompagner les producteurs, mais aussi les consommateurs, citoyens, habitants ou mangeurs qui sont décrits dans le système alimentaire. Un cinquième univers concerne très directement les adaptations des acteurs au contexte de la crise du Covid 19 (12,9% des segments). Les gestes barrières, les consignes de sécurités, les gants, les mains, les masques sont au cœur des descriptions. Les clients ou les gens sont décrits dans les espaces de vente, en interaction entre eux ou avec le producteur, sinon à l’intérieur ou à l’extérieur du magasin. Si l’on retrouve ces cinq classes de tout au long des 8 semaines de description, l’analyse semaine par semaine montre aussi des dynamiques. Dans les deux premières semaines, l’espace du magasin avec ses rayons vides est très présent dans les descriptions qui concernent les produits alimentaires. Le “monde” ou les “gens” présents dans les files d’attente et dans les magasins ont également marqué les esprits. L’espace de la maison et de l’appartement est décrit par seulement 20% des segments de texte. La moitié des segments de texte décrit les acteurs du système alimentaire, notamment ceux de la vente en circuit court, la modification du contexte, notamment la fermeture des marchés de plein vent, ainsi que les adaptations auxquels les acteurs qui doivent faire face. Ces adaptations concernent particulièrement les nouvelles manières d’interagir entre les producteurs et les clients, liés aux nouvelles manières de vendre (commande) et aux contraintes sanitaires (distanciation physique). ​ Dans les deux semaines suivantes, les descriptions de produits alimentaires concernent 18% des segments, les rayons vides sont moins présents et l’on voit apparaître le potager. L’espace de la maison, dans lequel on cuisine, on mange, mais également on télétravaille est toujours décrit par 20% des segments de texte. La moitié des segments concernent toujours les systèmes alimentaires, que ce soit les circuits courts représentés par le marché et les producteurs ou la GMS représentés par le “carrefour market”. ​Les semaines 5 et 6, les produits alimentaires prennent moins de place dans les descriptions (12% des segments). Les fraises et les tomates détrônent les pâtes emblématiques de la première période, les légumes et les œufs ayant marqué la seconde période. Les descriptions de la maison prennent plus de place dans les textes (32% des segments) de même que ceux des systèmes alimentaires. Internet semblent plus présents que dans les périodes précédentes. ​ Les deux dernières semaines de confinement se démarquent nettement des périodes précédentes puisqu’on y voit apparaître un nouvel univers de description, porté par une contribution qui contient 25% des mots du corpus. La présence de ce texte crée une classe très détachée de toutes les autres, qui concerne des préoccupations politiques. Le langage y est moins soutenu, le propos est teinté d'inquiétudes ou d’indignation. Une autre classe apparaît, qui permet de faire le bilan de la période de confinement, de proposer des analyses sur les changements d’habitudes alimentaires et sur les impacts du confinement. Les autres classes sont présentes, mais l’univers du foyer se retrouve en retrait avec seulement 13% des segments. Les produits alimentaires sont décrits plus en lien avec les circuits de distribution alors que dans les périodes précédentes cet univers était directement relié à celui du foyer. Ainsi, l’analyse lexicométrique permet d’identifier les variations, semaine après semaine, des univers lexicaux utilisés par les contributeurs pour décrire leurs habitudes alimentaires et les systèmes alimentaires dans lesquels ils étaient insérés. On peut voir apparaître une dichotomie entre d’un côté des descriptions qui concernent l’intérieur du foyer, l’espace de la maison, de l’appartement ou du jardin et les activités qui y sont liées et de l’autre les descriptions des approvisionnements alimentaires à l’extérieur du foyer dans les circuits courts, mais aussi la grande distribution. De plus, les observations se situent à des échelles différentes, certaines sont positionnées à un niveau micro, portant directement sur les activités et sur les pratiques observées ou mises en oeuvre par les consommateurs, les producteurs, où les acteurs du développement. D’autres observations sont plus systémiques, à positionnées à un niveau macro, portant sur l’activation des acteurs du système alimentaire pour s'adapter à la crise. Enfin, le temps est doublement présent dans ce corpus, d’une part dans les descriptions des activités qui se situent dans le temps court des activités où dans des projections qui se limitent à la semaine (un des termes les plus fréquemment utilisés) d’autre part dans les dynamiques des observations qui peu à peu se sont centrées sur le foyer avant dans les dernières semaines à reprendre de la hauteur pour faire le bilan du confinement. Télécharger cette analyse Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici.

  • Bulletin de partage 4 - Quelques nouveautés et des marqueurs du confinement qui se stabilisent

    Cette période sera la dernière du confinement avant le redémarrage progressif après le 11 mai des activités sociales et économiques. C’est l’occasion de tirer un bilan partiel, “à chaud”, des processus alimentaires observés durant la période du confinement, bilan appelé à se poursuivre et décanter dans la durée. Nous observons quelques éléments nouveaux mais surtout des faits progressivement stabilisés qui marquent la période de confinement. Durant cette dernière période du confinement, quelques éléments de situation ont trouvé une place renforcée dans les témoignages reçus et la presse : - L’enjeu de la main-d’œuvre en agriculture soulève des inquiétudes : les saisonniers étrangers manquent cette année faute de pouvoir passer les frontières, leur absence se répercute sur la disponibilité ou le prix de certains produits (asperges, fraises par exemple) ; les producteurs en circuits courts ont dû consacrer du temps à la réorganisation de la distribution de leurs produits, notamment avec davantage de livraisons, avec un impact sur l’organisation générale de leur travail (surtravail, semaines très chargées et épuisement progressif, tâches productives en partie sacrifiées ou moins bien menées…). - La période se caractérise aussi par la poursuite et le renforcement de la mobilisation institutionnelle autour de l’organisation de la vente directe du producteur au consommateur, pour répondre aux nécessités du moment mais aussi pour envisager l'après confinement. - Dans ce domaine des circuits courts et/ou de proximité s’est installé un relatif jeu de concurrence entre systèmes de paniers organisés par les producteurs et paniers de produits locaux/bio avec des intermédiaires spécialisés capables d’être commercialement “plus agressifs”. - La réouverture des marchés avec gestes barrière a été vécue de manière mitigée de la part des vendeurs et des clients (pas de convivialité, vendeurs débordés, beaucoup d’attente, doutes sur l’adoption très variable des gestes barrière) Les personnes qui témoignent à travers l’enquête commencent à envisager l’après-crise. En particulier, l’avenir des innovations expérimentées pour distribuer les produits agricoles et alimentaires, livraisons à domicile en particulier, se pose. L’augmentation des prix des produits alimentaires observée, d’après les témoignages reçus, dans les supermarchés et chez des primeurs inquiète et déclenche des réactions parfois indignées (de producteurs ou de consommateurs). Objectiver cette évolution générale des prix alimentaires durant la période de confinement reste cependant un travail de moyen terme à mener. Au fil des semaines, certains éléments d’observation se révèlent stables et constituent des marqueurs nets du fait alimentaire au cours de cette période de confinement. Le temps retrouvé, notamment pour la transformation domestique, constitue un marqueur important de cette période de confinement. Faire à la maison, “faire son pain” en particulier, aura constitué un fait social qui n’a cessé de se renforcer durant le confinement, avec pour conséquence une pénurie relative de farine dans les rayons des commerces alimentaires. Le fait est surprenant compte-tenu du maintien de l’ouverture des boulangeries et des grandes surfaces, et ne peut sans doute se réduire à l’objectif de limitation des interactions sociales lors des achats : le confinement a probablement déclenché des dynamiques de réidentification autour de gestes et de produits fortement porteurs d’une symbolique de lien culturel et social d'abord, de reprise en main de sa propre sécurité alimentaire ensuite, de plaisir de la table enfin, dont le pain frais et la pâtisserie sont des emblèmes. L’autoproduction de l’alimentation par les consommateurs eux-mêmes se renforce comme un phénomène social marquant de cette période du confinement, avec en outre durant cette dernière période l’émergence d’une dimension professionnelle, des envies de s’installer agriculteur. Le renforcement des systèmes de commandes en circuits courts s’est également confirmé, tant à travers des dispositifs formels qu’informels (regroupement de voisins pour commander, appels entre producteurs et leurs clients habituels du marché pour livraisons…). Cette dynamique a suscité l’enrôlement de nouveaux consommateurs qui ont découvert ce mode de consommation. La stabilité dans le temps de ces nouvelles pratiques reste une question ouverte. Les initiatives qui ont été très sollicitées réfléchissent à l’essaimage. Plus largement, les gestes d’entraide et de solidarité entre voisins autour de l’alimentation auront constitué un autre fait social marquant du confinement, avec différentes échelles d’organisation du palier au quartier, et avec des collectifs préexistants ou émergents sur le moment. Dans le domaine social, les demandes adressées aux dispositifs de l’aide alimentaire ont également explosé durant le confinement, témoignant d’une mise en difficulté massive de populations qui parvenaient jusque là tant bien que mal à se nourrir sans aide extérieure. Cette explosion des demandes adressées à l’aide alimentaire révèle durement l’existence d’une frange significative de populations échappant jusque là de peu, au quotidien, à la grande précarité économique, dans laquelle la crise les a précipitées. Ce bilan structurel constitue nécessairement une composante majeure des réflexions politiques à présent et pour l’après-crise. Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°4 | Article suivant : Un fonctionnement alimentaire de croisière avant le déconfinement

  • Bulletin de partage 4 - Locale, collective ou issue du jardin : des tendances qui s'affirment

    Approvisionnement en circuits courts, organisation entre voisins, mise en place d’un potager : trois tendances fortes de la période de confinement, que cette dernière quinzaine vient confirmer. Les initiatives mises en place entraînent des consommateurs vers de nouveaux modes de consommation. Cette nouvelle quinzaine de confinement a conforté les tendances déjà identifiées en matière d’approvisionnement. Les consommateurs qui consommaient déjà des produits locaux et achetaient en circuits courts restent convaincus d’avoir fait le bon choix : “Nous étions conscients avant la crise de l'importance d'une consommation responsable, ce sentiment est vraiment renforcé depuis le début du confinement et il perdurera par la suite.” (consommatrice de la banlieue parisienne, 21 avril). “Augmentation de la part locale (qui était déjà très importante) dans un esprit de solidarité avec les producteurs impactés (consommateur, 29 avril, Dpt 62, campagne). Certains en profitent même pour aller plus loin dans leur démarche d’achat de produits locaux, en allant davantage faire leurs courses à pied ou en vélo - aussi parce qu’il y a le temps ou pour la promenade - ou bien en étendant la gamme de produits : “nous avons découvert le "papier toilette de Normandie" au magasin bio : l'occasion d'effectuer un transfert d'achat de l'économie centralisée à l'économie circulaire régionale qu'on va certainement pérenniser.” (consommatrice de Normandie, 3 mai). La fermeture des marchés ou bien leur réouverture seulement partielle, ainsi que les files d’attente devant les magasins bio ont toutefois réduit la possibilité de certains de continuer à s’approvisionner en bio et/ou local dans des conditions satisfaisantes pour eux : “Les nouvelles conditions de circulation et d'accès au marché sont tellement restrictives que j'éprouve de la réticence à l'idée de m'y rendre” (consommatrice, banlieue parisienne, 9 mai); “Je mange bio en majorité. La suppression du marché m'a contrainte à acheter certains légumes en supermarché ou à m'en priver. J'ai profité de la première livraison de paniers [proposée par un intermédiaire] que j'ai trouvée, mais les producteurs n'étaient pas tout à fait locaux et les prix étaient plus élevés qu'auprès de mes producteurs sur le marché. Localement, dans un premier temps, mes producteurs habituels ou bien n'avaient rien mis en place – la communication est toujours médiocre d'ailleurs –, ou bien je n'avais pas leurs coordonnées (et j'ignore leur nom) ; d'autres, en cette période d'entre-deux saisonnier, n'avaient plus rien pour une nouvelle clientèle, réservant, cela se comprend, leurs produits pour les habitués.” (consommatrice, Côtes d’Armor, 3 mai). Ces nouvelles conditions peuvent aussi avoir des effets inattendus et intéressants : “J'ai d'abord continué à aller au marché lorsqu'il a pu être remis en place. Malheureusement, les mesures sanitaires indispensables rendent l'expérience longue et sans la possibilité habituelle d'en faire un moment de partage social. Je me suis donc rabattue sur les magasins de producteurs pour les produits frais et sur les épiceries bio pour le reste. Ces dernières pratiquant tout de même des prix élevés, je fais dorénavant beaucoup plus attention à utiliser l'intégralité de mes légumes (notamment les fanes et épluchures) ainsi que plus de conserves afin de réduire mes dépenses. Je constate que je produis moins de déchets depuis le début du confinement” (consommatrice de la Drôme, 4 mai). Parallèlement, des consommateurs qui ne consommaient pas ou peu de cette façon et qui s’y sont mis - y compris de manière résignée mais parce que l’achat de produits frais y devenait selon eux plus simple ou plus sûr - continuent d’en percevoir l’intérêt. On ne note pas de “retour en arrière” pendant cette période et les quelques projections déclarées n’annoncent pas non plus l’envie forte de revenir à la situation d’avant la crise, même si certains se demandent si les nouvelles formules proposées perdureront. Beaucoup, en effet, apprécient la livraison à domicile mais aussi le regroupement entre voisins pour faire ses courses et échanger les bons plans en matière d’offre de produits locaux : “Via des réseaux de voisinage et personnels, nous sommes entrés dans deux circuits d'approvisionnement : un groupement de producteurs (fruits & légumes, lait, fromage, pâte fraiche) ; des maraîchers qui occupaient une place sur le marché et qui ont organisé eux-mêmes avec l'aide d'amis-bénévoles, un catalogue en ligne et des points de livraison - très pratiques car très proches de chez nous” (consommatrice, Montpellier, 29 avril). L’intérêt pour la livraison à domicile profite plus largement aux commerces de proximité qui arrivent à mettre en place ce service, lequel, toutefois, peut être difficile à gérer et s’avère fatiguant. Une autre tendance forte que vient conforter cette nouvelle quinzaine de confinement, en effet, est celle de l’organisation entre voisins ou amis pour faire ses courses, en mutualisant les achats et les déplacements. Ces façons de faire étaient parfois pratiquées ponctuellement mais la crise les a développées et amène ainsi des personnes à consommer différemment: “Ceci [le regroupement entre 3 voisines pour l’achat de denrées] se produit ponctuellement d’habitude, mais plus régulièrement maintenant. Mais une idée de mutualisation de matériel et de transports... avait déjà émise avant l’épisode Covid 19, qui d'une certaine manière, concrétise à petite échelle qq chose qui n'avait pas encore été mis en place. Pour une des trois participantes, approvisionnement auprès de producteurs locaux était déjà une préoccupation importante [...]. Pour les 2 autres, le recours à des achats auprès de producteurs s'est amplifié.” (consommatrice du Tarn, milieu rural, 28 avril). Ces mutualisations bénéficient en effet souvent à des producteurs locaux, avec des consommateurs qui s’impliquent parfois beaucoup en ce sens : “j'ai mis en place dans mon quartier une livraison hebdomadaire de légumes en provenance d'un maraîcher pour environ 11 familles; J'ai récolté les commandes, les ai transmises au maraîcher, récolté les chèques, aidé le livreur dans la livraison” (consommatrice, Alsace, 3 mai). ”J'ai organisé une commande et livraison de paniers pour mes voisins. Nous avons commencé à 6, nous sommes 30. Les jours de livraisons deviennent des temps de rencontres pour les personnes qui ne se connaissaient pas. Des personnes qui ne consommaient pas des produits locaux, bio et de saison s'y sont mis. Un petit rien, mais qui fait du bien !” (consommatrice, département 29, 4 mai). S’ajoute également pour certains le fait de faire des courses pour des parents ou des personnes vulnérables, ce qui peut aussi amener à modifier sa consommation, dans une direction parfois différente: “Nous gardons toujours une visite par semaine en grande surface parce que nous faisons les courses pour nos aînés et le choix de leurs produits de consommation n'est pas le même que nous, mais systématiquement nous revenons avec des aliments pour nous. Moi je le vis comme un "craquage" et mon conjoint assume l'achat de gâteaux ou paquet de brioches, ce n'est jamais dans l'excès, mais nous ramenons toujours qq choses!” (consommatrice, Morlaix, 29 avril). Enfin, l’intérêt pour le potager, de la part de personnes qui ne le faisaient qu’un peu ou ne le faisaient pas du tout, est confirmé par de nombreux témoins, qui pensent aussi souvent que même si cela ne durera pas, cela laissera des traces : “Ma voisine pourtant peu intéressée par le jardinage, a décidé au cours de cette période de confinement de lancer un petit potager avec son fils de 10 ans. Il y a longtemps qu'ils appréciaient mon potager mais disaient le projet impossible pour eux. Après l'achat de poules en février, les voilà qui se lancent dans un potager et cherchent des conseils. Je ne sais s'ils persévéreront mais ce souci de manger local et pour sa propre production aussi petite soit elle est devenue une réalité pour eux. Même si le potager n'est pas un grand succès, ils auront (les enfants surtout) découvert ce que cela suppose de produire des légumes” (consommatrice du Département Ile-et-Vilaine, 22 avril). “Je loue une parcelle de 200 m2 aux jardins familiaux de Lons-Le-Saunier depuis mai 2019. L'an dernier et même en début d'année 2020, on a constaté qu'il y avait beaucoup de jardins vacants (une quinzaine sur la cinquantaine au total). Là avec l'effet confinement, il y a plein de nouveaux jardiniers et jardinières. Mes nouveaux voisins habitent en appartement et ils m'ont dit qu'à force de venir se promener à pied à côté des jardins pendant le confinement, ils ont sauté le pas.” (consommateur du département du Jura, 27 avril). Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°4 Article précédent : Un fonctionnement alimentaire de croisière avant le déconfinement | Article suivant : La situation des agriculteurs et des chaînes alimentaires

  • Bulletin de partage 4 - La situation des agriculteurs et des chaînes alimentaires

    Les retours que nous avons reçus et les divers articles de presse consultés confirment les tendances déjà évoquées dans les bulletins précédents, sans apporter beaucoup de nouveaux éléments. La situation est toujours difficile pour de nombreuses filières agricoles confrontées au manque de main d'œuvre, à des emplois du temps chargés, et à des marchés perturbés. L'avenir de certaines activités pose question, les processus de fixation des prix agricoles sont impactés Durant cette quinzaine, le développement des dispositifs de livraison s’est confirmé. Cela reste accompagné d’une surcharge de travail, et d’inquiétudes sur les conséquences économiques ou la mise en production pour la saison à venir : “L'un après l'autre, tous les restaurants de la commune, jusqu'alors fermés, proposent des plats à emporter. Le restaurant gastronomique propose des plats faciles à réchauffer, « en dessous » de sa gamme habituelle (pizzas, paella) et les autres ont suivi.” (consommateur, Bretagne, 24 avril) “Les commerces fixes ont mis en place des règles plus en réponse à une certaine pression que de leur propre volonté. Il y a une forte demande de livraisons ou de pouvoir passer commande, ce qui a valu des prises de commande par téléphone, préparations de commande et livraisons exténuantes pour les commerçants et leurs employés.” (consommatrice, Normandie, 3 mai) “Le constat partagé oralement avec les producteurs, c'est une multiplication par trois ou quatre des commandes. D'ailleurs, tous proposent désormais des commandes en ligne via le site, par e-mail ou SMS, même s'ils font de nouveau les marchés (qui viennent de réouvrir). Par ailleurs, les besoins de main d'oeuvre ont été multipliés par deux (je suis d'ailleurs, à cette occasion, ouvrier maraîcher sur besoin, déclaré pour la première fois en tant que tel !) et le manque de production (circuits courts) est criant, de même que le temps consacré à la production. Le temps de travail des agriculteurs semble exploser : 80h par semaine pour T. (chef d'exploitation), en l'occurrence, qui maraîcher - éleveur, est déjà pas mal occupé au printemps normalement (60h), avec une augmentation des livraisons en tournée pour le chef d'exploitation.” (agent de développement provisoirement ouvrier en maraîchage, Pays de la Loire, 30 avril) “Je suis productrice de viande bovine bio et j’avais une date de vente la deuxième semaine du confinement. Une semaine avant la vente, j'avais encore 140kg à placer et je commençais à m'inquiéter. Je venais d'entamer des démarches auprès des Comités d'entreprise de la ville voisine et tout tombait à l'eau en raison du confinement. J'ai fait passer un message à mes clients habituels qui se sont rués sur l'opportunité. Message dimanche soir 21h. Avant 12h le lundi, je n'avais plus de stock et les commandes continuaient d'arriver ! Je ne fais jamais de vente à partir du mois d'avril, car je dois récolter mes foins et ceux-ci dépendent de la météo ! Mais, cette année, je vais tenter une nouvelle vente le 20 juin : aujourd'hui, sept semaines avant la date, je n'ai plus que 120kg à placer. Je ne suis pas inquiète pour la vente, plutôt pour le foin si le créneau météo est étroit !” (productrice, Nouvelle Aquitaine, 4 mai) Dans ce contexte de surcharge, la presse relaie certaines expériences de volontaires agricoles, venus pallier l’absence de main d’oeuvre étrangère, avec un succès varié : « Il faut faire attention à ce qu’ils font. Si j’ai au milieu de ma caisse de petits pois des gousses qui sont vides, je serais obligé de les trier et de jeter la moitié de ce qui a été fait. » Fabien parle d’expérience, il y a une semaine, il a fait appel à un autre volontaire. Résultat : il a dû jeter une grande partie de ce qui avait été ramassé. (un maraîcher, France2, Envoyé Spécial, 23 avril 2020) « L’ambiance était excellente » témoigne Félix, un des travailleurs venus prêter main forte au producteur, dans l’Oise agricole. L’employeur, lui aussi, est très satisfait. Les personnes venues travailler « étaient extrêmement motivées, ce qui fait qu’elles sont toutes restées jusqu’au bout malgré la pénibilité de la tâche », souligne l’agriculteur. Pourtant, tous n’étaient pas des habitués des travaux agricoles. Mais pour lui, cela a permis de « créer du lien entre consommateurs et agriculteurs ». (un maraîcher, Réussir, 23 avril 2020) “Certains volontaires voulaient surtout sortir de chez eux, ils étaient dans un schéma de divertissement, dans ces cas-là, ils n'ont pas fait l'affaire ou ont renoncé.” (responsable emploi de la FNSEA, Le Parisien, 8 mai 2020) Le succès des dispositifs de livraison par les agriculteurs ou les artisans du domaine de l’alimentation ne s’étend cependant pas à tous : “Sur le plan professionnel j'ai commencé mon stage dans des conditions de confinement, en télétravail donc. Comme je fais un travail en relation avec l'agriculture et l'alimentation j'ai appris beaucoup de choses sur les impacts à géométrie variable de la crise sur les différentes filières agricoles : certes les circuits-courts sont remis « au goût du jour » mais pas tous, beaucoup de productions ne sont pas adaptées, les éleveurs perdent des débouchés…” (Pays de la Loire, 5 mai) “En activité depuis six ans, cuisinière avec des produits locaux et principalement bio. J'ai plusieurs activités : les prestations et livraisons traiteur (une grosse moitié de mon CA), mais aussi une boutique et un stand sur un marché hebdomadaire. Avec les mesures de confinement, toutes les prestations déjà prévues de mars à juin ont été/sont aujourd'hui reportées (pour certaines avec une date, fin 2020 ou en 2021, pour d'autres non), voire annulées (ce qui rime parfois avec remboursement de l'acompte versé). A cela s'ajoute les incertitudes liées à la possibilité d'organiser des rassemblements au cours de l'été ou de l'automne : je ne reçois donc que de très rares demandes de devis (un pour cet été, trois pour 2021). Alors qu'il s'agit en général d'une forte période de demandes pour des prestations et/ou des devis pour les prochains mois. Pour faire face à la fois, à cette chute brutale d'activité et au manque de perspectives pour une reprise, j'ai développé depuis début avril : 1/ la vente de bocaux sous-vide auprès d'épiceries (j'en produisais déjà pour ma boutique, mais avec ce débouché, j'ai triplé ma production de ces bocaux) ; 2/ la vente de mes plats en ligne soit directement, soit via une plateforme de distribution de produits locaux auprès des particuliers. Ma démarche a été de penser une évolution de mes débouchés qui pourra être pérenne quand les prestations traiteur pourront reprendre.” (cuisinière, Normandie, 28 avril) Cette pression sur les prix revient particulièrement autour de la quinzaine, avec des témoignages dont le ton se durcit autour du mode de fixation des prix : “Un maraîcher livrant en bas de mon immeuble déplorait l’attitude de ses collègues : « des collègues ont laissé tomber certaines productions pour des produits qu’ils peuvent bien valoriser. Dans les supermarchés, leurs tomates sont passées à 4€/kg. Ils m’ont dit « Attends les cerises, tu vas voir, tu vas te gaver...! A plus de 6€ du kg. Je leur ai répondu : « non mais je ne suis pas comme ça. Je livre mes clients. » Ça me met hors de moi. A la Biocoop, j’ai vu des endives à presque 10€/kg, des tomates cerises à 15€/kg, des pommes de terre à 2€40/kg, etc...!! Un consommateur m’a dit : « Ben voilà... Du coup, j’achète de la tomate espagnole ». Pour ma part aussi, j’achète des légumes à la Biocoop venant d’Italie, d’Espagne, du Portugal. La suppression des marchés plein vent a des lourdes conséquences. Non seulement les politiques n’ont pas soutenu les circuits courts, mais ils n’ont pas été cadrés. Des producteurs abusent comme en période de guerre et de rationnement et risquent de mettre à mal la confiance des consommateurs. C’est sur cette base qu’Edouard Leclerc a lancé après la seconde guerre mondiale les supermarchés (fiabilité des prix pour les consommateurs et les producteurs et promesses d’achat réguliers au producteur).” (agricultrice, Occitanie, 1er mai) “Depuis le début du confinement, la fermeture des restaurants et de beaucoup d'entreprises, la grande distribution est devenue le seul débouché pour les producteurs. Mais selon les éleveurs, elle en profite pour baisser encore les prix. Des éleveurs ont décidé de cesser de vendre leurs bêtes. « On a vécu des moments difficiles avec le confinement, la fermeture de tous les restaurants, et le remplacement de toute cette consommation par l’approvisionnement en grande-distribution. » explique Emmanuel Bernard, éleveur bovin à Cercy-la-Tour.” (France 3 Bourgogne-Franche Comté, 28 avril 2020) « Alors que nos coûts de production sont de 40 centimes par litre, les cours du lait se sont effondrés à 27 centimes. » Des éleveurs laitiers épandent de la poudre de lait dans leurs champs dans plusieurs pays d'Europe pour protester contre les mesures jugées inefficaces de l'UE suite à la chute des cours. (Le Figaro, 7 mai 2020) Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°4 Article précédent : Locale, collective ou issue du jardin : des tendances qui s'affirment | Article suivant : Avant le déconfinement, une multitude d'initiatives dans les circuits courts

  • Bulletin de partage 4 - Avant le déconfinement, une multitude d’initiatives dans les circuits courts

    Les témoignages reçus sur cette période soulignent la multitude d’initiatives portées par les acteurs des circuits courts (agriculteurs, associations et citoyens). Celles-ci perdureront-elles avec le déconfinement ? Une adaptation à nouveau soulignée des circuits courts face aux contraintes du confinement Sur cette dernière période de confinement, les témoignages soulignent à nouveau les reconfigurations opérées par de nombreux acteurs des circuits courts qui ont fait en sorte de s’adapter aux mieux aux contraintes permettant un maintien des ventes, voire une augmentation de celles-ci comme souligné dans le précédent bulletin (BP 3 - Des circuits courts toujours attractifs mais des interrogations pour la suite). La contrainte majeure soulignée pendant cette crise étant celle de la fermeture des marchés sur certains territoires. Agriculteurs Acteurs centraux des circuits courts, la « capacité des agriculteurs à faire évoluer très vite leur circuit eux-mêmes (avec conditions favorables : déjà en vente directe, capital social élevé, compétences informatiques directes ou parmi les proches, etc) » (consommateur, Occitanie, 27 avril) a été remarqué par de nombreux clients, habituels ou non, de ces circuits. On peut citer par exemple cette initiative d’organisation d’un marché : « 3 primeurs et un producteur d’œufs se sont organisés entre eux pour faire face à la fermeture du marché du samedi à Belleville Sur Saône. Ainsi ils ont organisé dans l'enceinte du local d'un des primeurs un mini-marché autogéré avec une offre en fruits et légumes, viande et fromage. Via les réseaux sociaux dédiés aux initiatives locales, ils ont informé les consommateurs habituels du marché qui se rendent en masse les samedis matin. Par contre les autres producteurs vendant habituellement au marché et provenant d'un peu plus loin n'ont pas été intégrés à la démarche » (consommateur, Auvergne-Rhône-Alpes, 18 avril) Associations Les associations, déjà en place ou nouvellement créées, ont également joué un rôle clé pour permettre une adaptation des circuits courts et permettre de faire le lien entre agriculteurs et citoyen via des formes de ventes déjà en place ou adaptée. Le témoignage du Marché d’Intérêt Local du Perche est une illustration de l’implication d’une association pour maintenir des débouchés pour les producteurs locaux et ouvrir les circuits courts à tous types de consommateurs : « Nous sommes une association, le Marché d'Intérêt Local du Perche, constituée d'agriculteurs, citoyens et professionnels de la restauration. Notre activité depuis 4 ans consiste à développer l'approvisionnement en produits locaux, de qualité, dans la restauration professionnelle (collective et privée), par le biais d'une plateforme logistique (achat/revente) et d'actions de formation et de sensibilisation. Les restaurants privés et collectifs ayant dû fermer leurs portes depuis le début du confinement, nous avons subi une baisse très importante des commandes bien que les demandes des épiceries soient plus importantes. […] Cette baisse d'activité nous a laissé un peu de temps pour étendre notre service d'approvisionnement auprès des particuliers. Cela a nécessité la création d'un catalogue dédié (la demande n'étant pas la même de la part des particuliers, les conditionnements différents etc..), la mise en place d'une nouvelle plateforme de prise de commande en ligne (pourcentage de marge différent / module de paiement en ligne.) et bien sûr toute une réadaptation de notre organisation en interne : depuis la préparation des commandes chez le producteurs, à la récupération et le rassemblement des produits pour chaque commande de particulier, jusqu'à la livraison à domicile, sur tout le territoire du PNR du Perche. […] Nous avons tout type de clients "particuliers", tout âge, toute CSP, des locaux ou des parisiens en confinement sur le territoire. Certains découvrent ces produits et producteurs pour la première fois et opèrent un changement dans leur alimentation, d'autres y étaient déjà familiers. » (PNR du Perche, 3 mai) Plusieurs témoignages, notent également la création d’AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne), l’adoption de dispositions temporaires pour une commande-livraison à la demande en complément de l’abonnement ou de mise en place de distributions de paniers : « Une amap s'est formée dans ma ville, ce à quoi j'ai hâte de participer et j'attendais avec impatience » (consommateur, Haute Normandie, 4 mai) « Depuis le début du confinement et la fermeture du café associatif, l'association du Contrevent qui s'occupe du projet associatif du P'tit bar a décidé de poursuivre les distributions de paniers de légumes, de pain et de produits locaux mis en place depuis l'ouverture de l'épicerie le 7 octobre dernier. La demande de paniers de légumes a augmenté au point que nous refusons du monde encore aujourd'hui et sommes à la recherche d'autres producteurs ! Les fromages, miel, pain, poulets, farines, tisanes, galettes...etc. issus de circuits courts et proposés au P'tit bar ont un grand succès. Nous constatons un réel plaisir des villageois à venir à ce rendez-vous qui représente bien plus qu'un temps de consommation pure. » (bénévole, Bretagne, 29 avril) D’autres ont contribué à l’ouverture de marché pour pallier les fermetures : « Organisation d'un marché Pas touche à la salle des fêtes de Ramonville avec une distribution de produits locaux avec des producteurs qui ne trouvaient plus de débouchés suite à la fermeture des cantine, restaurant et marchés de pleins vents. Des mesures sanitaires strictes qui ont permis l'autorisation et la mise à disposition de la salle des fêtes municipales. Trois structures associatives ont organisé ce marché qui connaît depuis une fréquentation entre 150 et 200 commandes sur un outil de commande qui était utilisé en amont de la crise et qui a été développé spécialement pour la crise en vue de pérenniser les actions. » (consommateur, Occitanie, 29 avril) Citoyens Les citoyens ont également, individuellement, été porteurs d’initiatives, un témoignage est repris ici d’autres sont proposés dans la rubrique Locale, collective ou issue du jardin : des tendances qui s’affirment en matière d’alimentation : “Nous avions l'habitude de faire le marché du Dimanche mais celui-ci étant fermé nous nous approvisionnons différemment. Une voisine a contacté un vendeur de fruits et légumes afin qu'il vienne vendre dans notre copropriété, nous lui avons donc réservé quelques places de parking et il vient tous les Vendredi pendant 1h30. C'est très pratique pour grand nombre d'entre nous qui devait se rendre au supermarché faire 2h de queue. Certains voisins le trouvent cher mais à bien y réfléchir, étant donné que je cuisine tout, que rien n'est gaspillé et que je n'achète aucun produits alimentaires au supermarché (à part farine, lentilles et pâtes), je m'y retrouve.” (consommateur, Auvergne-Rhône-Alpes, 29 avril) Un impact tout de même ressenti de la crise Malgré les nombreuses initiatives présentes sur tout le territoire, la crise impacte tout de même de nombreux producteurs en circuits courts (voir La situation des agriculteurs et des chaînes alimentaires) et leurs clients. La fermeture des marchés et leurs réorganisations, soulignée précédemment n’a pas toujours pu être compensée par des initiatives adaptées imposant à certains un changement de mode d’approvisionnement : « Le marché de plein air de notre village a été interdit et l'autorisation de réouverture demandée par le Maire a été refusée par le Préfet à deux reprises, ce qui a eu pour résultat des files d'attente à l'allure soviétique à l'extérieur du magasin de primeurs On a parfois vu un seul marchand de quatre saisons sur la place le jour du marché, sans vraiment comprendre en quoi c'était différent d'un marché. » (consommatrice, Normandie, 3 mai). « Habitant de centre urbain, 170 000, mes achats alimentaires étaient principalement aux marchés forains, l' "épicerie" en magasins bio (Biocoop, La Vie Claire, autres local), la boulangerie de (très grande) proximité (avec ou sans bio). La fermeture des marchés forains est une mesure particulièrement néfaste et contre-productive avec les prétentions à la re-localisation. » (consommateur, Auvergne-Rhône-Alpes, 5 mai) « Je me rendais avant le confinement au marché de Villeparisis, le dimanche matin, pour acheter des légumes à des producteurs. Puis les marchés ont été fermés. Le marché de Villeparisis a été rouvert peu de temps après, avec la mise en place de nouvelles conditions d'accès. Les producteurs ont leurs étals dans la halle. Pour y accéder, plus qu'une seule entrée, avec contrôle des attestations par des policiers, puis obligation de suivre un parcours, le même pour tous quel que soit l'endroit de la halle où vous souhaitez vous rendre. Le deuxième dimanche où je m'y rends après l'instauration de ces conditions, une longue file d'attente près de l'étal de producteurs seine-et-marnais où je vais. Les deux productrices sont tellement la tête dans le guidon que lorsque je lui pose une question, celle qui me sert ne l'entend pas. Les échanges sont restreints au strict minimum. Je n'y suis plus retournée depuis. En effet, le troisième dimanche (le 2 mai), la file devant la halle m'a dissuadée d'y acheter des légumes. [..] Les nouvelles conditions de circulation et d'accès au marché sont tellement restrictives que j'éprouve de la réticence à l'idée de m'y rendre. » (consommateur, Ile de France, 9 mai) Et maintenant ? Ce bulletin prend en compte les témoignages jusqu’au début du déconfinement (11 mai 2020). A ce stade, les acteurs des circuits courts s’interrogent sur la pérennité des initiatives portées (en plus des interrogations liées à la production et aux enjeux de communication soulignés dans le précédent bulletin ) et les suites à donner. Certains souhaitent ainsi maintenir des initiatives mises en place et complémentaires d’actions menées : « Nous souhaitons pouvoir continuer ce service sur le long terme en opérant une économie d'échelle et un gain de temps en couplant l'approvisionnement pour les pro et pour les particuliers. Il se pourrait finalement que ce nouveau service nous aide à trouver un modèle économique viable et plus sécurisé sur le long terme et qu'il réponde à une demande locale. Un service de commande en ligne de produits locaux vient compléter l'offre déjà disponible sur le territoire au travers des magasins physiques (magasin de producteurs, ventes à la ferme, marché) et répond à un besoin et un usage différent. » (PNR du Perche, 3 mai – témoignage débuté plus haut) Alors que d’autres souhaitent favoriser l’essaimage pour ne pas atteindre une taille trop importante : « On n'a pas forcément envie de trop grossir mais plutôt aider à l'essaimage de notre système. Nous sommes prêts à soutenir des initiatives du même genre. » (Déclaration d’un consom’acteur dans un dispositif de vente sur site Ouest France, 6 mai) Les prochaines semaines nous diront quelles initiatives perdurent et si le plébiscite des circuits courts se maintient pendant le déconfinement. Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°4 Article précédent : La situation des agriculteurs et des chaînes alimentaires | Article suivant : Détresse alimentaire et réseaux de partage

  • Bulletin de partage 4 - Détresse alimentaire et Réseaux de partage

    Les retours de ces 15 derniers jours viennent confirmer les tendances relevées dans les bulletins précédents. Deux points déjà évoqués ressortent clairement : la détresse alimentaire et les réseaux de partage. La détresse alimentaire reste un point d’orgue avec des situations personnelles difficiles : "L'aide alimentaire est absente à ma connaissance, mais n'ayant ni télé ni journal (je n'en ai pas les moyens...), je ne suis pas forcément au courant de tout. Prélèvements imprévus et élevés de certains organismes : de grosses difficultés financières. On essaie de récolter un maximum de plantes sauvages comestibles, même si elles restent peu nombreuses dans nos environs Pour faire des cakes salés ou des salades avec ce que l'on a pu trouver d'œufs, des restes de farine ou de graines de lin broyées trouvées dans les placards... On achète des plants de tomates des graines, des pots, des fruitiers... Autant que possible lors de promotions où ces plants sont encore abordables (...) Le congélateur nous permettra de tenir autant que faire se peut... Mais être confinés lors d'une saison, où les fruits se font rares voire inexistants au jardin : c'est très dur" (Consommatrice, Bretagne, 4 mai). Cette détresse semble de plus en plus prégnante : "Nous observons de plus en plus de gens demandeurs d'aide alimentaire que ce soit dans la rue ou dans des squats de fortune dans tout le 93. Beaucoup d'appels également de particuliers en détresse qui nous demandent des colis alimentaires pour tenir la semaine car ces personnes ne travaillent pas en ce moment" (Association Entraides Citoyennes, 29 avril) ; "On a vu des cas extrêmement problématiques, des personnes qui n’avaient pas mangé depuis deux, trois jours, d’autres qui étaient contraintes de faire les poubelles. Il y a vraiment des conditions financières dramatiques, en plus, souvent, d’une détresse psychologique" (Politis, 22-04). Nous notons en tête de la rubrique “comportement dans les foyers” que certains ont atteint ou dépassé leurs limites monétaires et tombent dans une situation dégradée. Pour y faire face, les associations et les collectivités continuent à se mobiliser. L’aide alimentaire « classique » perdure : "Des distributions alimentaires ont été mises en place sur le campus de Grenoble pour venir en aide aux étudiants précaires pendant le confinement. Un appel aux dons est en cours pour acheter davantage de denrées alimentaires" (article France 3 Auvergne-Rhône-Alpes). De nouveaux modes d’action apparaissent, comme le panier suspendu : "Pour soutenir les foyers les plus démunis et les agriculteurs durant cette épidémie de coronavirus (Covid-19), le Département [de la Gironde] a mis en place les paniers suspendus. L’idée est simple et s’inspire du concept des cafés suspendus. Ainsi, des Girondins et des Girondines utilisant la plateforme de vente directe de produits locaux, Nos producteurs chez vous, peuvent participer à l’achat de paniers suspendus qui seront destinés aux personnes en difficulté" (Chargée de mission Toulouse Métropole, Midi-Pyrénées, 5 mai, aussi sur le lien, 21 avril). Certaines personnes cherchent de nouvelles sources de revenu, par exemple en changeant de secteur d’activité : "Depuis le début du confinement en mars 2020, ne pouvant pas exercer mon métier de guide touristique, j'ai travaillé dans deux commerces alimentaires différents chez qui j'étais cliente" (Guide touristique, Ile de France, 28 avril). Parallèlement, les réseaux de partage continuent de se développer. Comme nous l’avions déjà observé, ils peuvent s’appuyer sur des réseaux préexistants ou non ; ils correspondent généralement à des lieux identifiés ; et ils peuvent naître d’une initiative individuelle ou collective : Entre voisins, collectif préexistant : " J'ai fait connaissance avec des voisin.e.s amapien.ne.s et nous nous répartissons les distributions" (amapienne, 91120, 30 avril) ; « Le jardinet est devenu un lieu de rencontre et de partage, certains habitants participent principalement à l'arrosage, et en profite pour s'oxygéner" (Consommateur, Auvergne, 27 avril). Dans l’immeuble, collectif né de la crise : "La solidarité au sein de l'immeuble s'est mise en place : récupération de paniers de légumes du producteur pour les habitants de l'immeuble. On partage les bons plans du quartier pour acheter local / bio, faire les courses et partager des "plats maison" pour les voisins qui sont âgés et ne peuvent pas bouger“ (Consommateur, Rhône-Alpes, 22 avril)" Dans le quartier, collectif préexistant : "Notre Epicerie participative s'est organisée pour continuer à fonctionner et protéger les adhérent.e.s : une personne coud et met à disposition gratuitement des masques lavables pour les adhérent.e.s qui font la permanence d'épicier" (amapienne, Ile de France, 30 avril). Dans le quartier, collectif né de la crise : "Cette deuxième boutique est gérée par une femme qui a tissé des liens forts avec les autres commerçants du quartier. Elle a fait la promotion de la réouverture du fleuriste et elle a mis en place, grâce au bouche-à-oreille, un service gratuit de dépôt et retrait de paniers de légumes, livrés par des maraichères travaillant habituellement sur le marché, le mardi et le vendredi" (Guide touristique, Ile de France, 28 avril). Dans la commune, initiative individuelle : "J'ai contacté 2-3 personnes seules de ma commune pour prendre de leurs nouvelles et les dépanner au besoin (alimentation, discussion...). Je continue à travailler, donc n’ai pas beaucoup de temps disponible, mais étant seule en appartement, j'ai voulu bien occuper mes soirées et weekend" (Consommatrice, Rhône-Alpes, 4 mai). Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°4 Article précédent : Avant le déconfinement, une multitude d'initiatives dans les circuits courts | Article suivant : Les options politiques post-confinement s'affirment et s'affichent

  • Covid-19 et Systèmes alimentaires, "Manger au temps du coronavirus" - Bulletin de Partage 4

    Pour ce quatrième numéro du bulletin de partage de l’enquête “Manger au temps du coronavirus”, nous couvrons la période du 21 avril au 11 mai, c’est-à-dire une durée de 3 semaines, puisque nous avons voulu faire coïncider notre calendrier avec celui du déconfinement. Nous avons reçu pendant cette période 114 contributions par notre formulaire en ligne. D’ores et déjà, nous faisons appel à vous tous pour que vous nous éclairiez sur la période qui va venir. Il va sans doute se passer beaucoup de choses inattendues et passionnantes dans les prochaines semaines. Nous savons que beaucoup d’entre nous seront happés par le retour de routines, professionnelles ou familiales. Nous vous serions vraiment reconnaissants de continuer à partager vos expériences avec tous nos lecteurs, que nous estimons à environ 3 000 pour chaque numéro, vos expériences et observations de sortie de déconfinement. Nous espérons pouvoir encore compter sur vos témoignages jusqu’au mois de juin pour nous aider à comprendre la période si particulière qui s’annonce. Nous tenons à remercier encore une fois toutes les personnes qui ont pris le temps de nous partager leur témoignage jusqu'ici. Questionnaire Pour ce 4ème bulletin, les remontées s’inscrivent pour la plupart dans la continuité de ce que nous avions reçu précédemment. Tout se passe comme si chacun gardait les repères construits, ou subis, au cœur de la crise, en attendant la nouvelle phase lancée à la date du déconfinement. Bien entendu, nous voyons apparaître de nouvelles idées, comme celles exprimées dans différents manifestes politiques, ou de nouvelles figures, comme celle du gendarme. Mais nous n’avons pas trouvé, et c’est une surprise, de marques d’impatience fébrile pour la date du 11 mai. Pendant cette période de confinement, d’autres enquêtes ou bien des sondages ont aussi cherché à couvrir l’événement. Nous en avons exploré deux en détail, dans la perspective de vérifier si nos observations qualitatives sont confirmées ou infirmées par d’autres approches. Ainsi, le relevé des questions posées sur Google réalisé par le Monde mais aussi le sondage commandé par l’IFOP viennent confirmer et préciser nos interprétations. Celles-ci sont également précisées par l’analyse lexicométrique réalisée par Grégori Akermann (Inrae) sur les 8 premières semaines de confinement. Cette analyse permet de mesurer les évolutions dans les pratiques et les ressentis, et de rendre compte des fluctuations sur les centres d’intérêt, entre la maison et l’extérieur, la sécurité et la politique. Retour sur 8 semaines de confinement à l’aide de l’analyse lexicométrique Ce 4ème bulletin se compose de 7 rubriques : Quelques nouveautés et des marqueurs de confinement qui se stabilisent Un “fonctionnement alimentaire” de croisière avant le déconfinement Locale, collective ou issue du jardin : des tendances qui s’affirment en matière d’alimentation La situation des agriculteurs et des chaînes alimentaires Avant le déconfinement, une multitude d’initiatives dans les circuits courts Détresse alimentaire et réseaux de partage Les options politiques post-confinement s’affirment et s’affichent Vous pouvez télécharger le bulletin dans son intégralité ici : Télécharger le bulletin de partage n°4 En parallèle des bulletins de partage, l’espace covid-19 et alimentation s’enrichit régulièrement. Vous trouverez ainsi : Dans l’espace ressources de nombreuses initiatives permettant d’apporter de l’information aux producteurs et de mettre en relation producteurs-consommateurs. De nouveaux éclairages avec le témoignage d’une élue rennaise et l’impact de la crise sur les îles Atlantique. Une revue de presse pour retrouver l’enquête dans les médias. En savoir plus : www.rmt-alimentation-locale.org/covid-19-et-alimentation Nous contacter : animation@rmt-alimentation-locale.fr L’enquête “Manger au temps du coronavirus” a été initiée par des membres de l’Unité Mixte de Recherche Espaces et Société (C. Darrot, G. Maréchal), avec le cabinet coopératif Terralim (B. Berger, V. Bossu, T. Bréger, D. Guennoc, G. Maréchal, C. Nicolay), et les CIVAM de Bretagne (A. C. Brit), grâce à la stimulation du Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement de Belle-Île en Mer (G. Février) et l’association Fert'Île de Bréhat (F. Le Tron). Le bulletin de partage n°4 est rédigé collectivement par : Akermann G. (Inrae), Berger B. (Terralim), Bodiguel L. (CNRS), Brit A.C. (FR CIVAM Bretagne), Chiffoleau Y. (Inrae), Darrot C. (Institut Agro), Joffet I. (Greniers d’abondance), Lallemand F. (Greniers d'abondance), Maréchal G. (Terralim), Nicolay C. (Terralim), avec l'appui de F. Egal (Réseau des politiques alimentaires) et de D. Guennoc (Terralim), et sous la coordination éditoriale de Chiffoleau Y., Darrot C et Maréchal G. Sa réalisation est appuyée techniquement par Brit A.C., Lecouteux C., Muller T. et Peyrin F. L'initiative est soutenue par le RMT Alimentation locale, S. Linou, consultant résilience alimentaire, le Centre d'Etudes et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales à Lille (S. Makki), l’association Résolis (H. Rouillé d’Orfeuil, M. Cosse) et H. Torossian, consultante en sécurité civile et résilience. Avec le soutien financier de la Fondation Daniel et Nina Carasso et de la Fondation de France. Date d’édition : 19/05/2020

  • Lancement de la nouvelle édition du RMT Alimentation Locale !

    Toute l’équipe du RMT Alimentation Locale a le plaisir de vous annoncer le lancement de la nouvelle édition 2020-2024 ! Malgré un contexte perturbé, les animateurs·trices du RMT Alimentation Locale se sont réunis à distance le 21 avril pour échanger sur les objectifs et les feuilles de route des différents groupes de travail. Note : Pour cette nouvelle édition, le contenu du site sera mis à jour par étape, avec notamment la présentation des nouveaux axes et groupes de travail et la mise à jour des membres. Le RMT Alimentation Locale est un réseau d’experts, permettant à ses membres de se rassembler, de partager leurs travaux et de combiner leurs forces pour mettre en œuvre des projets communs et faire avancer l’expertise collective sur les chaînes alimentaires courtes de proximité (CACP). En savoir plus Pour cette nouvelle édition, nous avons fait le choix d’articuler nos travaux autour de 2 axes thématiques et 4 groupes transversaux appuyés par une animation générale. Si vous êtes expert dans le domaine des chaînes alimentaires courtes de proximité et souhaitez participer à nos travaux, vous pouvez nous contacter à animation@rmt-alimentation-locale.org, une charte sera prochainement disponible pour expliciter les critères permettant de nous rejoindre. Animation générale Yuna Chiffoleau (INRAE) et Anne-Cécile Brit (FR CIVAM Bretagne) animeront cette nouvelle édition du RMT. Leur rôle est d’assurer le pilotage administratif et financier du RMT, de coordonner l'avancée des travaux, de gérer la communication et de représenter le RMT auprès de différentes instances. Axe 1 , Les stratégies entrepreneuriales dans la durabilité : transition agroécologique, transformation à petite échelle et chaîne de valeur Les chaînes alimentaires courtes et de proximité attirent un public d'agriculteurs·trices, de transformateurs et de distributeurs de plus en plus large. De nouvelles entreprises voient le jour, dans tous les maillons de la chaîne alimentaire. L’objectif de cet axe de travail est : - d'améliorer la visibilité de la diversité des acteurs économiques impliqués dans les CACP - de capitaliser et co-produire des connaissances sur les stratégies entrepreneuriales et le partage de la valeur dans les CACP, en lien, notamment, avec la multiplication des solutions numériques - de questionner la contribution des CACP à la transition agroécologique - d'explorer les conditions du développement de la transformation à petite échelle Les chantiers prioritaires pour 2020-2021 sont à co-construire par les membres de cet axe. Deux premiers chantiers sont déjà lancés : - un chantier sur l'impact de la crise du covid-19 sur les exploitations agricoles en circuit court et la réorientation d'exploitations en circuit long vers les circuits courts. - un chantier sur les plateformes numériques pour la commercialisation (en lien avec le groupe de travail numérique) Animation Yuna Chiffoleau (INRAE), Anne Demonceaux (Chambre d’agriculture de Normandie) Axe 2, La relocalisation de l’alimentation dans la résilience des territoires: approvisionnement local, systèmes alimentaires territorialisés et transition alimentaire Face à la montée en puissance de la question alimentaire, à la diversification des acteurs qui s’en saisissent et à la multiplication des initiatives visant une relocalisation de l’alimentation, cet axe interroge la participation des CACP au développement, à la résilience et à la transition alimentaire dans les territoires. Cet axe, en complément de l’axe 1, privilégie donc une approche systémique et territoriale. Les grands objectifs de cet axe sont : - de capitaliser les connaissances et les compétences nécessaires pour une approche systémique des dynamiques territoriales autour de l’alimentation et une évaluation des effets des CACP en termes de résilience et de transition alimentaire. Une attention particulière sera portée aux territoires (villes petites et moyennes, territoires ruraux et périphériques, territoires hors PAT) et acteurs (citoyens, consommateurs, acteurs du marché « non agricoles ») encore peu étudiés - d’apporter des connaissances, des compétences et des outils pour accompagner et rendre les initiatives plus performantes à l’échelle des territoires et aider à la construction de politiques publiques. Les chantiers prioritaires pour 2020-2021 sont à co-construire par les membres de cet axe. Animation Virginie Baritaux (VetAgro Sup), Anne-Cécile Brit (FR CIVAM Bretagne), Nathalie Corade (Bordeaux Sciences Agro), Frédéric Wallet (INRAE) Groupe Transversal Formation L’objectif est de valoriser l’existant et de combler les manques en termes de formations, ressources pédagogiques et compétences mobilisables, pour professionnaliser le large public concerné par les CACP (acteurs des filières alimentaires, enseignants, collectivités, élus, etc). Ce travail transversal s’inscrit en lien avec l’ensemble des partenaires et membres des autres axes, dans une logique de complémentarité et de travail collaboratif, pour s'appuyer sur les besoins, expertises et faire vivre les outils produits. Les 1ers chantiers sur lesquels nous solliciterons les membres du RMT sont : - La création d’un guide des ressources pédagogiques existantes - La création d’un recensement des formations traitant des CACP - L'identification des compétences existantes au sein du RMT (ou partenaires) - Le recensement & l'identification des besoins en formation ou compétences pour compléter l’existant. Animation Christèle Droz-Vincent (EPLEFPA Lozère), Fanny Garric (CRIPT PACA), Juliette Peres (Fab’lim) Groupe Transversal Logistique L’objectif du groupe logistique est la capitalisation et la montée en généricité des connaissances sur la logistique des CACP. 3 chantiers seront plus particulièrement investis : l’optimisation de la logistique ; les pratiques de mutualisation logistique ; la réglementation sur le covoiturage de produits. Le groupe a également l’ambition de faire émerger une communauté opérationnelle permettant de poursuivre la veille scientifique et de coproduire des données de transfert de flux. Deux premières opérations sont envisagées en 2020 : - Diffusion de la note de synthèse : « Logistique des circuits alimentaires courts de proximité : état des lieux, nouveaux enjeux et pistes d’évolution » - Journée « logistique », restitution du travail sur l’état des lieux, date à définir. Animation Amélie Gonçalves (INRAE), Gwenaëlle Raton (Université Gustave Eiffel), Fréderic Wallet (INRAE). Groupe Transversal Numérique L’objectif du groupe numérique est d’analyser et d’accompagner les usages et les impacts du numérique sur la performance, la multiplication et le changement d’échelle des CACP. Trois chantiers seront mis en œuvre dès 2020 : - recensement et analyse comparative des outils et usages du numérique (en lien avec l'axe 1) - organisation d’une journée sur les enjeux et solutions de l’interopérabilité des données dans l’écosystème des CACP - lancement d’un observatoire national des CACP, déconcentré et participatif, appuyé sur une cartographie des initiatives autour de l'alimentation de proximité (à paraitre prochainement). Animation Grégori Akermann (INRAE), Myriam Bouré (Open Food France) Groupe Transversal Réglementation Le groupe Réglementation a pour objectif d’accompagner : - les producteurs sur le plan sanitaire notamment en cas de gestion des alertes. Le RMT pourrait être à l’initiative de la création d’une cellule nationale de suivi de la qualité sanitaire et d’appui lors de la gestion des alertes ; - la réflexion sur la gestion environnementale des ateliers de transformation fermiers en lien avec la règlementation : eau, énergie, déchets (dont la problématique grandissante des emballages) ; - la réflexion sur les enjeux relatifs à la prise en compte du bien-être animal. Animation Benoît Grossiord (Bordeaux Sciences Agro), Françoise Morizot-Braud (CERD) Pour toute question, vous pouvez nous contacter à : animation@rmt-alimentation-locale.org Crédit photos : Unsplash

bottom of page