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- Bulletin de partage 5 - Face aux détresses alimentaires, la solidarité continue et le temps du bilan
La détresse alimentaire reste la toile de fond de cette dernière période, même si les retours d’enquête proposent plutôt à voir des actions concrètes de solidarité et de partage. Quelques éléments de bilan et de proposition émergent. La fragilisation alimentaire des populations qui s’en sortaient tout juste avant la crise se confirme. Ce constat ne ressort pas directement de notre enquête cette-fois ci mais des résultats de premiers travaux de recherche: “La précarisation alimentaire se manifeste à première vue par l’augmentation du nombre de personnes qui ont recours à l’aide alimentaire. (...) Mais le recours à l’aide alimentaire est la partie émergée d’un iceberg. Une partie de la population qui bouclait ses fins de mois difficilement mais ne bénéficiait pas d’aide spécifique ou d’une aide discrète (ex. tarif réduit à la cantine) se retrouve en plus grande difficulté. Mais elle n’a pas l’habitude ou ne veut pas recourir à des aides par honte ou car elle s’estime moins dans le besoin que d’autres. Une partie des personnes en précarité alimentaire sont donc hors des radars sociaux” (Nicolas Bricas et al., Premiers résultats d’enquêtes sur les solidarités alimentaires avec les populations précarisées par la crise du Covid-19, mai 2020, https://www.rmt-alimentation-locale.org/eclairages). La presse s’en fait aussi l’écho: “En l’absence de cantine scolaire, la « fracture alimentaire » redoutée La précarité gagne du terrain chez les familles modestes” (Le Monde, Mattea Battaglia, 26 mai 2020). Cette situation n’est pas propre à la France : “Les organisations caritatives opérant dans le domaine de l'alimentation dans de nombreux pays riches ont vu une forte augmentation de la demande de nourriture et d'autres besoins de base. C'est le cas aux États-Unis, où des voitures forment des files d'attente de plusieurs kilomètres devant les locaux des banques alimentaires, au Royaume-Uni, où cette augmentation survient après des années de hausse progressive de la fréquentation des banques alimentaires, au Canada et en Italie, où des réseaux solides d'organisations caritatives étaient en place depuis des décennies. (...) En Italie, l'approvisionnement en denrées alimentaires à des fins caritatives est mis à rude épreuve pour la deuxième fois en moins de dix ans (la précédente fois étant le ralentissement économique et l'austérité de 2011-2013). Aujourd'hui comme hier, Caritas [1] est sur la ligne de front de l'urgence en Italie depuis les premiers jours de la pandémie et a mené une enquête visant à comprendre comment ses agences locales faisaient face à COVID-19. Les résultats préliminaires de l'enquête montrent un doublement du nombre de personnes qui se tournent pour la première fois vers les centres de conseil de Caritas (Centri di Ascolto, NDA), soit une augmentation de 114 % par rapport à l'année dernière” (traduit de Sabrina Arcuri, How has COVID-19 affected food poverty? Challenges and perspectives, 20 mai 2020). La fin du confinement pourrait accélérer ce triptyque appauvrissement économique/détresse alimentaire/ recours à l’aide alimentaire : “Je suis plus regardante sur les prix que les semaines précédentes, car mes revenus ont baissé, et nous sommes deux fois plus nombreux à la maison (par rapport à avant le confinement)” (#584 consommatrice 30133, 20 mai). “Les enjeux pour la suite sont importants et le manque de revenus des familles précaires laisse de lourdes traces sociales. Tout le travail effectué depuis dix ans sur l’accompagnement au changement des pratiques alimentaires a volé en éclat face à la réalité du retour de la faim ou de la peur d’avoir faim. La démocratie alimentaire soutenant l’appropriation par les populations, des systèmes alimentaires dont ils ont besoin, est plus que nécessaire. Mais cet épisode de mise en place d’une aide humanitaire risque d’engager des réponses assignant les populations à petits budgets à n’accéder à l’alimentation que sous cette seule forme (l’aide alimentaire). Le dispositif d’aide alimentaire existant depuis 1985 [2] a déjà largement creusé ce sillon. Et le paradoxe se durcit entre la population qui s’est saisie des circuits courts pour s’alimenter et celle qui va continuer à dépendre de cette aide humanitaire” (Dominique Paturel, De l’aide alimentaire à l’aide humanitaire, récit d’un dérapage social, mai 2020). Selon Anne Lambert et al., ,Comment voisine-t-on dans la France confinée ?, Population & Sociétés Numéro 578, juin 2020: “Tous âges réunis, les revenus du ménage ont diminué pour 55 % des artisans et commerçants, 40 % des ouvriers, 31 % des employés, 23 % des professions intermédiaires, 20 % des cadres et chefs d’entreprise”. Les actions de solidarités perdurent tout au long de cette période de déconfinement progressif. Les retours de cette période concernent les personnes fragiles, mais aussi les professionnels, agriculteurs et commerçants, touchés par la crise. Les réseaux déjà constitués proposent leur aide : “Nous avons monté un projet nommé D.A.L.E (Distribution Alimentaire Locale et Eco-Solidaire) dont les objectifs étaient de fournir des bénévoles aux agriculteurs pour assurer leurs productions, mettre en place un réseau de vente sur Montpellier et Sète dont les bénéfices serviraient à donner des légumes frais à des réseaux de distributions encore en place, à des familles et certains squats. Ces produits étant majoritairement d’origine biologique (labellisé ou non donc naturelle). Le projet commença la troisième semaine du confinement et dura 8 semaines. Nous avons mobilisé une quarantaine de personnes chez des agriculteurs, fournis des paniers pour 80 familles différentes (environ 20 chaque semaines), vendus et acheté pour 20 000 euros et donner environ 8000 euros de produits.” membre de l’association “la cinquième Saison”, 34 000, 4 juin). Même lorsque ce n’est pas leur fonction première : “Durant toute la période de confinement, en plus des paniers pour nos adhérents, nous avons proposé, en lien avec nos producteurs, des paniers supplémentaires et solidaires que nos adhérents pouvaient commander et offrir à des voisins, des personnes malades…” (président d’AMAP, 54000, 13 mai) “Nous avons assuré un soutien à une associations, Artisans du Monde, en proposant à plusieurs reprises des commandes groupées auprès de nos adhérents. Cela pour permettre à cette structure de maintenir une activité et des ventes” (président d’AMAP 54000, 13 mai) Mais les réseaux ne sont pas les seuls à agir comme nous l’avons déjà observé. La solidarité peut naître de la rencontre entre des individus sans lien initiaux : “Lassées de se sentir inutiles, nous nous sommes rapprochées d’un maraîcher habitant à quelques kilomètres et nous sommes allées l’aider 3 matins par semaine environ, pendant 3 semaines. Jean est maraîcher depuis 10 ans dans le coin. Il devait accueillir un stagiaire mais le confinement l’a empêché. Seul à travailler sur plus d’un hectare au printemps, période intensive de plantation et de désherbage (surtout quand on est en bio), il était soulagé de récupérer 4 autres mains. En échange il nous a donné de nombreux légumes, de sorte que nous avons pu manger entièrement local et bio à certains repas ! Nous en étions très fières !” (femme, 86000, 7 juin). “Je produis l'essentiel de nos fruits et légumes, et même certaines légumineuses dans mon jardin. Le confinement a été compliqué car pendant 2 semaines nous ne pouvions pas nous rendre au jardin qui est situé à près de 2km de notre domicile. Une autorisation spécifique aux jardiniers puis le déconfinement ont permis de reprendre un rythme de jardinage normal. Par rapport au Covid, la seule différence, c'est que j'ai prévu de mettre davantage de légumes en culture en prévision d'une éventuelle pénurie à l'automne, afin d'en donner à des amis et voisins qui pourraient se trouver dans le besoin. J'ai aussi produit davantage de plants de légumes, que j'ai donnés” (femme, 86000, 7 juin). Pendant la période considérée, évolution des règles concernant les aliments pouvant faire l’objet d’un don dans le cadre de l’aide alimentaire (Arr. 19 mai 2020, NOR : AGRG2012537A : JO, 23 mai ; Arr. 19 mai 2020, NOR : AGRG2012531A : JO, 23 mai ; Instr. techn. DGAL/SDSSA/2020-290, 19 mai 2020 : BO min. Agr. n°21/2020, 14 mai); évolution aussi dans le domaine de l'entrée en France et l'admission au travail des saisonniers agricoles et travailleurs détachés dans le contexte de la crise sanitaire liée au Covid-19 (Instr.n°6171/SG, 20 mai 2020 ). Comme dans chaque bulletin, l’action des communes dans le secteur des solidarités nous est également rapportée : A Grenoble par exemple: “Réouverture des cuisines centrales de plusieurs communes métropolitaines (Grenoble, Echirolles, Saint-Martin-d’Hères, Pont-de-Claix…) pour la confection et la distribution de repas aux précaires et démunis; Distribution de repas à domicile via les CCAS; Distribution de paniers de première nécessité via les CCAS avec le soutien de la Banque alimentaire; Ouverture de la plateforme du Pôle Agroalimentaire aux communes et CCAS pour leur approvisionnement et sourcing produits; Soutien à la banque alimentaire pour la récupération et la redistribution des invendus” agent collectivité, Grenoble, 20 mai). Remontent plus particulièrement des difficultés auxquelles ces communes ont été confrontées pour mettre en oeuvre leurs actions : Suite au recensement par les élus et les agents de 500 personnes âgées de plus de 70 ans, “On a constaté que les réseaux de solidarité (famille, voisins, amis) fonctionnaient très bien. Dès lors, nous avons mis les gens isolés en lien avec la superette qui pouvait assurer la livraison de courses. Nous téléphonons régulièrement à ceux qui sont vraiment seuls. En revanche, ce qui passe sous nos radars sont les jeunes potentiellement isolés ou en danger ». Il est compliqué pour les élus de repérer les situations de grande difficulté car ils n’ont pas de moyens d’identifier ces personnes (familles monoparentales, ou jeunes subissant des violences notamment)” (maire de commune bretonne, 22 avril). Dans un échange entre villes sur les conséquences de la crise, une chargée de mission déclare : “on s’est rendus compte que notre cantine dimensionnée pour 23 000 repas par jour a du mal à fonctionner quand il faut en faire 10 fois moins pour les besoins sociaux”. Une autre renchérit : “nous sommes en train de construire une nouvelle cuisine centrale, et envisageons d’inclure dans le programme le besoin de pouvoir y recourir pour la solidarité alimentaire en cas de nouvelle crise” (2 juin) Et après la crise ? Face à l’augmentation du nombre de personnes en détresse alimentaires, certains s’interrogent : “Ma grande crainte c’est que la crise économique qu’on va traverser va faire exploser la demande [d'aide alimentaire]... Si on reprend le cycle économie/argent et qu’on oublie le côté social, on repartira de plus belle et encore plus égoïstement qu’avant” (entretiens menés auprès des élus de Rennes Métropole par Morgane Avenel, rapport le 26 mai). Et certains proposent : -Par exemple, de “Définir un plan de lutte contre la dénutrition des personnes précaires et des personnes âgées, dont la part dans la population augmente fortement et qui sont très exposées à ce risque pour des raisons physiologiques, psychologiques ou sociologiques” (Extrait du rapport d’information présenté au Sénat, “Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France, par Mme Françoise Cartron, sénatrice de Gironde, et M. Jean-Luc Fichet, sénateur du Finistère, 28 mai). Ou de créer une sécurité sociale de l'alimentation (article de Dominique Paturel précité; voir aussi article publié le 21 mai 2020 sur Novethic). Ou de s’inspirer du “concept d'assurance alimentaire” selon lequel “Les marges effectués sur les produits grâce aux acheteurs servent à payer des dons. Cette idée peut être développée de plein de manières, dons, prix réduits sur les produits, prix indexés sur le coefficient familial, sur les revenus, etc. “ (membre de l’association “la cinquième Saison”, homme, 34000, 4 juin). Présentation du bulletin n°5 Article précédent : Les circuits courts de proximité, de nouveaux adeptes et des désillusions| Article suivant : La mise en avant des politiques territoriales
- Bulletin de partage 5 -Les circuits courts de proximité, de nouveaux adeptes et des désillusions
Les premières semaines de déconfinement, sources de beaucoup d’interrogations pour les acteurs des circuits courts de proximité, apportent quelques réponses et tendances. Les situations sont contrastées pour les agriculteurs, certains ayant pu réunir de nouveaux adeptes et d’autres connaissant des baisses importantes de ventes. Ces tendances restent à confirmer, “le vrai test sera en septembre”. Retour sur la période de confinement Le déconfinement est tout d’abord l’occasion de revenir sur la période de confinement pendant laquelle les circuits courts et notamment la vente directe ont été largement plébiscité. L’enquête d’Agrobio 35 auprès de 63 producteurs (soit 20% des agriculteurs bio en vente directe d’Ille et Vilaine, à venir dans la rubrique éclairage) indique, par exemple, que pour “57% des producteurs interrogés l’activité commerciale a augmenté avec une augmentation du chiffre d’affaires de 50% en moyenne”. Cet engouement, détaillé dans les précédents bulletin, ne doit pas faire oublier les producteurs en circuits courts pour qui cette crise a eu un impact négatif, ainsi, dans cette enquête, 25% des répondants indiquent avoir subi une baisse de leur chiffre d’affaires de 40% en moyenne. Les structures fragilisées par cette crise étant notamment celles avec des débouchés qui ont été stoppés, ou fortement limités, comme les marchés, la restauration collective ou la restauration commerciale mais aussi celles avec des productions de spécialité ou de niche peu diversifiées. Nous pouvons également souligné que cette période de confinement a généré de multiples difficultés pour les acteurs des circuits courts, à commencer par une surcharge de travail (pour la logistique et la commercialisation), pour les producteurs mais aussi les bénévoles et salariés de structures. Ainsi dans l’enquête d’Agrobio 35, 52% des producteurs interrogés ont connu une surcharge de travail à cause de la vente directe. Une autre difficulté, liée à des ventes en forte hausse, a été l’écoulement prématuré des stocks ce qui a généré la mise en place de limitation de commandes pour certaines structures qui ont par exemple mis en place des listes d’attentes : “jusqu’à 850 personnes” (salariée d’un système de panier, Bretagne, 10 juin). Enfin, certains producteurs ont connu des difficultés notables pendant le confinement. Il s’agit d’une part de producteurs de produits spécialisés ou “de niche” (escargots, cailles, plantes aromatiques). Ils n’étaient pas prioritaires sur les marchés et leur gamme restreinte ne générait pas de déplacements spécifiques “risqués”. D’autre part, les producteurs ayant un système de vente concentré sur les marchés ou la restauration collective ont dû organiser en urgence de nouveaux débouchés, ce qui prend un certain temps. Dans un cas comme dans l’autre, les ventes devraient reprendre avec le “retour à la normale”. Le déconfinement Après une période d’intense activité, les premières semaines de déconfinement laissent place à des ressentis contrastés entre joie de “consolider un noyau de nouveaux clients” (agricultrice en circuits courts) et déception de voir les ventes baisser chaque semaine. De manière générale, nous pouvons noter une baisse des ventes en circuits courts par rapport à la période du confinement, comme souligné dans les rubriques “approvisionnement” et “chaînes alimentaires”. Celle-ci est plus ou moins importante et permet quand même, le plus souvent, un niveau de vente supérieur à celui de l’année passée. Certains évoquent un “maintien des ventes entre 50 et 60% plus élevé qu’avant la crise” (agricultrice en circuits courts, Bretagne, 26 mai) alors que d’autres sont à “+ 5 à 10% par rapport à l’an passé” (magasin de producteurs, Bretagne, 10 juin). Ceci peut s’expliquer par différents paramètre, à commencer par “ les jours fériés et la possibilité de partir à nouveau de chez soi” mais cela reste difficile à expliquer alors que “l’offre est plus importante que pendant la période de confinement” (animatrice d’un système de panier, Ille et Vilaine, 10 juin). Cette baisse des ventes peut être une vraie désillusion pour certains comme le reflète le témoignage d’un maraîcher (page facebook La Ferme de Cagnolle, 30 mai) ayant connu une forte montée des ventes avec des produits “qui partaient comme des petits pains” et pour qui “après la fin du confinement, ça diminue encore et encore et on va bientôt retrouver le nombre de paniers qu’on vendait avant le confinement. Et ça, c’est vraiment dur pour nous, parce qu’on se galérait à vendre nos légumes et pendant un instant tout se passait bien et maintenant on revient à cette réalité de difficulté : un métier dans lequel c’est dur de produire et où il faut se battre pour pouvoir commercialiser dans un univers de compétition, de libre concurrence.” Ce constat est partagé par un producteur de volailles, d’oeufs et de légumes bio de la Côte d’Or : “on s'est bien rendu compte que après le déconfinement, les gens sont moins venus, constate Frédéric Ménager. En tout cas, chez nous, ceux qui viennent encore, ce sont ceux qui venaient déjà avant. Mais des nouveaux clients, on n’en a pas. Donc on est bien obligé de constater que les grandes surfaces sont reparties à fond et que les gens n’ont rien changé à leur mode de consommation.” (France 3 Bourgogne France-Comté, 5 juin, page facebook La ferme de la Ruchotte, 18 mai). Ces producteurs partagent leurs désarroi sur les réseaux sociaux et interpellent : “N'oublions pas de continuer à soutenir nos éleveurs et les producteurs locaux même après le confinement.” (gérant de magasin bio dans France 3 Bourgogne France-Comté, 5 juin et sur la page facebook Jardin bio du bois Ram’eau, 4 juin) Plusieurs acteurs engagés depuis longtemps dans les circuits courts s’attendaient cependant à cette baisse, comme l’illustre ce témoignage : “La vente de produits fermiers en circuits court comme toute autre vente de produits se construit dans la durée. Il faut donc construire sa clientèle tout en développant sa ferme. Penser que la crise actuelle va amener des clients à foison pour toujours est un raccourci qui mène à la désillusion. Par contre les fermiers qui travaillent depuis longtemps en circuits courts ont senti une accélération qui a de fortes chances d’être pérenne pour eux, leur modèle étant opérationnel. C’est un choix stratégique. Néanmoins il y a un début à tout et c’est peut être le moment de se lancer ou tester par exemple sur 5 ou 10 % de son activité” (entrepreneur, 9 juin). Béatrice Rozé indique ainsi dans Ouest France que “les anciennes habitudes reviennent vite. Deux mois, ce n’est pas suffisant pour créer véritablement un nouveau mode de consommation.” (Ouest France, 27 mai). Selon elle, et d’autres témoignages notamment dans la presse, "le vrai test, ce sera en septembre, une fois les vacances terminées.” Ainsi, un témoignage suggère que cette tendance du local était liée au confinement et n’a pas généré d’habitudes assez fortes : “Plus personnellement, mes voisins ont fait appel à moi pour avoir des légumes frais. Ça m'a permis de mieux les connaître. Ils étaient très contents, mais ils ne se sont pas abonnés par la suite. En général je dirais que les gens se sont plus tournés vers le local pendant le confinement.” (animateur, Rhône-Alpes, 1 juin) Certains se réjouissent tout de même car malgré le fait “qu’avec la sortie du confinement, les consommateurs qui cherchaient de la tomate en avril ont retrouvé leurs habitudes dans la grande distribution.” “beaucoup d’entre eux sont restés”, se réjouissent, Damien Pouder et Steven Pennec.” (respectivement maraîcher et bénévole animateur de la plateforme Mangeons-local.bzh) (Le Télégramme, 10 juin). Pour ceux-ci, la crise a renforcé l’envie d’essaimer, comme l’explique Damien Pouder dans ce même article : “«Il faut favoriser les nouvelles installations, martèle le jeune producteur. Moi, je n’ai pas la volonté de produire plus. J’ai trouvé mon équilibre ». Il ouvre sa porte aux porteurs de projets pour partager son expérience.” Ce tassement des ventes peut aussi être une sorte de soulagement pour des producteurs très sollicités “on a été énormément sollicité pendant 3 mois. Aujourd’hui, on est toujours sur un rythme soutenu. Sur internet, on a multiplié nos ventes par 7 en moyenne. Je ne vais pas dire qu’on était proche du burn out. Mais on est crevé !” (maraîcher, Bourgogne dans France 3 Bourgogne France-Comté, 5 juin). Pour ce maraîcher, les ventes ont “légèrement baissé” mais rien d’inquiétant, “ce sont notamment quelques clients qui ont repris leur activité et pour lesquels les horaires ne correspondent plus forcément pour venir chercher des légumes à la ferme. “ Dans certain cas, les ventes ont même pu se maintenir : “selon notre principal maraîcher, il n'y a pas eu de baisse des ventes. Par ailleurs, le fait pour les consommateurs de venir chercher les produits à la ferme a été bien apprécié par les uns et les autres ; cela a permis aux consommateurs de s'intéresser davantage aux conditions de production ; en somme, un rapprochement humain. Fidélisation accrue ?” (consommateur, Jura, 3 juin). “Les ventes en boutique n’ont pas baissé. On est satisfait !” (éleveuse de boeuf, Nièvre, France 3 Bourgogne France-Comté, 5 juin ) Certains clients, fidèles, soulignent ainsi l’importance de ces circuits : “la filière courte est la seule qui puisse nous éviter l’effondrement, revenir aux nécessités vitales, agriculture de type familial et de qualité, en finir avec les usines agroalimentaires, revaloriser la transformation artisanale, petites unités dispersées sur tous les territoires, proches des consommateurs, moins d’invendus, de transports, plus d’emplois, moins de crises, plus d’économie locale, et d’autonomie politique et citoyenne, stop à la mondialisation” (consommatrice, Ille et Vilaine, 20 mai) Les initiatives La période du confinement a vu naître énormément d’initiatives portées par les acteurs des circuits courts détaillées dans les précédents bulletin. La question se pose aujourd’hui du maintien de celles-ci. Des témoignages nous indiquent que certaines vont se maintenir, voire prendre de l’ampleur, ce qui pourrait permettre d’attirer les clients à la rentrée : “les producteurs locaux rennais sont en train de se structurer en association et négocient avec la chambre d’agriculture pour continuer d’avoir accès à son parking, où se font les distributions.” (Ouest France, 27 mai) “création d’un distributeur à l’extérieur qui permet au client de venir quand il le souhaite” (producteur, Drôme, 11 mai) Certains ont par ailleurs prévue des actions pour septembre : “nous avions un plan de communication prévu pendant le confinement que nous avons décalé à la rentrée pour expliquer notre démarche de magasin de producteurs et faire revenir les clients.” (producteur, Ille et Vilaine, 10 juin) Présentation du bulletin n°5 Article précédent : La lente reprise des chaînes alimentaires et un premier bilan | Article suivant : Face aux détresses alimentaires, la solidarité continue et le temps du bilan approche
- Bulletin de partage 5 - La lente reprise des chaînes alimentaires et un premier bilan
Le déconfinement ne se traduit pas par une reprise immédiate des chaînes alimentaires, en particulier pour la restauration hors domicile. Agriculteurs et intermédiaires de la transformation rencontrent toujours des difficultés. Plusieurs témoignages ou communiqués dressent un premier bilan de cette période de confinement, avec chez les producteurs, des incertitudes pour la suite ou une amertume face au revirement rapide des pratiques d’approvisionnement de certains consommateurs. Du côté des agriculteurs, la sortie du confinement a des effets contrastés. Pour ceux engagés dans des filières longues, peu de changements sont à signaler et l’hétérogénéité des situations persiste (Chambres d’Agriculture France, 26 mai 2020). Certains producteurs continuent de traverser cette crise sans trop de difficultés (grandes cultures céréalières, volaille) tandis que d’autres font toujours face à des débouchés fermés et à des prix bas (cultures industrielles de pomme de terre et de betterave, bovins lait ou viande). La situation est particulièrement tendue pour les filières horticoles, viticoles, et les producteurs de fromages AOP. Les évolutions sont plus marquées pour les agriculteurs historiquement impliqués dans des circuits courts ou pour ceux ayant récemment développé ces moyens de commercialisation en réponse à la crise. Malgré leur réouverture, les marchés sont toujours soumis à des mesures de distanciation sociale. Certains témoignages insistent sur le manque d’affluence, et incriminent des mesures jugées décourageantes : “Les mesures sanitaires sont draconiennes, il y a des barrières pour guider les gens, un sens de circulation d’un stand à l’autre. On sera forcé de parcourir 700 mètres, les petits vieux ne pourront pas.” (agricultrice, Occitanie, Reporterre 22 mai) De nombreux producteurs évoquent des ventes en diminution par rapport à la période de confinement et partagent leur ressenti, entre déception et compréhension voire soulagement : « L’activité a été bonne pendant tout le confinement, fait le bilan Mikaël Auffret. Avec une belle augmentation des ventes, notamment pour les drives fermiers », le mode de vente qui a le plus profité du confinement. Mais aujourd’hui, après avoir discuté avec d’autres collectifs de producteurs locaux, Mikaël Auffret confirme une baisse des ventes depuis la fin du confinement. « Les gens venaient plus chez nous par peur d’aller dans les supermarchés, prenaient aussi le temps de cuisiner », analyse le producteur. Aujourd’hui, un retour aux habitudes de consommation d’avant se dessine. « Quelques nouveaux clients, qui nous avaient rejoints pendant le confinement, sont toujours là, nuance tout de même le producteur, qui reste sur des ventes supérieures à celles d’avant la crise. » Mikaël, qui espérait un éveil des consciences sur la nécessité de revoir nos circuits d’alimentation, lance un appel aux consommateurs : « Les gens étaient contents de trouver les producteurs locaux pendant la crise sanitaire, il ne faudrait pas qu’ils nous oublient une fois celle-ci passée. On a encore besoin d’eux. » (producteurs de fruits, Bretagne, Ouest France 28 mai) “Le nombre de paniers, qu’on essaye quand même de développer depuis deux ans, a été multiplié par deux et demie en trois semaines, pour atteindre le pic sur la deuxième / troisième semaine de confinement [...] Et puis après on a senti qu’on rentrait dans une sorte de normalité de confinement et on a vu nos paniers diminuer. Et là vraiment, après la fin du confinement, ça diminue encore et encore et on va bientôt retrouver le niveau de paniers qu’on avait avant le confinement. Et ça c’est vraiment dur pour nous.” (maraîcher, Nouvelle-Aquitaine, témoignage vidéo posté sur Facebook le 30 mai) « On s'est bien rendu compte que après le déconfinement, les gens sont moins venus, constate Frédéric Ménager. En tout cas, chez nous, ceux qui viennent encore, ce sont ceux qui venaient déjà avant. Mais des nouveaux clients, on n’en a pas. Donc on est bien obligé de constater que les grandes surfaces sont reparties à fond et que les gens n’ont rien changé à leur mode de consommation. » (producteur de volailles, oeufs et légumes, France 3 Bourgogne-France-Comté, 5 juin) “Dans la Bresse, à Branges, Alexandre Cauchy est maraîcher. S’il constate un très léger tassement de ses ventes, il l’accueille presque avec soulagement. « On a été énormément sollicité pendant 3 mois. Aujourd’hui, on est toujours sur un rythme soutenu. Sur internet, on a multiplié nos ventes par 7 en moyenne. Je ne vais pas dire qu’on était proche du burn out. Mais on est crevé ! » avoue Alexandre Cauchy.” (France 3 Bourgogne-France-Comté, 5 juin) “Pendant le confinement, la demande d’œufs a explosé, il n'arrivait pas à fournir. Il fournit principalement des supérettes et commerces de proximité, il est passé d'une livraison à deux livraisons par semaine. Il livrait le mardi, le jeudi il n'y avait plus d'oeufs dans les rayons. Du coup, il s'est dépanné avec un collègue producteur d'oeufs également qui vendait surtout à des restaurateurs, pour pallier à la pénurie d'oeufs. Il a acheté 250 poules supplémentaires pour pouvoir fournir la demande. Et depuis le déconfinement, c'est la chute libre de la demande, il se retrouve avec trop d'oeufs. Les ventes restent au-dessus de celles d'avant le confinement, mais il ne pensait pas que ce baisserait autant, il est déçu. Il exprime le sentiment d'avoir servi de "roue de secours" pendant le confinement. Ses débouchés en crêperie reprennent doucement mais ça reste très peu par rapport à avant le confinement. A noter qu'il avait arrêté son débouché en maison de retraite pendant le confinement, de peur d'amener un virus, il attend peu encore avant de pouvoir reprendre ses livraisons.” (agent de collectivité, Bretagne, 9 juin) Avec le recul, certaines conséquences de la période de confinement sur les chaînes alimentaires ont également pu être documentées. Les entreprises agroalimentaires, en particulier les TPE et PME, ont par exemple été fortement touchées, avec une perte de chiffre d’affaires de 22 % en moyenne selon le baromètre ANIA (Association Nationale des Industries Alimentaires, 12 mai). Un témoignage nous est remonté sur les incertitudes auxquelles font face les petites entreprises de l’alimentaire : “J'ai un projet de boulangerie bio et locale, freiné par le confinement. Je me pose beaucoup la question de l'impact de la crise économique qui vient sur mon projet : les banques seront-elles plus réticentes (priorisant l'aide à l'existant) ou au contraire plus enclins à soutenir ce type de projet (besoin de 1ere nécessité, demande croissante en produits locaux, ...). Questionnement sur comment faire pour transformer les faillites (malheureusement probables) de restaurants et commerces en offres de produits bio, locaux et écologiques ? Plus largement hors crise covid, on manque cruellement de filières locales et indépendantes pour les céréales : il manque des petits moulins coopératifs, intermédiaires entre paysans meuniers (qui n'ont pas forcément les moyens de faire des farines de qualité maîtrisée comme un moulin) et les meuneries industrielles des grands gros multinationaux.” (entrepreneuse, Centre-Val-de-Loire, 2 juin) Selon une enquête de l’Agence Bio, la consommation de produits issus de l’agriculture biologique a quant à elle augmenté pendant le confinement, en particulier chez les ménages les plus modestes (Agence Bio, 9 juin). Enfin, le retour des travailleurs saisonniers étrangers permet de relancer l’activité dans les exploitations y faisant appel. L’opération de mobilisation des travailleurs en chômage partiel pour les travaux agricoles est le plus souvent présentée comme un échec : “Ils étaient d’ailleurs 300 000 à avoir répondu à l’appel des champs. Quelques semaines plus tard, il n’en reste que 45 000 selon le quotidien L’Opinion, 5000 selon Les Echos. Bien moins que les 150 000 nécessaires en juillet/août.” (France Inter, Histoires Économiques, 20 mai). “Chez Alexandre Tourette, seulement 3 cueilleurs français sont restés dans ses champs, alors que 15 cueilleurs espagnols en provenance d'Alicante sont arrivés cette semaine en renfort. « Sincèrement, on a tout fait cette année pour recruter localement, on a laissé la chance aux travailleurs français, sans succès. C'est trop pénible, trop physique. On a perdu du temps à les former, et on a eu une perte de récolte » souffle le producteur.” (La Provence, 25 mai) Présentation du bulletin n°5 Article précédent : Approvisionnement : des pratiques renforcées ou nouvelles, parfois difficiles à conserver | Article suivant : Les circuits courts de proximité, de nouveaux adeptes et des désillusions
- Bulletin de partage 5 - Approvisionnement : de nouvelles habitudes parfois difficiles à conserver
A l’heure du déconfinement, c’est l’occasion de dresser un bilan et de nombreux consommateurs confirment leur intérêt pour les produits locaux et les circuits courts. Si certains arrivent à conserver ces modes d’achat, d’autres se disent contraints de revenir à leurs pratiques d’avant.. mais pas tout à fait comme avant. En matière d’approvisionnement, là aussi, l’heure est au bilan : comment a-t-on fait ses courses pendant le confinement ? « Comme d’habitude », réaffirment certains : « Nous nous sommes approvisionnés de la même façon que d'habitude : marché (en grande partie bio, resté ouvert), Biocoop, paysans locaux et un petit supermarché pour ce que nous ne trouvons pas ailleurs ou qui est trop cher pour notre budget en bio. Ce qui a changé c'est que nous avions plus de temps pour cuisiner, donc nous avons encore mieux mangé que d'habitude ! » (consommatrice, Ile-et-Vilaine, 17 mai) « Habitant en milieu rural isolé sur une commune qui possède une épicerie associative de produits bio et locaux, cela n'a rien changé à mes habitudes. » (consommateur, Côtes d’Armor, 22 mai). Ces achats se sont même renforcés ou élargis pour beaucoup de consommateurs déjà inscrits dans ces modes d’achat : « plus de cuisine maison, du bio et du local au maximum » (consommatrice, Marseille, 23 mai) ; « j'ai voulu soutenir un magasin de vrac où je vais d'habitude acheter mes shampoings etc., le soutenir et aussi aller plus loin dans ma démarches zéro déchets, j'ai commandé un lot de papier toilette et des tablettes pour le lave-vaisselle » (consommatrice, Toulouse, 20 mai). Parmi ceux qui consommaient déjà bio et/ou local, certains rappellent toutefois avoir eu du mal à maintenir leurs approvisionnements dans les mêmes conditions qu’avant la crise, fait déjà abordé lors d’un bulletin de partage précédent : « Consommatrice de longue date de produits de saison, bio, locaux, bruts ou peu transformés, le confinement a brutalement mis entre parenthèses ce mode de consommation. Mes magasins habituels étant trop éloignés, je me suis tournée vers les rares offres internet de ma ville. Elles étaient saturées et horriblement chères. Résultat, je me suis rabattue sur le primeur en bas de chez moi, tout sauf local, de saison ou bio, mais avec le mérite d'être là et sympathique » (consommatrice, département 06, 24 mai). « Nous nous approvisionnons régulièrement dans un magasin Biocoop de notre quartier pour tout le reste, or pendant cette période, le magasin était souvent en rupture (sans doute une augmentation de la conso et des problèmes d'approvisionnement) et le nombre limité de personnes dans le magasin demandait un temps long avant de pouvoir rentrer dedans. Nous nous sommes donc rabattus sur les rayons bio des Casino et autre Super U de notre quartier qui eux, étaient un peu mieux organisés. » (consommateur, Lyon, 8 juin). Même en AMAP, parfois, c’est l’offre qui a manqué, ce qui a déçu certains adhérents : « Pendant toute la durée du confinement, nous avons aussi manqué d’œufs : trop de ventes à la ferme, la productrice ne pouvait plus assurer les livraisons à l’AMAP. Pourtant, nous avions signé les contrats 5 mois avant, les œufs étaient déjà payés… Au final, nous avons eu l’impression d’être la variable d’ajustement pour certains producteurs. La solidarité producteur-consommateur, au cœur de l’AMAP, nous a paru être à sens unique. Bien sûr, ça n’a pas été le cas avec tous les producteurs. Notre productrice de fromages de chèvres par exemple nous a expliqué avoir refusé beaucoup de ventes à la ferme pour assurer les livraisons déjà engagées. » (consommateur en AMAP, Isère, 8 juin). Ces témoignages viennent surtout confirmer que les produits locaux ont intéressé une population large, comme nous l’avions souligné dans les bulletins de partage précédents. Notamment, une population qui mangeait surtout bio, quelle que soit l’origine du bio, a voulu reporter une partie de ses achats vers des produits locaux ou a minima français : « Nous n’avons pas beaucoup changé nos habitudes : manger bio, favoriser les achats dans les magasins bio spécialisés. Par contre nous avons été plus vigilants sur l’origine des produits. En renonçant parfois d’acheter des légumes s’ils venaient d’Italie ou d’Espagne. » (consommatrice, Marseille, 23 mai). Par contre, le local n’est pas toujours à la hauteur des attentes de ces consommateurs de bio : « Nous avons testé des productions locales suite à la décision de producteurs locaux de s'auto-organiser mais n'avons pas renouvelé car il s'agissait de tomates et fraises sous serre, peu intéressantes gustativement et dont le mode de production energivore ne nous semble pas écologique au final. » (consommateur, Rennes, 16 mai). L’intérêt va toutefois bien au-delà de ces consommateurs de bio, comme le confirme un agent de la Métropole de Grenoble, où des enquêtes ont été menées auprès de tous les commerçants : « Nous avons constaté la très forte demande en direction des produits locaux dans tous les canaux de distribution. C’est aussi pourquoi, cette période de crise a pu également apparaître comme une opportunité pour accélérer certains changements de comportement alimentaire et développer le « manger local de qualité » (20 mai). Beaucoup de personnes ne consommant pas forcément, ou peu de produit locaux, de saison, en circuits courts, ont en effet pu profiter des livraisons de produits mises en place, par exemple « par l'intermédiaire de voisins connus lors des applaudissements du 20 h. » (consommateur, 39 000, 3 juin), et ce, avec satisfaction : « Pendant le confinement, tout un réseau de distribution s'est mis en place dans notre quartier: livraison de légumes et de plants de légumes via un ami du quartier qui a un copain maraicher, commande groupée pour une vingtaine d'habitants de notre quartier de fromages de chèvres, commande et livraison de poissons via un ami du quartier qui a un copain pêcheur. Le pêcheur gagne plus qu'en vendant sa pêche au Leclerc et nous on achète du poisson hyper frais moins cher que chez le poissonnier. Nous avons mangé pour la première fois de notre vie du homard, des seiches. Cette proposition a rencontré une demande très forte en très peu de temps. On est passé d'un groupe de 7 personnes à un groupe de 20 personnes en l'espace de 2 semaines. Et encore, en freinant un peu pour d'abord tester la capacité du pêcheur à vendre en direct. […] Nous avons très bien mangé pendant le confinement. Des produits frais, locaux. Le top : la livraison à domicile! ou dans la rue d'à côté. » (consommatrice, Côtes d’Armor, 28 mai). Cela n’a pas toujours été facile, néanmoins, ce qui témoigne aussi du potentiel de développement de la consommation locale mais aussi de la consommation groupée : « Nous avons essayé de nous associer avec des voisins pour augmenter le local dans notre alimentation, mais nous n'avons pas pu trouver une manière de faire qui soit efficace et efficience. Nous avons donc continué nos pratiques individuellement familiales. » (consommatrice, Bouches-du-Rhône, 3 juin). Une des principales questions est alors de savoir si ces habitudes d’achat, nouvelles ou renforcées, peuvent se maintenir dans le temps et déjà, à court terme, pendant la période de déconfinement ; des achats qui incluaient également, comme nous l’avions montré dans les bulletins précédents, un recours plus important aux commerces de proximité, supérettes mais aussi bouchers, primeurs... Pour certains, pour l’instant, ça dure : « J'ai beaucoup acheté, encore au supermarché, mais la proportion de produits locaux, achetés au marché ou paniers regroupement a augmenté et reste de même proportion après confinement. Aujourd'hui, je dois consommer 90% de produits frais issus des producteurs locaux ou bio revendus par le marché local (bananes, agrumes). Je continue à prendre des produits non transformés au supermarché pour continuer dans l'élan de la cuisine maison, mais j'ai moins le temps » (consommatrice, 41150, 2 juin). Pour d’autres, par contre, maintenir ces achats n’est pas si simple à l’heure du déconfinement : « Il est difficile de se procurer de la viande chez le boucher. Plus difficile que pendant le confinement. Il dit que cela vient du fait qu'il a plus de clients, et que les appros sont tendues. » (consommatrice, Gard, 20 mai). Beaucoup, surtout, regrettent l’arrêt des livraisons à domicile, y compris ceux qui fréquentaient les marchés et qui, dans cette période de déconfinement en tout cas, ont moins envie d’y retourner : « [Pour nous, pendant le confinement] Accentuation de la volonté de fonctionner en circuits courts et proches producteurs locaux. Bémol : depuis le déconfinement, la livraison n'a plus lieu, et obligation d'aller au marché le dimanche à Plélan (plus de monde, attente, moins de relations) Avantage +++ livraison à domicile ou sur un point de collecte autre que marché. » (consommatrice, Ile-et-Vilaine, 26 mai). D’autres témoignages, côté producteurs, viennent confirmer que l’arrêt des livraisons et le retour sur les marchés ont diminué la clientèle, même si celle-ci reste encore, en général, plus importante et plus diverse qu’avant la crise. Les drives fermiers peuvent alors constituer un compromis : « Il a été constaté par les producteurs avec lesquels je suis en contact, que la clientèle des drives fermiers a commencé à diminuer avec la fin du confinement (retour vers les GMS) mais qu'une partie de la nouvelle clientèle arrivée grâce à la crise commence à être fidélisée. C'est une clientèle de trentenaires, sensibilisés au thème des circuits courts, n'ayant pas l'habitude de fréquenter les marchés et souhaitant s'approvisionner en produits locaux d'une façon plus adaptée à leur quotidien (utilisation du numérique, rapidité, offre de produits concentrés à un même endroit). La demande en produits évolue, les circuits-courts doivent s'y adapter. » (observatrice, 28 mai, Alpes Haute Provence). Enfin, même si on ne peut pas facilement poursuivre ses achats en circuits courts, la crise a suscité d’autres pratiques qui sont plus faciles à maintenir : regarder l’origine des produits dans les magasins, par exemple, comme évoqué précédemment ; « prévoir la quantité d'aliments nécessaires entre deux achats, pour n'acheter que ce qui est nécessaire. Conséquence, un frigo moins plein, et surtout quasiment aucune perte d'aliments frais. » (consommatrice, Département Côtes d’or, 20 mai) ; « Meilleure gestion des courses alimentaires, liste faite à partir des menus et non pas l’inverse = moins de gaspillage. » (consommatrice, Rennes, 20 mai). Ou bien encore, pour conclure ce chapitre, une « prise de conscience de la « futilité » d’une partie importante de mes habitudes d’achats. » (consommateur, département du Maine et Loire, 20 mai). Présentation du bulletin n°5 Article précédent : Finalement, le confinement avait ses bons côtés| Article suivant : La lente reprise des chaînes alimentaires et un premier bilan
- Bulletin de partage 5 - Finalement, le confinement avait ses bons côtés
Les mangeurs ne nous disent pas avoir vécu la date du déconfinement comme une rupture brusque : petit à petit ils font le tri dans les expériences qu'ils ont vécues. Nous avions signalé dans le précédent bulletin que nous n’observions pas de surexcitation culinaire à l’approche du déconfinement. Nous ne l’avons pas non plus trouvée après qu’il a été prononcé. Nous sommes même surpris de constater chez certains une nostalgie d’un temps suspendu. Une fonctionnaire territoriale de Lorraine nous dit dès le 15 mai : “je considère avoir vécu cette crise dans une position d'ultra-privilégiée. Elle m'a permis de marquer une pause dans l'agitation quotidienne, profiter énormément de mes enfants (4 et 6 ans) qui poussent si vite et ont encore tant besoin de ne pas être constamment contraints par des horaires... [...] j'aurais bien prolongé un peu le temps de la rue privée de tous ses moteurs”. Une consommatrice de Rhône Alpes précise le 2 juin : “fini le plaisir et l'exotisme de manger ce que d'autres ont préparé (famille, amis, restaurateurs...)”. A l’heure du bilan, Santé Publique France constate le 19 mai que “les principales évolutions déclarées portent sur le grignotage, le fait de cuisiner maison, l’accessibilité des produits alimentaires et le poids. Pour améliorer son alimentation au quotidien, de nombreux outils existent et les Français s’y sont référés pendant le confinement : le site mangerbouger.fr a connu une hausse de fréquentation de 60% par rapport à 2019.” (article “Confinement : quelles conséquences sur les habitudes alimentaires ?” https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2020/confinement-quelles-consequences-sur-les-habitudes-alimentaires) Finalement, le confinement a aussi été un temps de (re)découverte. Parfois pour des choses très simples, comme l’écrit cette consommatrice des Bouches du Rhône le 11 mai : “toujours plaisir de manger, mais aussi redécouverte de ne pas se prendre la tête sur la bouffe et de manger très simple ; du riz tous les jours! Même si il est bio, ou coopératif.” Ou encore ce consommateur breton qui constate le 25 mai : “je ne savais pas cuisiner le poisson mais par solidarité avec ce producteur habitant notre territoire, j'ai appris et tout le monde a adoré.” A l’heure du bilan, certains formalisent une sorte de retour d’expérience, comme cette consommatrice bretonne le 13 mai : “ Les changements pdt la crise : les courses moins souvent, essai de faire des menus, pour une semaine, moins de bio car pas de marchés au début (ça manque)... 2 premières semaines : la peur de la maladie : cuisine moins et puis reprends du poil de la bête et tout va bien, retrouve un producteur de légumes, le marché...: cuisine pratiquement 2 repas par jour. Plutôt contente car j'aime cuisiner et découvrir des recettes, goûts, saveurs…” Parfois, l’expérience est plus intellectualisée, comme le note la consommatrice lorraine déjà citée : “professionnellement, j'ai pris un peu de distance par rapport à divers sujets qui me pèsent dans mon travail au quotidien, j'ai pu les partager avec des collègues, à distance. [...] Plus globalement cela nous a amenés à réfléchir aux inégalités dans la société, à la résilience de nos modes de vie…” Préoccupations matérielles et réflexion ne s’opposent pas, comme l’illustre le 20 mai cette bretonne habitant un petit appartement de centre ville : “Impacts sur les comportements : prise de conscience plus accentuée de la nécessité de se débarrasser de choses non essentielles (à tous les niveaux : consommations non indispensables, choses accumulées : ménage de printemps intensif (tri radical des livres, des vêtements, des papiers administratifs, des produits de ménage et de toilettes, des objets en plastique, mise à jour du carnet d’adresses, des ami.e.s, de tout ce qui parasite l’existence. [...] Déjà sensible aux enjeux environnementaux : décision de ne plus posséder de voiture, d’arrêter l’avion, de consommer local et équitable plus radicalement comme actuellement.” Cette même personne revient sur la tendance à l’autoproduction observée tout au long de l’enquête: “cultiver son jardin « mon mince balcon » n’a jamais été aussi beau, j’ai réussi mes semis de tomates, salades, poivrons, coriandre, aneth, fenouil, ciboulette, patates… en pots sur moins de 2 m2!“ Un intérêt confirmé par un témoignage de consommateur bordelais “Notre association PLATAU (Pôle Local d’Animations et de Transitions par l’Agriculture Urbaine) va lancer une action de distribution gratuite de 100 pieds de tomates variées, à maturité, auprès des habitants de la cité Claveau (Bordeaux Bacalan) durant l’été 2020, suivie d’ateliers pédagogiques à l’automne. Cette opération, nommée "Les Tomates déconfinées", a été imaginée pendant la période de confinement pour mettre en valeur les notions d’autoproduction urbaine, de circuit court et de diversité alimentaire”. Un consommateur du Val de Loire vivant à la campagne précise le 7 juin : “j'ai ajouté 50 m2 de surface de potager, soit un doublement de la surface antérieure.” Le journal télévisé du soir de France 2 apporte le 7 juin le témoignage du patron d’une pépinière, passé d'un effectif de 50 personnes à 150 personnes. Il pense en maintenir la majeure partie car c'est selon lui un mouvement de fond pour le jardinage mais aussi pour l'agrément. Les expériences vécues lors du confinement se poursuivront-elles ? C’est en tout cas ce que constate un consommateur isérois un mois après le déconfinement : “j’ai aussi profité de la période pour réduire ma très faible consommation de viande (1 à 2 fois par mois) à zéro. À ce jour (7 juin) je n'ai pas racheté le moindre morceau de chair animale (mais j'en ai mangé deux fois, lors d'invitations en famille)”. Un consommateur breton s’interroge le 25 mai sur les effets à terme des pratiques développées : “je pense qu'aujourd'hui nous sommes passés à un approvisionnement à 80% en circuits courts et 90% en bio environ. J'ai très envie de continuer dans cette voie qui fait sens même si je dois souvent batailler à la maison avec mes jeunes victimes du marketing des industries agroalimentaires. Pour autant j'ai constaté un changement de comportement de leur part en cette période de confinement.” En écho à ce contributeur qui avait déclaré avoir appris à cuisiner le poisson, un étudiant à Orléans partage le 7 juin ce sentiment de montée en compétence culinaire, qui n’est pas éphémère : “je suis retourné vivre chez mes parents dans un village de 500 habitants dès le 16 mars où j'ai pu continuer mon jardin et m'initier à la cuisine.” Le magazine Slate affirme dès le 15 mai que “la réclusion à domicile et la peur du virus modifient nos façons de faire les courses comme la cuisine. Il est fort probable qu'il n'y aura pas de «retour à la normale» en masse.” (http://www.slate.fr//story/190359/confinement-nouvelles-habitudes-alimentaires-cuisine-repas). Les interrogations portent fréquemment sur la persistance ou pas de pratiques “vertueuses” adoptées pendant le confinement. Cependant, une consommatrice de Nouvelle Aquitaine nous décrit le 19 mai un cheminement inverse, pour des raisons économique et sanitaires : “Lors du confinement, j'ai largement changé mes habitudes alimentaires. Diminution des fruits et légumes frais pour être remplacés par des conserves. Achats dans des magasins non bio car le prix des aliments en conserves ou transformés est très élevé dans les magasins bio. Alimentation végétarienne (déjà en cours avant le confinement). Diminution de la part de vrac car risques virologiques d'amener des contenants. [...] Reprise de mes habitudes alimentaires classiques (bio, locales, riche en fruits et légumes) depuis la fin du confinement. Je n'ose toujours pas utiliser mes propres contenants au vrac et je me contente des sachets papiers.” Ces constats conduisent deux sénateurs à formuler dans un rapport d’information les propositions suivantes : “14. Intégrer la dimension d’acceptabilité culturelle et de plaisir dans la défense des régimes alimentaires durables, en soulignant que l’impact sanitaire et écologique de l’alimentation peut être fortement réduit sans bouleverser les habitudes alimentaires 18. Faire évoluer les politiques de santé d’un accompagnement alimentaire ponctuel fondé sur le conseil nutritionnel à un accompagnement dans la durée et même à une véritable éducation à l’alimentation durable abordant toutes les dimensions du bien manger : dimension nutritionnelle mais aussi économique (acheter autrement) ou culinaire (préparer autrement).” (extraits du rapport “ VERS UNE ALIMENTATION DURABLE : UN ENJEU SANITAIRE, SOCIAL, TERRITORIAL ET ENVIRONNEMENTAL MAJEUR POUR LA FRANCE “ Délégation à la prospective du Sénat Rapport d’information de Mme Françoise Cartron, sénatrice de Gironde, et M. Jean-Luc Fichet, sénateur du Finistère. 28 mai) Notre alimentation et nos façons de manger ne sortent donc pas indemnes de la crise, mais chacun le maîtrise ou le subit à sa façon et il serait vain de chercher une unanimité. Les comportements individuels ont toutefois montré des dominantes et des convergences qui trouvent un relais politique. Les envies de manger et partager une cuisine maison à partir de produits sains, de jardiner, vont se trouver dans l’après-crise confrontées à la réduction de l’espace des possibles, dessiné à la fois par les contraintes individuelles (temps disponible, budget alimentaire), collectives et institutionnelles. Présentation du bulletin n°5 Article précédent : L’heure est au bilan | Article suivant : Approvisionnement : des pratiques renforcées ou nouvelles, parfois difficiles à conserver
- Bulletin de partage 5 - L’heure est au bilan
Les contributions, souvent rédigées au passé composé, cherchent pour nombre d’entre elles à présenter une synthèse des faits alimentaires les plus marquants, en termes de changements. C’est l’heure du bilan pour les protagonistes. Durant cette période , l’annonce de la fin du confinement a été confirmée et mise en œuvre. En particulier, les changements que les contributeurs veulent mettre en oeuvre ou appellent de leurs voeux sont soulignés avec une démultiplication des contributions sur les pratiques alimentaires à la maison et les modes d’approvisionnement. Avec le déconfinement, cette période est marquée par un retour sur les pratiques alimentaires vécues (particuliers, producteurs, collectifs…). Pour évaluer la situation, des retours organisés se multiplient : des collectifs se mobilisent pour comprendre et faire remonter des témoignages ; des enquêtes par différentes organisations et échelles sont réalisées pour tirer les enseignements du confinement. Pour les producteurs, en termes de bilan, une image contrastée ressort avec des espoirs et des encouragements mais aussi des interrogations et des incertitudes sur ce qui va rester de cette période. Globalement, les producteurs s’en sont bien sortis et, pour beaucoup ont connu des volumes exceptionnels d’activité. Cependant, pour certains, la période post confinement semble vécue comme une désillusion avec un retour à un niveau « normal » de vente, eux qui avaient reçu un soutien massif. C’est comme si l’engouement avait généré des attentes disproportionnées et que le retour à la situation d’avant était considéré comme une défaite et entraîne une grande déception voire une fragilisation psychologique. Les producteurs en circuits courts ressortent, pour beaucoup, épuisés de cette période. Une inquiétude est soulignée à l’égard de la situation économique d’agriculteurs en circuits courts avec des productions spécifiques (comme les produits laitiers pour la restauration) à la fin du confinement. Dans un contexte d’optimisme sur les ventes, la crise a fragilisé certains d’entre eux, face à la réorganisation de leur débouchés et la gestion des stocks avec des chutes de ventes. Le principe de solidarité économique est exprimé à leur égard ce qui a réduit l’impact de la crise, ainsi qu’à l’égard des restaurateurs familiers du quotidien. Côté consommateur, la crise COVID19 a été vécue comme un révélateur des situations alimentaires . D’un côté, la détresse alimentaire de la population ressort comme une préoccupation importante avec des signaux économiques en berne. En réponse, la solidarité alimentaire s’exprime sous des formes variées. D’un autre côté, en prenant du recul, des consommateurs s’estiment heureux d’avoir pu expérimenter avec le temps retrouvé de nouvelles pratiques culinaires ou d’autoproduction y compris en milieu urbain. Ils semblent conscients d’avoir vécu un moment privilégié. Pour certains, des pratiques d’approvisionnement nouvelles notamment avec des circuits courts seront poursuivies. Malgré la diversité des situations et le devenir incertain de ces pratiques dans le temps, tous semblent unanimes sur le fait de considérer la crise COVID19 comme un point de référence qui restera dans l’esprit des mangeurs. Pour les collectivités locales, le bilan amène à relever leur rôle central dans les décisions. Elles se sont montrées des acteurs incontournables, notamment les communes, pour gérer cette crise. Au niveau du territoire, des relations inédites se sont créées et seront certainement une contribution à une relocalisation de l’alimentation dont l’ampleur dépendra probablement de la mise en place d’un cadre national. Pour beaucoup, un bilan complet et détaché des variations conjoncturelles devra attendre le mois de septembre. Présentation du bulletin n°5 Article suivant : Finalement, le confinement avait ses bons côtés Crédit photo : Erwan Daniel www.tamproduction.fr
- Appel à communication | Séminaire de travail savoirs et savoir-faire paysans, pôle InPACT
Appel à communication pour le séminaire de travail "savoirs et savoirs-faire paysans", organisé par le pôle InPACT le 18 novembre à Paris (date à confirmer). Le groupe de travail "Évaluer autrement" du pôle InPACT (Initiatives Pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale) est constitué de : Réseau CIVAM Solidarité Paysans FADEAR InterAFOCG Nature et Progrès Mouvement Inter-Régional des AMAP Terre de Liens L'Atelier Paysan Fédération nationale Accueil Paysan Le MRJC Il organise le 18 novembre (date à confirmer) un séminaire de travail autour de la thématique des savoirs et savoir-faire paysans, pensé comme un temps d’échanges et de construction collective. Ce séminaire sera l'occasion de débattre de la façon dont l’industrialisation des systèmes agricoles a entamé la possibilité qu’ont les paysans et ceux qui les entourent de perpétuer, d’enrichir et de transmettre leurs propres savoirs et pratiques, souvent finement adaptés à leur contexte, et des perspectives d'action collective et de mobilisation politique pour inverser cette tendance destructrice. Ce séminaire est ouvert à toute proposition de communication par des chercheurs (notamment en sciences humaines et sociales), collectifs de recherche, paysans, collectifs de paysans, structures d’animation et de développement agricole, etc. Une attention particulière sera portée à des présentations associant une expérience de terrain et une mise en perspective politique. Les propositions de communication sont à transmettre pour le 2 septembre afin de permettre à l'équipe de commencer à bâtir le programme de la journée. L'appel à communications ci-dessous présente la thématique générale, des axes thématiques possibles (ne se limitant pas au champ agricole), le pôle InPACT et son groupe de travail "Évaluer autrement", et précise les modalités pour proposer une communication. Télécharger l'appel à communication Merci à l'Atelier Paysan de nous avoir transmis cet appel à communication.
- Éclairage Covid-19 | Demande adressée aux circuits courts : la forte demande va-t-elle perdurer ?
Ce texte n'engage que son auteur et pas l'ensemble du collectif qui rédige les bulletins. La poursuite ou pas de la demande adressée aux circuits courts pendant la crise COVID-19 hante les esprits des producteurs, des militants associatifs, des élus ou des journalistes. Entre les anciens clients qui vont revenir ou pas après le déconfinement, les nouveaux qui vont retrouver ou pas leurs anciennes habitudes, l'impact de la réouverture de marchés, comment s'y retrouver ? Gilles Maréchal, consultant et chercheur, économiste spécialiste des circuits courts alimentaires et des stratégies des collectivités locales, propose un schéma d'interprétation, débouchant sur des scénarios. Il ne vise pas à chiffrer les évolutions, probablement très différenciées selon les territoires, mais d'en déchiffrer les dynamiques communes. Il se risque cependant à un pronostic sur un nombre de clients qui resterait sensiblement plus élevé, à l'échelle macro. Télécharger le document Une tentative d’interprétation de la demande adressée aux circuits courts en lien avec la crise COVID 19 : la forte demande va-t-elle perdurer ? Pour découvrir d'autres articles proposant des analyses de l'impact de la crise du covid-19 sur les systèmes alimentaires, consultez la rubrique Eclairages
- Covid-19 et Systèmes alimentaires, "Manger au temps du coronavirus" - Bulletin de Partage 5
Ce cinquième et dernier numéro prend en compte le mois suivant le déconfinement, pour la période du 11 mai au 10 juin. Comme nous le pressentions, le déconfinement a incité les mangeurs à se livrer à d’autres joies que celle de remplir un formulaire : ce sont 84 contributions qui nous permettent de vous proposer ce bulletin, auxquelles s’ajoutent 12 messages directs et l’exploitation de 21 articles de presse. Nous terminons donc notre cycle avec dans l’escarcelle, après “nettoyage”, 630 remontées exploitables par le formulaire, plus 147 autres témoignages et une base de 297 productions médiatiques (articles écrits, reportages filmés). Nous avons tous profité avec délectation de la richesse des expériences et des réflexions qui nous ont été communiquées. Aussi voulons-nous pouvoir continuer à les partager sous une autre forme. Nous avons contacté un éditeur pour les rassembler en réorganisant l’ensemble de nos bulletins sous une forme thématique. Ainsi chaque rubrique, dispersée dans cinq bulletins, retrouvera une cohérence d’ensemble en embrassant l’intégralité de la période. Bien entendu, les préoccupations de ceux qui nous ont écrit sont le reflet d’une période marquée par le déconfinement. Beaucoup veulent tirer une sorte de bilan résumé de ce qu’ils ont vécus, parfois avec un brin de nostalgie. Mais les contributions s’inscrivent plus qu’avant sur maintenant et demain. Sans doute sous l’influence d’une temporalité qui redevient contrainte, la description des pratiques culinaires se fait plus comptée : il est désormais possible de se tourner de nouveau vers l’extérieur. Les pratiques d'approvisionnement sont abondamment décrites, qu’elles marquent une rupture ou s’inscrivent dans le prolongement de la période confinée. La question “que va-t-il rester des nouvelles façons de faire ses courses ?” devient lancinante, chez les consommateurs mais aussi les producteurs. Il ne s’agit pas simplement des volumes vendus en circuits courts, quand des producteurs s’interrogent sur la reconnaissance sociale des efforts qu’ils ont fourni pour répondre à une explosion de la demande. A toutes les échelles, les organisations veulent tirer les leçons de la crise. Comme il est de coutume, souvent pour affirmer que leurs positions antérieures se trouvent validées et confortées par ce qu’il s’est passé. Mais des collectivités s’engagent aussi dans des bilans “à froid” de leurs orientations telles qu’elles peuvent être décrites dans leurs stratégies alimentaires. Ce qui peut les amener à amender leurs actions, voire à introduire de nouveaux éléments comme cette métropole qui envisage d’inclure l’aide alimentaire dans le programme de sa nouvelle cuisine centrale. Nous concluons donc les bulletins de partage avec la certitude que la période COVID19 marquera les esprits et les pratiques, mais aura aussi des conséquences “en dur” sur le paysage alimentaire que nous connaîtrons demain. L’observation s’est révélée passionnante. Vous qui avez bien voulu nous informer, nous nous permettrons de revenir vers vous à l’automne pour vous demander ce qu’il en est des pratiques adoptées, des postures vis à vis de l’alimentation, des “bonnes résolutions”. Nous vous remercions de nous avoir suivis jusqu’ici et par avance d’être aussi ouverts quand nous vous solliciterons de nouveau. Ce 5ème bulletin se compose de 7 rubriques : L’heure est au bilan Finalement, le confinement avait ses bons côtés Approvisionnement : des pratiques renforcées ou nouvelles, parfois difficiles à conserver La lente reprise des chaînes alimentaires et un premier bilan Les circuits courts de proximité, de nouveaux adeptes et des désillusions Face aux détresses alimentaires, la solidarité continue et le temps du bilan approche La mise en avant des politiques territoriales Vous pouvez télécharger le bulletin dans son intégralité ici : Télécharger le bulletin de partage n°5 En parallèle des bulletins de partage, l’espace covid-19 et alimentation s’enrichit régulièrement. Vous trouverez ainsi : Dans l’espace ressources de nombreuses initiatives permettant d’apporter de l’information aux producteurs et de mettre en relation producteurs-consommateurs. De nouveaux éclairages avec désormais 4 analyses territoriales, rurales et urbaines, et 6 analyses thématiques (agriculture urbaine, restauration, solidarité alimentaire, résilience, psychologie des mangeurs) Une revue de presse pour retrouver l’enquête dans les médias. En savoir plus : www.rmt-alimentation-locale.org/covid-19-et-alimentation Nous contacter : animation@rmt-alimentation-locale.fr L’enquête “Manger au temps du coronavirus” a été initiée par des membres de l’Unité Mixte de Recherche Espaces et Société (C. Darrot, G. Maréchal), avec le cabinet coopératif Terralim (B. Berger, V. Bossu, T. Bréger, D. Guennoc, G. Maréchal, C. Nicolay), et les CIVAM de Bretagne (A. C. Brit), grâce à la stimulation du Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement de Belle-Île en Mer (G. Février) et l’association Fert'Île de Bréhat (F. Le Tron). Le bulletin de partage n°5 est rédigé collectivement par : Akermann G. (Inrae), Berger B. (Terralim), Bodiguel L. (CNRS), Brit A.C. (FR CIVAM Bretagne), Chiffoleau Y. (Inrae), Darrot C. (Institut Agro), Joffet I. (Greniers d’abondance), Lallemand F. (Greniers d'abondance), Maréchal G. (Terralim), avec l'appui de F. Egal (Réseau des politiques alimentaires) et de D. Guennoc (Terralim), et sous la coordination éditoriale de Chiffoleau Y., Darrot C et Maréchal G. Sa réalisation est appuyée techniquement par Brit A.C., Lecouteux C., Muller T. et Peyrin F. L'initiative est soutenue par le RMT Alimentation locale, S. Linou, consultant résilience alimentaire, le Centre d'Etudes et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales à Lille (S. Makki), l’association Résolis (H. Rouillé d’Orfeuil, M. Cosse) et H. Torossian, consultante en sécurité civile et résilience. Avec le soutien financier de la Fondation Daniel et Nina Carasso et de la Fondation de France. Date d’édition : 19/05/2020
- Éclairage Covid-19 | Les professionnels de l'agriculture urbaine face à la crise sanitaire
L'Association Française de l'agriculture urbaine professionnelle a lancé une enquête en ligne auprès de ses 80 adhérents à la mi-avril. Les 32 réponses nous donnent un petit aperçu de la situation à cet instant. Les résultats varient selon les activités développées par les structures, mais on constate une augmentation de l'activité agricole et de la vente en ligne, ainsi que le développement de tutoriels pour accompagner les jardiniers à distance. Synthèse rédigée par Anne-Cécile Daniel, co-fondatrice et coordinatrice de l'AFAUP, l'Association Française de l'Agriculture Urbaine Professionnelle. L’AFAUP est une association à rayonnement national ayant vocation à fédérer les professionnels de l’agriculture urbaine et faciliter les liens avec les autres acteurs de la ville, le monde agricole et le grand public. Ce texte n'engage que son auteur et pas l'ensemble du collectif qui rédige les bulletins. Les répondants Les pertes évaluées par les répondants pour la période du 16 mars au 26 avril 13 répondants évaluent une perte de CA entre 0 et 10 000 €. 13 répondants évaluent une perte de CA entre 10 000 et 30 000 € 5 répondants évaluent une perte de CA de plus de 30 000 €. -> On retrouve des producteurs, animateurs, concepteurs dans ces 3 catégories de réponse. Sur une échelle de 1 à 10 comment évaluez-vous le danger pour votre trésorerie? (1 : je peux vite mettre la clé sous la porte ; 10 : aucun préjudice) D'après les réponses qualitatives associées à cette question, les professionnels de l'agriculture urbaine se retrouvent plutôt dans une situation fragilisante ou qui pourrait le devenir si la crise persiste l'été. Ceux qui s'en sortent le mieux, sont les structures déjà bien implantées qui commercialisent leurs récoltes, ainsi que quelques bureaux d'études qui poursuivent leurs activités en télétravail. Les personnes en cours d'installation sont également peu impactés, mais risque de l'être si les chantiers prennent trop de retard. Les structures les plus en difficultés sont celles qui ont dû stopper leurs activités, et surtout celles qui animent de nombreux ateliers et événements lors des périodes printanière et estivale. Vos sites sont-ils encore accessibles? (26 réponses sur 32) Les répondants ayant indiqué que l'outil de production était à l'arrêt sont en difficulté. Ils représentent presque un quart des répondants. Avez-vous mis en place de nouveaux circuits de distribution ? lesquels ? fonctionnent-ils bien ? 3 grands circuits ont été mentionnés : Les épiceries (souvent solidaires) La Ruche qui dit Oui / vente en ligne /commande par email -> avec livraison Les paniers à venir chercher sur place (en remplacement parfois de la cueillette) Avez-vous été contraints d'annuler ou de reporter un ou plusieurs événements ? Quelles solutions avez-vous mis en place pour vos salariés : Nous pouvons retenir qu'aucune structure n'est complètement à l'arrêt. Pour la majorité, on retrouve la mise en place du "chômage partiel" et du "télétravail". Pour les producteurs, des effectifs réduits sont sur place avec la mise en place de mesures de sécurité sanitaire. Ceux qui n'ont pas de salariés sont en télétravail. Les mesures proposées par le gouvernement seront-elles suffisantes pour votre structure ? (chômage partiel, report des charges, crédit bancaire etc.) certains ont de la trésorerie, ça les rassure (2) certains espèrent que les mesures proposées vont vraiment être mises en place ... nombreuses craintes exposées (14) certains ne sont pas concernés par ces mesures et craignent la suite (notamment les jeunes structures) (7) pour une structure, la crise lui a permis de recruter de nouveaux salariés pour faire face à une augmentation de la demande (1) ne savent pas (8) Inquiétudes pour : les chantiers d'insertion professionnels les levées de fond qui devaient avoir lieux les reports des projets (notamment avec les reports des élections) la durée du confinement Dans ce contexte, que peut selon vous faire l'AFAUP ? Autres idées : Communiquer sur la pertinence de l'AU dans cette répétition générale de crise majeure Communiquer x 10000 sur l'importance de l'AU Faire du lobying auprès des collectivités et des acteurs économiques pour trouver des solutions pour soutenir les acteurs de l'Agriculture Urbaine après le confinement. (lancement d'appels à projets, subventions etc...) Encourager la recherche de foncier pour installer des projets d'agriculture urbaine Intervenir auprès des élus locaux, plus de nouvel des élus depuis le 1er tour des élections Ecrire un plaidoyer pour la souveraineté alimentaire Recenser les débouchés de proximité possibles en termes de vente de légumes. Indiquer aux consommateurs qui sont les agriculteurs urbains près de chez eux et comment les soutenir (achat de produits, messages d'encouragement, apport de main d'oeuvre, don financier) Booster les initiatives d'installation en incitant les porteurs de projet à se former aux métiers de l'aquaponie et de l'hydroponie écologique ! :o) Pouvez-vous décrire une ou plusieurs de vos actions montrant les impacts positifs de l'agriculture urbaine face à la crise ? Arrivez-vous à lister ce que la situation peut avoir de positif pour votre structure ? Les mots les plus cités : PRISE DE CONSCIENCE et RESILIENCE et LOCAL Pour les professionnels Augmentation de l'approvisionnement en circuit-court, de manière très agile... puisque les restaurants ont fermés et le commerce mondial est en stand-by Portage plus important des thématiques autour de l'alimentation locale à travers des actions très concrètes Prise de conscience de la vulnérabilité de notre système alimentaire / non résilience alimentaire Investissements dans des infrastructures liées a la mise en place d'activités agricoles mutualisées sur leur territoire (bergerie, centrale de lavage, conserverie, frigos, stockage, centrale de tri, fromagerie,..) Augmentation du CA avec la vente aux particuliers Certaines épiceries cherchent de nouveaux fournisseurs en légumes pour faire face à la demande, gain de temps pour réfléchir au fonctionnement de fond de notre structure. Pour les particuliers Motivation pour l'auto-production chez les particuliers : ils veulent jardiner ! Cultiver = réduire le stress - besoin de se reconnecter à la nature Le jardin représente pour beaucoup un échappatoire, un vrai bol d'air qui doit impacter positivement l'ambiance dans l'appartement et donc dans l'immeuble Développement des tutos pour transmettre les savoirs auprès des particuliers Renforce les liens dans un quartier. Clef pour la résilience urbaine en cas de choc comme actuellement. Énorme prise de conscience de l'importance du retour aux sources, aux valeurs terriennes, à la Nature. J'espère que les gens vont réaliser à quel point la vie "civilisée", "moderne", est fragile et qu'en cas de vraie crise, on doit revenir aux basiques : manger ! Mise en place d'un blog par une Régie de quartier pour proposer des animations via internet à défaut de pouvoir mettre en place les animations sur le terrain. Solidarité Pour les salariés La crise est un bon test pour mesurer nos capacités de télétravail et souder l'équipe. Entraide entre équipes Penser l'après crise est un chantier colossal, cela arrive plus vite que prévu et trop tôt (on manque d'expérience), mais c'est le moment ou jamais : si des milliards sont investis pour repartir sur l'ancien modèle, ce sera perdu. Notre visibilité auprès de la population générale est accrue par notre offre de "bouquets solidaires" (en soutien à court-terme à notre projet de production en insertion) Conclusion Les professionnels de l'agriculture urbaine restent positifs, ils se portent plutôt bien, même si leurs activités restent très perturbées. Ils sauront répondre à de nombreux besoins, si et seulement si, ils ne jouent pas le rôle de variable d'ajustement dans les mois qui viennent. Plus que jamais, l'agriculture urbaine peut devenir un des maillons pour penser la résilience alimentaire des territoires. Télécharger cet éclairage Pour découvrir d'autres articles proposant des analyses de l'impact de la crise du covid-19 sur les systèmes alimentaires, consultez la rubrique Eclairages
- Éclairage Covid-19 | Psychologie des mangeurs en temps de crise : regards croisés
13 mai 2020 - Propos recueillis et formalisés par Charlène Nicolay, Terralim Deux spécialistes, l’un des systèmes alimentaires et l’autre des comportements, réagissent sur les témoignages de mangeurs durant les premières semaines de la crise sanitaire, les causes des comportements observés, et les perspectives pour l’après-crise. Ce texte n'engage que ses auteurs et pas l'ensemble du collectif qui rédige les bulletins. Gilles Maréchal est consultant et chercheur, économiste spécialiste des circuits courts alimentaires et des stratégies des collectivités locales. Au début de la crise sanitaire, il a initié avec d’autres chercheurs la démarche « Manger au temps du coronavirus » qui consiste à recueillir des témoignages du terrain sur les systèmes alimentaires pendant la crise, qui sont analysés sous forme d’un bulletin thématique, et d’analyses quantitatives et lexicométriques. A l’issue des 2 premières semaines de recueil de témoignages, Gilles est frappé par les récits de confinement qui abordent avant tout les évolutions du régime et des habitudes alimentaires domestiques, les circuits d’approvisionnement et l’auto-examen critique des comportements et des convictions « du temps de la normalité ». Il formule une tentative d’interprétation de ces « itinéraires alimentaires de confinement » sous la forme d’itinéraires types, depuis le point de départ de la « situation d’avant », fidèle à la réalité ou « romancée ». Ils sont résumés sur le schéma suivant, où les flèches désignent un éloignement des pratiques et représentations antérieures : Nicolas Fieulaine est enseignant-chercheur, spécialisé en psychologie sociale appliquée. Depuis le début de la crise, il conseille les acteurs de la santé publique sur les messages d’information et d’incitation des citoyens sur les risques et les comportements. Il accompagne aujourd’hui les acteurs des transports et de l’espace public à préparer le déconfinement, pour éviter les peurs des espaces de promiscuité et le retour à la voiture. L’amplification de pratiques et attitudes alimentaires antérieures Gilles : Des témoignages soulignent que la crise est l’occasion d’approfondir ou d’adopter des pratiques qui viennent consacrer ou matérialiser des tentations. Un consommateur déclare « mettre en œuvre de nouvelles habitudes alimentaires, auxquelles nous pensions depuis plusieurs années ». Ce chemin de renforcement s’exprime dans de nombreux domaines (nous agrégeons ici des données issues de plusieurs sources, pour en résumer l’essence) : J’agrandis mon jardin potager ou j’en démarre un ; Je n’aime pas les GMS[1], c’est l’occasion d’y aller moins qu’avant ; Je voulais tester les effets du jeûne, c’est l’occasion ; Je souhaitais la plus large autonomie, voire autarcie, possible, je la mets en œuvre ; J’achetais presque tout dans mon quartier, aujourd’hui encore plus. La crise semble alors vécue comme une opportunité d’accoucher de désirs latents. « Je reste en pleine cohérence avec l’avant, que je pousse encore plus loin ». Nicolas : L’enjeu dans ces changements c’est le rapport au système de contraintes dans lequel ce changement s’est réalisé. Oui, il y a eu des changements d’habitudes, que ce soit de rythme d’achats ou de type d’achats. Mais dans un système de contrainte, c’est assez facile de changer ses comportements sans pour autant en transformer véritablement le rapport profond, le système de représentation, les croyances… La contrainte étant là, suffit à justifier les changements de comportements. On n’est pas dans un système de dissonance cognitive comme quand nous nous sentons libres d’avoir changé nos comportements et qu’il faut que nous nous les expliquions à nous-mêmes (dans ce cas, ça amène des changements d’attitude). Là, pendant la crise, pour le coup la contrainte est très présente... Comment se projeter un peu plus loin dans le temps pour en faire une opportunité ? Pour constituer des horizons de changement qui soient désirables ? C’est un peu plus compliqué. C’est pour ça que le terme d’ « habitude » me paraît un peu prématuré… Est-ce que ce sont déjà des habitudes ou pas ? Il me semble que ce n’est pas tout-à-fait sûr. Préservation : « on change nos habitudes le moins possible » Gilles : On observe dans les témoignages une argumentation, abondante, autour de « on change nos habitudes le moins possible ». Cet itinéraire va jusqu’à une crispation conservatrice pour certains. En particulier, des personnes âgées ressentent durement le moindre accroc, la moindre fêlure dans leurs habitudes. C’est comme si, face à un présent menaçant et un avenir incertain, les habitudes et convictions précédentes constituent un repère stable. Elles permettent de m’acclimater à la nouvelle situation à moindre coût psychologique, et par exemple de me concentrer sur les questions de santé. D’une certaine façon, il s’agit d’évacuer le caractère problématique de l’alimentation dans le nouveau contexte. Bien entendu, cet itinéraire suppose que les conditions le permettent : des adeptes de l’hypermarché habitant dans une campagne éloignée ont du mal à adopter cet itinéraire, sauf à aller vers le moins différent. Si l’”hyper” n’est plus accessible, je vais au “super”. On lit aussi un grand nombre de « on fait avec ce que l’on a », posture voisine. Le prix psychologique d’un changement assumé étant trop lourd, je réduis la zone d’incertitude, avec une certaine résignation. Nicolas : Oui. Il y a aussi une dimension sociale dans cette crise. Des gens seront déjà tellement inquiets de savoir quoi manger, pressés de remettre leurs enfants à l’école pour qu’ils retrouvent une alimentation meilleure qu’à la maison. Ils ont eu une expérience de l’alimentation, pendant cette période, qui a été une explosion des coûts. C’est ce qui me revient le plus sur le terrain de la précarité. Les frais de repas ont explosé, parce qu’il y a beaucoup d’enfants à la maison, qu’ils ne peuvent pas sortir donc ils ne vont pas manger chez les copains, ils ne piochent pas dans leurs finances personnelles pour aller s’acheter un sandwich… Il y a des jeunes qui ont pris l’habitude de sauter des repas pour ne pas trop piller dans le frigo des parents. Tout cela représente un équilibre fragile, de sobriété contrainte. C’est une expérience qui peut venir en confrontation complète avec des aspirations à un rapport plus réflexif et plus sobre à l’alimentation. Je crains des effets différentiels sociaux encore plus forts qu’avant. C’est pour ça que je prends beaucoup de précautions avec tout ce qui concerne le monde d’après, qui se projette très loin, qui dit « profitons-en pour aller plus loin dans la transition », parce que j’ai peur que ça multiplie par 100 les confrontations qu’on avait avant entre la fin du monde et la fin du mois. Adaptation ou révélation ? Gilles : A la lecture des observations et des expériences de terrain, il est frappant de constater la prégnance de l’adaptation prudente et graduelle des comportements et des habitudes relatives à l’alimentation, de type : Je ne trouve plus de légumes frais, j’utilise des congelés ou je fais mon jardin en priorité ; Il est risqué de circuler, je fais mes courses en grande quantité une fois par semaine ; Même si je ne trouve pas la qualité aussi bonne, je congèle l’essentiel ; Mon lieu d’approvisionnement habituel est trop loin, ou trop fréquenté, je me fournis près de la maison. De nombreux témoignages mentionnent une flexibilité dans les comportements, qui étonne parfois les auteurs eux-mêmes, frappés du caractère indolore des changements de leur comportement, voire de leurs envies. Un consommateur urbain dit : « je vais désormais au supermarché mais je n’en fais pas un monde ». On sent poindre une envie d’exploration chez ces mangeurs, associée à un certain détachement, une certaine relativisation de leurs convictions d’avant : on n’y trouve pas les « militants de choc ». La situation oblige à essayer des nouveaux chemins, qui sont soumis à l’expérience et pourront par la suite être de nouveau empruntés ou seront délaissés, sans remords et sans drame de conscience. Mais les fondements de mes représentations et actes ne sont pas chamboulés : ce sont des actions matérielles qui signent cet itinéraire. Nicolas : L’idée de flexibilité est intéressante. Il se passe quelque chose d’unique : on a une situation qui s’impose à toute une population en même temps, et qui a généré des écarts, une interrogation de ce qu’on faisait jusque là parce que tout à coup on se retrouve un peu décalés par rapport à ce qu’on a l’habitude de faire. Cette expérience de l’écart est ensuite interprétée de manière différente. On sent bien que dans les discours c’est de la construction, on reconstruit de manière narrative, on essaie de trouver un chemin, une histoire, et en se mettant en position d’acteur (de préférence). Il y a assez peu de logiques du type « pensée épisodique », c’est à dire « avant je faisais ceci, puis il y a eu ce moment où j’ai fait cela », et qui ne met pas de lien entre le passé, le présent et le futur, « c’est juste quelque chose qui a été bizarre à un moment donné », avec cette difficulté à le construire dans une narration. C’est le propre des événements trop difficiles, trop en rupture avec nos habitudes. Et ça me paraissait étrangement absent... Mais peut-être parce que c’est trop vide de sens. Est ce qu’il n’y a pas aussi des expériences de ces changements face à la crise qui chercheraient encore leur sens et qui ne seraient pas encore aboutis en termes de sens ? « On a vécu quelque chose de très bizarre, et mentalement on ne sait pas trop se le représenter. » On va avoir besoin de narrations, d’oeuvres culturelles qui nous proposent des mises en récit de ça. Sauf à être forcés, on a du mal à le faire. Nous avons besoin de récits partagés qui offrent des clefs. On se demande toujours : « est-ce que je l’ai vécu de manière normale ? », « est-ce que l’histoire que je vais produire est positive en termes identitaires ? », si elle n’est pas positive « qui rends-je responsable parce que je n’ai pas pu nourrir mes enfants comme je le voulais ou parce qu’on a dû sauter collectivement des repas ? » Gilles : A l’inverse, l’itinéraire le plus frappant relève d’une révélation, « instinctive » ou conscientisée. Des personnes réagissent de façon inattendue, parfois contraire à des pratiques ou des convictions qu’elles croyaient solidement ancrées. Ces témoignages, même s’ils ne sont pas nombreux, sont particulièrement frappants : Des végétariens ou quasi-végétariens se « sentent saisis » par une envie de viande et de gras ; Un carnivore explique que le repas désormais collectif l’a amené à intégrer les exigences d’une végane de la maisonnée ; Une personne décrit, pourtant au début du confinement, son passage à 4 prises d’aliments par jour au lieu des 2 habituelles. De façon comparable au groupe précédent, ces personnes se surprennent, mais de façon bien plus profonde. Les adaptatifs adoptent un comportement stratégique, qui s’exprime dans les actes matériels, dont l’élément de surprise est facilement réversible pour peu que les circonstances changent. Par contre, ceux qui se confrontent à la révélation expriment une grande perturbation qui confine dans certains cas à l’existentiel : moi qui me croyais un doux végétarien, je me découvre horrible “viandard”. Quelle persistance sera donnée à une telle remise en cause ? Il est difficile de présumer si la charge émotionnelle du moment provoque une « perturbation passagère » ou si les comportements vont rester durablement influencés. Nicolas : L’idée de « révélation » est intéressante. C’est dans l’interaction avec le système de contraintes qu’il y a des « bricolages » individuels, où l’on remet du sens, on remet en question l’existant. Mais il y a toujours ce rapport complexe entre un présent suspendu où l’on va mettre en œuvre des pratiques dont on ne sait pas si elles vont être durables ou pas,un passé (ça vient l’infirmer ou le confirmer, le renforcer ou le fragiliser), et un futur : est-ce qu’on se projette dans une continuité, dans quelque chose où l’on va aller plus en avant ? Ou alors dans un retour rapide à ce qu’on identifie comme étant la normale et vers lequel on est très pressé de retourner ? Mais le vécu de la contrainte est important. En étant soumis à des forces externes parfois on ne voit pas l’opportunité d’une transformation positive. L’absence de choix et le fait d’avoir été extrêmement contraint (attribution externe), peuvent avoir comme conséquence le sentiment d’injustice, la colère. Ça peut aller assez loin, surtout si c’est alimenté par des réseaux sociaux. Je suis inquiet du décalage possible pour les perspectives plus transformationnelles. Il y a une absolue nécessité d’arriver à raccorder ces expériences privées de sens, soumises à un ordre, vécues de manière complètement subie, où il est très difficile de se situer comme acteur parce que la situation était vécue de manière négative (on n’a pas envie d’être acteur / responsable d’une situation vécue d’une manière négative). Je me demande quels sont ces récits ? Et surtout comment ça peut être approprié par la diversité des publics qui ont fait face à cette situation ? Polarisation des comportements : quel maintien après la crise ? Gilles : finalement, au vu des deux groupes « extrêmes » de la flèche tracée, on peut proposer qu’on assiste à une « radicalisation binaire » des choix, c’est à dire le cheminement d’un groupe médian « modéré » dans ses habitudes vers des positions plus « radicales ». La crise agirait comme un facteur déclencheur de choix exacerbés. Poussés à leur fins, ces cheminements conduisent à une polarisation potentielle : les survivalistes s’opposent aux collectivistes, les adeptes d’un local exclusif aux clients des supermarchés, les bio au mangeurs de plats préparés. Soit parce que la crise est interprétée comme confirmation des choix antérieurs, soit parce le changement personnel invite à participer à une croisade avec la foi des nouveaux convertis. Cette radicalisation binaire peut s’illustrer par quelques exemples choisis : un coopérateur d’un supermarché coopératif indique qu’au sein de sa coopérative certains disparaissent complètement, par crainte du virus, alors que d’autres au contraire se « surinvestissent » (selon son expression) dans l’action collective, le groupe central de ceux qui remplissent leurs engagements mais sans plus s’est effrité ; des retours signalent une évolution vers un confinement intégral associé à une recherche d’autarcie, bien évidemment dans le monde rural. On peut interpréter ces itinéraires à la lueur des mouvements survivalistes, qui prônent un repli sécuritaire sur le foyer, la famille élargie ou le groupe restreint. Beaucoup, au contraire, cherchent à construire de nouvelles solidarités collectives, à l’échelle de l’immeuble comme d’un petit territoire ; des remontées de « mangeurs moyens » pointent une évolution soit vers la frugalité pour mieux résister à la menace sur l’alimentation, soit au contraire vers des pratiques hédoniques (bons petits plats longuement préparés, apéros virtuels appuyés, consommation de chocolat) ; « par défi » comme l’écrit un contributeur, certains sont restés volontairement éloignés de la course au stockage générée au premier temps du confinement, allant même jusqu’à retarder leurs courses, pendant qu’un autre s’est « étonné lui-même de participer à la panique » ; la course au stockage a révélé deux stratégies différentes. Les uns se sont précipités vers les aliments bon marché et de longue conservation pour maximiser leur capacité de stockage (avec un panier moyen que toutes les contributions présentent comme en forte progression). D’autres au contraire se sont tournés plus que d’habitude vers des produits locaux ou bio, ce que j’interprète comme une extrapolation dans le domaine alimentaire des inquiétudes mises en avant dans le domaine sanitaire : « je suis déjà menacé par le COVID-19, je ne vais pas en rajouter dans mon assiette”. Le dernier point illustre par ailleurs que les évolutions, les itinéraires, ne peuvent être ramenés à des déterminants personnels et coupés de leurs ancrage social. Comment expliquer sinon qu’on a vu des magasins, à proximité l’un de l’autre, être dégarnis soit d’abord en produits premiers prix, soit d’abord en produits bio ? Nicolas : Pour la suite de ces comportements, c’est difficile de faire un pronostic car il y a un moment de retour à la normale, dont le résultat va être complètement déterminé par la capacité des individus à exister dans des propositions de comportement. L’espace visible n’a pas changé du tout, si ce n’est des rayons vides. Mais ça n’est pas devenu une incitation ou une appropriation. Il y a eu un début d’appropriation des rues par l’absence de voitures, mais c’est tout, et encore c’était très peu. Ce qui fait que l’espace public vers lequel on est moins allé, et qu’on pouvait moins utiliser, sera redevenu le même, il va être le même. Gilles : Dans le cas des personnes qui ont amplifié leurs pratiques ou attitudes antérieures, il paraît raisonnable de poser l’hypothèse que les effets de la crise dureront, puisqu’elle aura montré que les pratiques ou les rêves antérieurs sont possibles, mais aussi utiles et civiques. Nicolas : L’environnement a une capacité à nous dicter nos conduites, qu’on le veuille ou non, et à rendre nos conduites plus ou moins faciles à réaliser. Parlons à la fois de l’espace mais aussi des temporalités : les rythmes sociaux, les décalages, un peu plus de temps à certaines heures, un peu plus de disponibilité qui nous a permis de nous connecter… Les temporalités vont revenir à l’état d’origine, elles ne nous laisseront plus du tout les mêmes possibilités. C’est pour ça que je plaide à plein d’endroits pour que l’espace public soit transformé, que la manière dont on se rencontre dans les rues soit différente. La manière dont on circule dans les magasins : j’essaie de pousser, même avec des opérateurs de magasins, l’idée que le zonage pourrait être différent. Le fait de faire circuler à travers tout pour espérer que les gens piochent ici ou là…, ils ont tout intérêt à se projeter vers autre chose. Ce sont des environnements qui sont hyper déterminants. Là je pense qu’il y’a des choses qui peuvent rester : ces rassemblements pour aller acheter chez un producteur qui s’installe de manière inopinée… mais là aussi qui a reposé sur une disponibilité qu’on n’a pas forcément toujours. Je crois qu’il y aura un retour de balancier temporaire : rattrapage d’achats. Il va y avoir une période difficile à pleins de niveaux pour la durabilité, la sobriété. En tous cas ce sera une période très contrastée entre ceux qui auront vécu cette période sous le signe de l’opportunité , et d’autres qui l’ont vécue sous le signe du manque. La question décisive c’est : est-ce que le déconfinement va continuer à suffisamment modifier nos habitudes pour qu’on continue à être dans un système qui est un tout petit peu plus réflexif que d’habitude, qui interroge un peu plus que d’habitude ? Parce qu’on ne peut pas choisir tout-à-fait de la même façon dans les rayons, parce qu’on ne peut pas tout toucher, parce qu’il faut faire vite dans les magasins (là on risque l’effet balancier inverse)… Les critères vont un peu bouger. Il y a là, à la fois une opportunité et un vrai risque, parce que ça va être l’affrontement de forces contraires. On le voit déjà : entre profiter de cette période pour que les gens reviennent au maximum au plaisir de l’achat, au plaisir de la consommation de produits standardisés, etc. (exemple : la communication sur les files d’attentes chez Mc Donalds), ou au contraire profiter de ce moment de déstabilisation pour qu’apparaisse une « offre » (offre de participer, offre de transformer sa pratique de manière collective). Aujourd’hui, même si de nouvelles relations sociales se sont tissées, il est abusif de dire qu’elles sont d’ores et déjà ancrées dans des habitudes. Conclusion Gilles : Nous postulons qu’il est peu probable que ce soient les particularités de la crise du coronavirus qui génèrent ces diversités de positionnements et d’itinéraires. Bien sûr, l’attention accrue aux questions de santé est directement liée à l’origine de la crise, et elles seraient sans doute moindre si l’origine était environnementale. Mais les contributions et récits recueillis invitent à identifier la crise comme un révélateur des comportements, des attentes, des craintes, des envies, dans ce domaine si complexe qu’est l’alimentation. Cela ouvre des perspectives sur le plan heuristique, puisque se mettent à jour des phénomènes profonds qui seraient difficilement observables autrement. Et en conséquence, des enseignements de portée plus générale peuvent, et doivent , être tirés de cette crise, y compris sur le plan des politiques publiques. Nicolas : Remettre en questionnement des éléments du quotidien, c’est une expérience qui ne s’efface pas comme ça. Ce qui allait de soi ne va plus de soi. Et donc il faudra un petit moment pour que ça redevienne comme avant, ou bien que ça constitue effectivement des habitudes. C’est un moment intéressant pour interroger. Parce que tout le monde a eu à se demander, et a eu le temps de se demander pourquoi il faisait les choses d’une certaine façon, alors que c’était devenu complètement ancré et automatique, et installé dans un quotidien non interrogé. C’est important parce que c’est potentiellement une ressource : pour retrouver ces questions qu’on s’est posées ,ce mécanisme méta-cognitif, cette méta-cognition, capacité à réinterroger des réflexes qu’on avait, à dire « attends, pourquoi on ferait comme ça alors qu’on pourrait faire autrement ? ». C’est un muscle ! Ce muscle s’est un peu entraîné pendant le confinement. Comment on joue là-dessus ? Comment on retrouve les effets de cet entraînement dans les futures pratiques alimentaires, pratiques d’achat, etc ? Comment on le réactualise à des moments, autrement qu’en disant « rappelez-vous, en période Covid, on a tous fait différemment » (ce qui réactualiserait un problème dont les gens ont envie de sortir) ? [1]GMS : grandes et moyennes surfaces, soit les supermarchés et hypermarchés. Télécharger cet éclairage Pour découvrir d'autres articles proposant des analyses de l'impact de la crise du covid-19 sur les systèmes alimentaires, consultez la rubrique Eclairages
- Éclairage Covid-19 | Qui veille au grain pour demain ?
L’association Les Greniers d’Abondance qui contribue aux bulletins de partage “Manger au temps du coronavirus” a publié un article visant à détailler l’impact de la pandémie du Covid-19 sur nos systèmes alimentaires. Nous vous proposons ici un résumé de cet article, publié sur le site Medium et disponible en intégralité ici. L’article se propose d’éclairer les mécanismes à l’origine des crises multiples que la pandémie de Covid-19 a initié ou simplement catalysé à court et plus long terme. A la crise sanitaire actuelle succède déjà une crise économique de grande ampleur qui touche le système alimentaire industrialisé et est sur le point d’affecter en profondeur la sécurité alimentaire mondiale sur le long terme. Ce texte n'engage que ses auteurs et pas l'ensemble du collectif qui rédige les bulletins. Les Greniers d’Abondance est une association visant à étudier la vulnérabilité des systèmes alimentaires contemporains face aux bouleversements écologique, climatique et énergétique. Elle se donne pour objectif de sensibiliser les citoyen·ne·s et élu·e·s à cette problématique, de fournir des outils de diagnostic et d’intervention, et enfin de participer à la construction de politiques de résilience territoriale. L’article complet a été rédigé par Félix Lallemand et Arthur Grimonpont (Les Greniers d’Abondance), et a bénéficié des contributions et de la relecture de Benjamin Cuillier, Lan Anh Vu Hong, Arnaud Vens, Cécilia Thibault et Héloïse Grimonpont (Les Greniers d’Abondance), Simon Bridonneau (Triticum), et Anton Deums (Auréso). Le résumé proposé ici a été rédigé par Inès Joffet (Les Greniers d’Abondance), et a bénéficié des contributions et de la relecture de Félix Lallemand, Arthur Grimonpont (Les Greniers d’Abondance) et Anne-Cécile Brit (Les Greniers d’Abondance, FR CIVAM Bretagne). Le système alimentaire mis à l’épreuve C’est tout le système alimentaire qui est touché par l’arrêt brutal de l’économie nationale avec la crise du covid-19. Tous les maillons de la chaîne font face à des difficultés d’approvisionnement, de débouchés, et de manque de main-d’œuvre (Figure 1). Figure 1 : Une représentation simplifiée de notre système alimentaire : la façon dont les sociétés industrielles s’organisent dans le temps et dans l’espace pour produire et consommer leur nourriture. Les effets directs de la crise sanitaire sont listés en rouge aux côtés des maillons concernés. Crédits :Les Greniers d’Abondance, CC. Des tensions sont apparues dès les premiers signes de la crise dans le secteur de l’agrofourniture, tantôt en rupture de stock (razzia sur les semences), tantôt contraint de jeter des marchandises sans débouchés (plants), et dans celui de l’agriculture. La fermeture des frontières a entraîné une chute de la main d’œuvre saisonnière. Un appel à se mobiliser dans les champs a été lancé par la plateforme “Des bras pour ton assiette”. Certains agriculteurs ont commencé à manquer de débouchés pour leurs productions (lait, fruits et légumes). Ils se sont retrouvé en surproduction par rapport à une demande en baisse : leurs clients de la restauration hors domicile ont suspendu leur activité ou les consommateurs privilégient des produits secs. Dans les usines, la main-d’œuvre manque également alors que la demande des ménages pour certains produits transformés a augmenté avec l’entrée en confinement (farine, pâtes). On note en effet un changement de comportement des consommateurs qui se tournent davantage vers des produits de longue conservation pour faire des stocks et achètent plus par à-coups. Les chaînes logistiques (transports, emballages), clé de voûte du système alimentaire, sont bouleversées elles aussi. Des denrées viennent régulièrement à manquer dans les rayons des grandes surfaces. Le risque d’insécurité alimentaire s’accroît pour les foyers les plus pauvres mais on voit se multiplier les démarches de solidarité. La vente directe est revalorisée, même si côté grande distribution, la livraison et le drive sont en vogue. La crise met en évidence certaines vulnérabilités de notre système alimentaire : son fonctionnement en flux tendu, sa dépendance à la main d’oeuvre étrangère et la fragilité économique de certains acteurs. De ce fait, le problème de l’insécurité alimentaire pourrait s’accroître à moyen terme… Le plus dur reste à venir La crise sanitaire pourrait se muer en crise économique de grande ampleur. Les exploitations agricoles déjà fragiles pourraient faire faillite et la précarité alimentaire risque d’augmenter fortement. Les marchés alimentaires mondiaux vont vraisemblablement se gripper : baisse des capacités de production (dépendance aux imports et à la main-d’œuvre étrangère), problèmes de logistique des chaînes d’approvisionnement, fluctuation des prix sur les marchés internationaux. Les consommateurs vont perdre en pouvoir d’achat. Beaucoup voient leurs conditions de revenus menacées par la fermeture partielle ou totale de leur entreprise (8 personnes sur 10 dans le monde), ou par des décisions éventuelles de réduction des salaires voire de licenciements. Ceci risque d’entraîner une explosion de la précarité alimentaire, d’autant plus forte pour les travailleurs informels (comme c’est le cas en Inde). Figure 2: Indice des prix alimentaires et émeutes de la faim dans le monde. Le nombre de victimes directes des émeutes est indiqué entre parenthèses. Source : Lagi et al. (2011). Les pays occidentaux se mettent en mouvement pour garantir un minimum alimentaire à chacun. Des chercheurs britanniques proposent un programme de rationnement tenant compte des besoins nutritionnels de chacun. Aux Etats-Unis, les banques alimentaires travaillent d’arrache-pied et sont déjà submergées à tel point qu’elles ne peuvent pas servir toutes les personnes qui soudainement nécessitent une aide alimentaire. Les agriculteurs sont eux aussi en danger face au choc économique. Les exploitations les plus fragiles risquent de faire faillite, venant accélérer le déclin de la population agricole. Beaucoup sont étroitement intégrées dans un système alimentaire complexe et dépendent de la fourniture d’intrants et d’équipement en amont et des industries agro-alimentaires et de la grande distribution en aval. Ces grandes firmes de l’agro-industrie bénéficient d’un important pouvoir de négociation par rapport à la construction des prix. Les agriculteurs ne récupèrent, en valeur, que 6,5% des achats alimentaires des Français (Figure 3). Figure 3 : Répartition de la valeur ajoutée entre acteurs de la filière, sur cent euros d’achat alimentaire, en France. Source : Les Greniers d’Abondance, d’après FranceAgriMer (2020) Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. L’arbre qui cache la forêt Cette crise inédite ne doit pas nous faire oublier les autres menaces qui pèsent sur notre capacité à nous nourrir. Les conditions nécessaires au fonctionnement du système agro-industriel sont en effet compromises. Il est urgent de transformer notre système alimentaire pour en renforcer la résilience face à ces perturbations. L’offre en pétrole va se contracter au cours des 5 ans à venir. La demande a baissé avec l’entrée en confinement, les prix ont chuté, et les investissements pour l’exploitation de nouveaux gisements ont dû être suspendus. Combiné au déclin géologique de la majorité des puits actuellement en production, cela entraînera un manque de pétrole, un ralentissement des nombreuses activités qui en dépendent et donc de graves difficultés économiques. L’agriculture et l’ensemble du système alimentaire, dépendent des énergies fossiles et ne sont pas préparés à un tel sevrage. Le confinement n’a pas changé le cours des prévisions climatiques. Malgré ses effets positifs (diminution des émissions de gaz à effet de serre, de la pollution, de la consommation énergétique, réapparition de la biodiversité dans certains lieux), cet infléchissement ponctuel n’a presque aucune incidence sur les crises écologiques globales, qui résultent de plusieurs décennies de développement incompatible avec les limites planétaires. Nous devrons faire face à l’augmentation prévue des températures et des événements climatiques extrêmes. L’agriculture est particulièrement vulnérable face aux risques de sécheresses, d’inondations, ou face à la migration des pathogènes et des ravageurs. Le lien entre effondrement de la biodiversité et augmentation des risques sanitaires est particulièrement illustré par la pandémie actuelle. Mais les systèmes agricoles sont aussi menacés par le déclin de la vie sauvage car certaines fonctions essentielles comme la pollinisation, la régulation des pathogènes et des ravageurs, ou le renouvellement de la fertilité des sols se dégradent. La crise actuelle met en évidence la complexité de notre système alimentaire, certaines de ses vulnérabilités, et nous rappelle l’urgence qu’il y a à le transformer en profondeur pour répondre aux crises de demain. Pour découvrir d'autres articles proposant des analyses de l'impact de la crise du covid-19 sur les systèmes alimentaires, consultez la rubrique Eclairages