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Éclairage Covid-19 | Une élue rennaise témoigne de son expérience


 

Présentation de Nadège Noisette


Élue depuis 2014, en charge de la politique d'approvisionnement de la ville de Rennes, j'ai travaillé sur la question de l'alimentation notamment dans le cadre de l'approvisionnement des cantines scolaires. J'avais envie que les petit-e-s rennais-e-s puissent avoir des produits bio et locaux dans leurs assiettes. Je voulais que l'achat de denrées alimentaires par la ville de Rennes puisse aussi encourager des pratiques agricoles plus durables et que l'on diminue le gaspillage alimentaire. A travers des projets comme le plan alimentaire durable (PAD) de la ville et Terre de Sources porté par la collectivité Eau du Bassin Rennais (CEBR), le système alimentaire rennais progresse peu à peu vers un modèle plus résilient. La crise sanitaire que l'on traverse le démontre en partie.

 

Dès le début du confinement, beaucoup se sont rué-e-s dans les grandes surfaces afin d’acheter des produits de base en grande quantité par peur de manquer. Puis se mettant à cuisiner, et particulièrement inquiet-e-s pour leur santé, certain-e-s se sont tourné-e-s vers les produits frais, bruts, sains et locaux. Cette crise permet alors de créer de nouveaux liens solidaires entre différent-e-s actrices/acteurs que ce soit pour favoriser la vente de produits locaux, pour lutter contre le gaspillage alimentaire ou pour offrir une aide alimentaire aux plus démunis·es.


Ainsi par exemple :

  • Les supermarchés s’approvisionnent plus facilement auprès de productrices et producteurs locaux

  • Les plateformes qui offrent des possibilités de commander en ligne mettent en avant des produits bio et issus d’une agriculture paysanne durable

  • La cuisine centrale de la ville de Rennes a distribué les denrées prévues en vain pour les cantines via des circuits courts ou le don et fabrique actuellement des repas pour les personnes dans le besoin.

  • Des coursiers en vélo font des livraisons de paniers à domicile

  • Des systèmes alternatifs de distribution, souvent solidaires se sont inventés rapidement comme des achats groupés d’habitant-e-s


Mais quand certain-e-s se démènent pour trouver des produits durables et locaux et soutenir les productrices et producteurs, d'autres n'arrivent pas à nourrir leur famille. Pour certains enfants, le repas à la cantine était le seul repas équilibré de la journée, avec la fermeture des écoles, se nourrir devient donc pour certaines familles une véritable question de survie.


Paradoxalement, un certains nombres d'industriels de l'agroalimentaire, se retrouvent avec des stocks de denrées qu'ils n'arrivent pas à écouler faute de débouchés dans la restauration hors domicile, parce que les habitudes de consommation ont changé ou que la chaine de distribution montre quelques signes de faiblesse.


Face à ce constat et l'impossibilité pour les associations d'aide alimentaire de fonctionner normalement, une grande et exceptionnelle solidarité s'organise à Rennes. Ainsi sous l'impulsion d'associations locales d'aide alimentaire comme Cœurs Résistants et L'Epicerie sociale de l'université de Rennes2, l'ensemble des actrices et des acteurs de l'aide alimentaire construisent un nouveau système de distribution alimentaire pour toutes celles et ceux qui en ont besoin. Une fois par semaine, en viso-conférence, les grandes associations nationales comme la Banque Alimentaire, le Secours Populaire, La Croix Rouge, les Restos du Cœurs… , les associations locales (Cœurs Résistants, L'Epicerie Sociale de Rennes2, Un Toit c'est Un Droit … ), l’Etat et la ville de Rennes se retrouvent pour trouver ensemble des solutions à la précarité alimentaire. Cette nouvelle coordination, efficace et mise en place dans l'urgence, me semble en soit déjà assez inédite pour être soulignée.


Il en résulte alors que la ville met à disposition des associations, 2 écoles, qui servent de base logistique. Dans chacune de ces écoles des équipes de 5 à 6 bénévoles, qui tournent par demi-journée, réceptionnent, désinfectent, trient, rangent des denrées alimentaires. Celles-ci proviennent de la banque alimentaire, de dons des grandes et moyennes surfaces récupérées par la société Phenix et les associations, de dons des industries agro-alimentaires ou de l'agriculture (Chambre d'Agriculture) qui transitent souvent par la cuisine centrale de la ville de Rennes, d'achats réalisés auprès de grossistes comme la Biocoop ou par la ville de Rennes pour les couches. Une cagnotte a été mise en place (SolidaRennes) pour permettre ces achats. Une fois désinfectées au vinaigre blanc et triées, ces denrées sont ensuite mises dans des sacs par les bénévoles. Chaque sac doit contenir pour une personne de quoi manger de manière "équilibrée" pendant 4 à 5 jours. Le CROUS est chargé de la distribution. 2 agents du CROUS viennent ainsi avec leur camion frigorifique dans les écoles tous les jours pour récupérer les sacs préparés et les distribuer directement chez les personnes qui en ont fait la demande. Quelques autres associations de quartier ou qui suivent des squats viennent aussi chercher régulièrement quelques sacs. En tout se sont ainsi près de 300 sacs qui sont constitués par jour dans les 2 écoles. Les bénévoles affluents, les demandeurs et demandeuses aussi. En 2 mois, 10 000 personnes différentes sur Rennes ont ainsi été aidées. En plus de cette logistique mise en place dans les deux écoles, la cuisine centrale de la ville de Rennes produit chaque jour près de 500 repas chauds individuels qui sont livrés par des agents de la ville aux personnes logées dans des hôtels. La ville a en effet mis à l'abri dans des hôtels les personnes qui n'avaient pas de logements dont une grande partie de migrant-e-s.


De mon côté, entre une élection municipale suspendue et la mise en place à la ville d'une cellule de crise très resserrée autour de la Maire, je me suis retrouvée, confinée sans moyen d'agir dans le cadre de mon mandat municipal alors que l'alimentation était au cœur des préoccupations du moment. Je connaissais l'association "Cœurs Résistants" car j'avais monté un projet artistique avec eux en 2019. Je les ai contactés afin de pouvoir prêter main forte. Un jour par semaine, j'ai alors encadré les équipes de bénévoles sur le site d'une des écoles. L'équipe du matin se chargeait de récupérer, désinfecter, trier les denrées qui arrivaient. Deux à trois arrivages différents étaient attendus. A partir de 14h, l'équipe de l'après-midi préparait entre 150 et 170 sacs en essayant de répartir au mieux les différents aliments et en prenant en compte les régimes alimentaires des bénéficiaires. Ensuite on nettoyait et désinfectait tous les locaux. Concrètement on avait assez peu de fruits et légumes frais. Les pâtes, riz, huiles avait été achetées. On avait par contre beaucoup de plats préparés, de produits laitiers avec des DLC très courtes et énormément de viennoiseries. Les échanges entre bénévoles témoignaient vraiment d'un questionnement et d'une inquiétude partagée quant à la qualité nutritive des denrées que l'on donnait et de la surproduction de certains produits (viennoiserie par exemple). Les aliments étaient aussi pour la plupart suremballés.


Je continue ce bénévolat au moment du déconfinement. Avec la réouverture des écoles, l’aide alimentaire s’organise désormais dans un gymnase. Cette fois ce seront plutôt les bénéficiaires qui viendront directement se servir dans ce gymnase transformé alors jusque fin aout en épicerie solidaire.

La question de la précarité alimentaire a toujours été au cœur de mes préoccupations sans forcement d’ailleurs trouver des réponses. J’espère vraiment que cette formidable solidarité de l’aide alimentaire va perdurer pour justement co-construire les solutions qui permettront demain à toutes et tous de manger sainement. Il ne faut pas que les personnes les plus fragiles ne puissent manger que les « restes » de la société de consommation, ce n’est pas sain, ce n’est pas juste. Il me semble vraiment urgent qu’un nouveau modèle puisse être pensé et expérimenté au moins déjà à l’échelle de la ville de Rennes.


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