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Éclairage Covid-19 | L’agriculture familiale agro-écologique pour des systèmes alimentaires durables

Le choc provoqué par la pandémie de Coronavirus se révèle d’une ampleur inédite que l’on mesure chaque jour un peu plus, avec des bouleversements sans précédents.

Ces bouleversements touchent le secteur de l’agriculture et de l’alimentation, provoquant des inquiétudes sur la sécurité alimentaire mondiale, et mettant au grand jour les fragilités structurelles des systèmes alimentaires, ces règles et modes d’organisation qui doivent garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations.

Une telle situation met en lumière la nécessité impérieuse de rendre ces systèmes alimentaires plus résilients, plus durables. Cette nécessité interpelle directement les équipes d’Agrisud.

 

Cet éclairage a été rédigé par AGRISUD, nous les remercions d'avoir accepté de partager ce travail dans cette rubrique. Vous pouvez retrouver l'article original sur ce lien.


Ce texte n'engage que ses auteur·e·s et pas l'ensemble du collectif qui rédige les bulletins de partage.

 

Une position d’observation privilégiée


Par sa couverture géographique d’une quinzaine de pays[1], les équipes d’Agrisud bénéficient d’une position privilégiée pour observer ces bouleversements dans une grande diversité de situations.

Le recueil des informations remontant des terrains permet ainsi de produire une analyse des risques de perturbations des systèmes alimentaires liés à la pandémie. Ces risques peuvent être alors opposés à ce qu’Agrisud considère comme des facteurs de résilience qui sont mis en œuvre au travers de ses différents projets.

 

Des systèmes alimentaires différemment impactés


L’infographie ci-dessous représente, de manière non exhaustive, les risques de perturbations pouvant être générées par la crise sur les systèmes alimentaires. Tous ces risques ne se manifestent pas de la même façon selon les contextes et peuvent être influencés par plusieurs facteurs. Entre autres, ils dépendent fortement de l’organisation initiale des systèmes alimentaires, avec leurs forces et leurs faiblesses. Ils dépendent aussi de l’intensité de la pandémie, des réactions et de l’adaptation des populations, des mesures prises (restriction des déplacements, fermeture de frontières, confinement...) et de l’évolution de ces mesures dans le temps.

Ces risques affectent autant l’amont de la production agricole, la production elle-même que son aval. Si elle semble pour le moment épargnée, la production peut être pénalisée par la réduction du temps de travail dans les exploitations.

A l’amont, la rupture des chaînes logistiques perturbe l’accès aux intrants. La limitation des déplacements et la crainte de la maladie peuvent limiter la disponibilité en main-d’œuvre si elle est extérieure ; elle peut a contrario l’augmenter si celle-ci est familiale. Dans certains cas, la production agricole bénéficie du retour d’une main-d’œuvre victime de la récession dans d’autres secteurs. L’accès difficile aux facteurs de production pourrait causer, à moyen terme, l’augmentation des coûts de production et la réduction des quantités produites.

A l’aval, les circuits de mise en marché sont également perturbés. Les familles agricoles écoulent plus difficilement leurs produits du fait de la fermeture ou de la baisse de fréquence des marchés locaux. Dans le même temps, les prix de certains produits devenant plus rares – ou sujets à spéculation – peuvent augmenter au sein des bassins de consommation.

Les consommateurs subissent directement ces effets. La disponibilité des produits est également entravée par des perturbations sur les circuits d’importation. Certains voient leur pouvoir d’achat réduit du fait de la diminution ou de la perte de revenus, ils privilégient alors les produits moins chers, moins diversifiés et souvent moins nutritifs. La sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations est menacée.

©Agrisud International


Une vulnérabilité des systèmes alimentaires, le cumul des maux


Ces risques impactent au plan économique tous les acteurs, et notamment les familles d’agriculteurs et les consommateurs, creusant un peu plus les inégalités.

Certains pays sont plus vulnérables que d’autres, du fait de crises récurrentes (comme les crises climatiques) et de problèmes structurels plus profonds : instabilité politique, pauvreté, forte dépendance alimentaire... Cette crise révèle la vulnérabilité des systèmes alimentaires.

Si, à court terme, des mesures immédiates de protection des populations les plus vulnérables et d’atténuation des effets de la pandémie sont nécessaires, des mesures structurelles d’adaptation des systèmes alimentaires sont indispensables.

©Agrisud International


L’agriculture familiale, pivot de systèmes alimentaires durables

Dans les pays d’intervention d’Agrisud comme dans d’autres pays, de nombreuses initiatives sont développées pour améliorer la résilience des systèmes alimentaires. Cette crise apporte son lot d’innovations et peut être un facteur d’accélération du changement.

Parce qu’elle représente à elle seule plus de 70 % de la production alimentaire mondiale, c’est en priorité à l’agriculture familiale qu’il faut donner les clés de cette résilience. Il s’agit ici de lui permettre de satisfaire l’essentiel des besoins alimentaires locaux.

Cette résilience passe par des systèmes de production et d’échanges qui soient durables, tant à l’échelle des exploitations agricoles qu’à celle des territoires.

L’agriculture familiale agro-écologique, la bonne intégration des exploitations dans les filières et les marchés locaux, l’interaction efficace des acteurs par une approche « territoire » participent de cette résilience et apparaissent clairement comme des options crédibles pour répondre aux enjeux de sécurité et de souveraineté alimentaire.


©Agrisud International

 

L’agro-écologie, facteur clé de résilience

L’agro-écologie a l’avantage de réduire la dépendance aux facteurs de production. Le besoin limité en intrants extérieurs rend les exploitations agricoles familiales moins vulnérables aux perturbations des chaînes logistiques. De même, certaines pratiques culturales réduisent la dépendance à la main- d’œuvre extérieure. En rééquilibrant les systèmes de cultures et d’élevage et en permettant de produire plus et mieux sur de petites surfaces, l’agro-écologie favorise la diversification et l’intensification des systèmes de cultures et d’élevage. Elle sécurise les cycles de production en réduisant les risques et en optimisant l’efficience des facteurs de production. L’agro-écologie permet ainsi d’améliorer la capacité à produire en quantité, en diversité, en qualité et en régularité tout en réduisant les risques liés à la dépendance extérieure et aux aléas.

Une nécessaire intégration économique

Le conseil en gestion permet aux exploitations familiales d’adapter leurs systèmes de culture et d’élevage à la demande des marchés et de sécuriser l’écoulement de leur production. La diversification des circuits de commercialisation est favorisée pour réduire les risques de rupture d’un ou de plusieurs circuits. L’adaptation de la production aux besoins et aux potentiels des territoires limite les flux d’échanges entrants et sortants, limitant de ce fait les effets de rupture de chaînes logistiques aussi bien en termes d’engorgement des marchés locaux par des produits habituellement exportés du territoire, que d’augmentation des prix des produits importés. Les filières d’importation d’autres territoires ou de l’étranger ne sont pas pour autant exclues, pourvu que les relations commerciales s’exercent dans l’intérêt de chacun. En adaptant les productions à la demande locale et en diversifiant les circuits de commercialisation, les risques de rupture sont réduits et l’approvisionnement des marchés locaux est mieux sécurisé.

Des acteurs du territoire mobilisés

C’est la mise en cohérence des ressources d’un territoire et la collaboration entre acteurs qui conduisent à des systèmes alimentaires durables, limitant le déséquilibre entre zones rurales et zones urbaines et tenant compte de l’interdépendance des enjeux économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux.

Dans le cadre de cette approche « territoire », le développement de services professionnels de proximité réduit les risques de ne pouvoir accéder aux services, aux intrants ou à la main-d’œuvre. La transformation des produits à l’échelle locale peut limiter la perte des produits périssables.

Le développement des savoirs et notamment la sensibilisation des consommateurs à l’alimentation durable est aussi un enjeu majeur pour promouvoir les productions locales et agro-écologiques. La constitution et la montée en compétences de réseaux d’acteurs (décideurs, services agricoles, commerces, entreprises, exploitations agricoles, consommateurs...) qui mobilisent les ressources locale en fonction de leurs responsabilités, donnent au territoire les meilleures chances de devenir résilient : on privilégiera alors des systèmes alimentaires territorialisés.

 

La crise facteur d’accélération de la transition agro-écologique


Cette agriculture familiale agro-écologique, de proximité, bien intégrée dans les filières et les marchés de son territoire, peut répondre aux besoins alimentaires des populations tout en préservant l’environnement et en développant l’économie locale.

Elle est la base de ces systèmes alimentaires territorialisés. Elle contribue à soutenir les dynamiques économiques, englobant l’ensemble des acteurs, avec un partage de la valeur créée dans le territoire. Elle génère de multiples bénéfices au niveau du climat et des ressources naturelles, de la lutte contre la pauvreté et de la sécurité alimentaire.

Une transition vers cette agriculture s’impose plus que jamais, et le contexte de crise sanitaire pourrait en être l’accélérateur.

Les réactions à venir des Etats et des bailleurs de fonds vont être déterminantes. Des arbitrages budgétaires défavorables à ce type d’agriculture sont à craindre dans certains pays car il est plus facile de revenir aux anciennes formules quelles qu’en soient les conséquences et leurs fragilités. Cela viendrait amplifier les conséquences négatives de la crise sur l’agriculture et la sécurité alimentaire. De même, des stratégies de relance rapide de la production basées sur des modèles agro-industriels ou dépendantes d’importations massives fragiliseraient le tissu de production locale.

La bonne nouvelle est que cette transition agro-écologique est déjà à l’œuvre dans bien des endroits, même si les ruptures dans les pratiques et dans les politiques publiques qu’elle implique restent encore un frein pour qu’elle prenne sa véritable dimension.

Elle est désormais partout au cœur des discussions internationales sur le devenir des systèmes agricoles et alimentaires dans le monde. Il faudra qu’elle soit plus que jamais prise en compte au lendemain de cette crise.

 

[1] Haïti, Brésil, Sénégal, Guinée Bissau, Côte d’Ivoire, Maroc, São Tomé e Príncipe, Gabon, Maurice, Madagascar, Chine, Laos, Cambodge, Vietnam, Indonésie (Bali).

 
 

Copyright photos et schémas : ©Agrisud International

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