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Bulletin de partage 5 - Finalement, le confinement avait ses bons côtés

Dernière mise à jour : 25 juin 2020

Les mangeurs ne nous disent pas avoir vécu la date du déconfinement comme une rupture brusque : petit à petit ils font le tri dans les expériences qu'ils ont vécues.


 

Nous avions signalé dans le précédent bulletin que nous n’observions pas de surexcitation culinaire à l’approche du déconfinement. Nous ne l’avons pas non plus trouvée après qu’il a été prononcé. Nous sommes même surpris de constater chez certains une nostalgie d’un temps suspendu. Une fonctionnaire territoriale de Lorraine nous dit dès le 15 mai : “je considère avoir vécu cette crise dans une position d'ultra-privilégiée. Elle m'a permis de marquer une pause dans l'agitation quotidienne, profiter énormément de mes enfants (4 et 6 ans) qui poussent si vite et ont encore tant besoin de ne pas être constamment contraints par des horaires... [...] j'aurais bien prolongé un peu le temps de la rue privée de tous ses moteurs”. Une consommatrice de Rhône Alpes précise le 2 juin : “fini le plaisir et l'exotisme de manger ce que d'autres ont préparé (famille, amis, restaurateurs...)”.


A l’heure du bilan, Santé Publique France constate le 19 mai que “les principales évolutions déclarées portent sur le grignotage, le fait de cuisiner maison, l’accessibilité des produits alimentaires et le poids. Pour améliorer son alimentation au quotidien, de nombreux outils existent et les Français s’y sont référés pendant le confinement : le site mangerbouger.fr a connu une hausse de fréquentation de 60% par rapport à 2019.” (article “Confinement : quelles conséquences sur les habitudes alimentaires ?” https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2020/confinement-quelles-consequences-sur-les-habitudes-alimentaires)


Finalement, le confinement a aussi été un temps de (re)découverte. Parfois pour des choses très simples, comme l’écrit cette consommatrice des Bouches du Rhône le 11 mai : “toujours plaisir de manger, mais aussi redécouverte de ne pas se prendre la tête sur la bouffe et de manger très simple ; du riz tous les jours! Même si il est bio, ou coopératif.” Ou encore ce consommateur breton qui constate le 25 mai : “je ne savais pas cuisiner le poisson mais par solidarité avec ce producteur habitant notre territoire, j'ai appris et tout le monde a adoré.” A l’heure du bilan, certains formalisent une sorte de retour d’expérience, comme cette consommatrice bretonne le 13 mai : “ Les changements pdt la crise : les courses moins souvent, essai de faire des menus, pour une semaine, moins de bio car pas de marchés au début (ça manque)... 2 premières semaines : la peur de la maladie : cuisine moins et puis reprends du poil de la bête et tout va bien, retrouve un producteur de légumes, le marché...: cuisine pratiquement 2 repas par jour. Plutôt contente car j'aime cuisiner et découvrir des recettes, goûts, saveurs…” Parfois, l’expérience est plus intellectualisée, comme le note la consommatrice lorraine déjà citée : “professionnellement, j'ai pris un peu de distance par rapport à divers sujets qui me pèsent dans mon travail au quotidien, j'ai pu les partager avec des collègues, à distance. [...] Plus globalement cela nous a amenés à réfléchir aux inégalités dans la société, à la résilience de nos modes de vie…” Préoccupations matérielles et réflexion ne s’opposent pas, comme l’illustre le 20 mai cette bretonne habitant un petit appartement de centre ville : “Impacts sur les comportements : prise de conscience plus accentuée de la nécessité de se débarrasser de choses non essentielles (à tous les niveaux : consommations non indispensables, choses accumulées : ménage de printemps intensif (tri radical des livres, des vêtements, des papiers administratifs, des produits de ménage et de toilettes, des objets en plastique, mise à jour du carnet d’adresses, des ami.e.s, de tout ce qui parasite l’existence. [...] Déjà sensible aux enjeux environnementaux : décision de ne plus posséder de voiture, d’arrêter l’avion, de consommer local et équitable plus radicalement comme actuellement.

Cette même personne revient sur la tendance à l’autoproduction observée tout au long de l’enquête: “cultiver son jardin « mon mince balcon » n’a jamais été aussi beau, j’ai réussi mes semis de tomates, salades, poivrons, coriandre, aneth, fenouil, ciboulette, patates… en pots sur moins de 2 m2!“ Un intérêt confirmé par un témoignage de consommateur bordelais “Notre association PLATAU (Pôle Local d’Animations et de Transitions par l’Agriculture Urbaine) va lancer une action de distribution gratuite de 100 pieds de tomates variées, à maturité, auprès des habitants de la cité Claveau (Bordeaux Bacalan) durant l’été 2020, suivie d’ateliers pédagogiques à l’automne. Cette opération, nommée "Les Tomates déconfinées", a été imaginée pendant la période de confinement pour mettre en valeur les notions d’autoproduction urbaine, de circuit court et de diversité alimentaire”. Un consommateur du Val de Loire vivant à la campagne précise le 7 juin : “j'ai ajouté 50 m2 de surface de potager, soit un doublement de la surface antérieure.” Le journal télévisé du soir de France 2 apporte le 7 juin le témoignage du patron d’une pépinière, passé d'un effectif de 50 personnes à 150 personnes. Il pense en maintenir la majeure partie car c'est selon lui un mouvement de fond pour le jardinage mais aussi pour l'agrément.


Les expériences vécues lors du confinement se poursuivront-elles ? C’est en tout cas ce que constate un consommateur isérois un mois après le déconfinement : “j’ai aussi profité de la période pour réduire ma très faible consommation de viande (1 à 2 fois par mois) à zéro. À ce jour (7 juin) je n'ai pas racheté le moindre morceau de chair animale (mais j'en ai mangé deux fois, lors d'invitations en famille)”. Un consommateur breton s’interroge le 25 mai sur les effets à terme des pratiques développées : “je pense qu'aujourd'hui nous sommes passés à un approvisionnement à 80% en circuits courts et 90% en bio environ. J'ai très envie de continuer dans cette voie qui fait sens même si je dois souvent batailler à la maison avec mes jeunes victimes du marketing des industries agroalimentaires. Pour autant j'ai constaté un changement de comportement de leur part en cette période de confinement.” En écho à ce contributeur qui avait déclaré avoir appris à cuisiner le poisson, un étudiant à Orléans partage le 7 juin ce sentiment de montée en compétence culinaire, qui n’est pas éphémère : “je suis retourné vivre chez mes parents dans un village de 500 habitants dès le 16 mars où j'ai pu continuer mon jardin et m'initier à la cuisine.” Le magazine Slate affirme dès le 15 mai que “la réclusion à domicile et la peur du virus modifient nos façons de faire les courses comme la cuisine. Il est fort probable qu'il n'y aura pas de «retour à la normale» en masse.” (http://www.slate.fr//story/190359/confinement-nouvelles-habitudes-alimentaires-cuisine-repas).

Les interrogations portent fréquemment sur la persistance ou pas de pratiques “vertueuses” adoptées pendant le confinement. Cependant, une consommatrice de Nouvelle Aquitaine nous décrit le 19 mai un cheminement inverse, pour des raisons économique et sanitaires : “Lors du confinement, j'ai largement changé mes habitudes alimentaires. Diminution des fruits et légumes frais pour être remplacés par des conserves. Achats dans des magasins non bio car le prix des aliments en conserves ou transformés est très élevé dans les magasins bio. Alimentation végétarienne (déjà en cours avant le confinement). Diminution de la part de vrac car risques virologiques d'amener des contenants. [...] Reprise de mes habitudes alimentaires classiques (bio, locales, riche en fruits et légumes) depuis la fin du confinement. Je n'ose toujours pas utiliser mes propres contenants au vrac et je me contente des sachets papiers.


Ces constats conduisent deux sénateurs à formuler dans un rapport d’information les propositions suivantes :

14. Intégrer la dimension d’acceptabilité culturelle et de plaisir dans la défense des régimes alimentaires durables, en soulignant que l’impact sanitaire et écologique de l’alimentation peut être fortement réduit sans bouleverser les habitudes alimentaires

18. Faire évoluer les politiques de santé d’un accompagnement alimentaire ponctuel fondé sur le conseil nutritionnel à un accompagnement dans la durée et même à une véritable éducation à l’alimentation durable abordant toutes les dimensions du bien manger : dimension nutritionnelle mais aussi économique (acheter autrement) ou culinaire (préparer autrement).” (extraits du rapport “ VERS UNE ALIMENTATION DURABLE : UN ENJEU SANITAIRE, SOCIAL, TERRITORIAL ET ENVIRONNEMENTAL MAJEUR POUR LA FRANCE “ Délégation à la prospective du Sénat Rapport d’information de Mme Françoise Cartron, sénatrice de Gironde, et M. Jean-Luc Fichet, sénateur du Finistère. 28 mai)


Notre alimentation et nos façons de manger ne sortent donc pas indemnes de la crise, mais chacun le maîtrise ou le subit à sa façon et il serait vain de chercher une unanimité. Les comportements individuels ont toutefois montré des dominantes et des convergences qui trouvent un relais politique. Les envies de manger et partager une cuisine maison à partir de produits sains, de jardiner, vont se trouver dans l’après-crise confrontées à la réduction de l’espace des possibles, dessiné à la fois par les contraintes individuelles (temps disponible, budget alimentaire), collectives et institutionnelles.


 

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