Cette quinzaine marque le fait que le contexte sanitaire a un effet structurant sur les modes d’approvisionnement. Nous notons également l’apparition d’une certaine prise de recul après les bouleversements apparus suite au confinement. Après une stabilisation des habitudes prises en urgence, s’ouvre maintenant une séquence sur le moyen terme avec des constantes sur la polarisation des modes d’achat et sur la place des maires, ainsi que des questionnements ou des positionnements sur l'évolution du modèle alimentaire.
Tendance qu’il s’agira d’observer à moyen terme, la polarisation des modes d’approvisionnement semble se confirmer avec des supermarchés très sollicités notamment à travers les services de drive et des circuits courts alimentaires qui atteignent leur meilleur niveau. L’interrogation est forte sur la pérennité de ces habitudes, cette question nécessitera une observation fine de terrain à moyen terme. La logistique résiste pour le moment assez bien à cette ruée vers l’alimentaire, dense et soudaine. De manière générale, nous notons la capacité des acteurs à répondre de manière réactive à cette situation exceptionnelle. Les volumes nécessaires de denrées alimentaires et les ajustements sanitaires sont mobilisés tant en circuits courts que dans les filières industrielles.
Le moyen terme inquiète davantage. En effet, cette troisième période est marquée par l’émergence des préoccupations autour de questions et initiatives plus globales et de long terme. La presse et quelques témoignages commencent à rendre compte d’inquiétudes concernant les failles de la production et des marchés alimentaires : l’impossibilité de récolter (faute de main d’œuvre) ou de commercialiser (faute de demande, d’intermédiaires ou d’autorisation) les produits agricoles et alimentaires interroge. Les pertes par gâchis ou faute de débouchés structurés se révèlent progressivement, le revenu et l’organisation du temps et des débouchés des agriculteurs sont progressivement mis en tension.
Du point de vue social, les demandes adressées à l’aide alimentaire se démultiplient aussi. Des inquiétudes croissantes au sujet des précaires, des personnes à bas revenus, des migrants s’expriment, notamment au sujet de leurs enfants : l’arrêt des repas à la cantine suscite des difficultés pour assurer aux enfants 100% des repas à domicile. Ce sont les premières victimes socio-économiques de la réorganisation du système alimentaire et du confinement.
D’une manière générale, les attitudes de solidarité autour de l’alimentation (regroupement des courses entre voisins, aide aux personnes âgées, commandes groupées aux agriculteurs locaux), exprimées dans la proximité du village ou du quartier, se confirment comme une caractéristique forte de cette période de confinement.
Pour présenter les solutions mises en œuvre par les producteurs pour réorganiser leurs débouchés face à la fermeture des marchés (livraison, retrait à la ferme…), nous avons reçu quelques témoignages directs, complétés de nombreux retours de consommateurs qui se font « porte-parole » de la situation des producteurs. Ces derniers témoignent également de liens avec de nouveaux clients ce qui réinterroge leur façon de communiquer. Les opérations de solidarité se poursuivent dans ce contexte (voir la rubrique solidarités), tant à l’égard de ces populations précaires que des agriculteurs et artisans proches géographiquement, dont les consommateurs essaient de maintenir le revenu tout en améliorant leur propre mode d’approvisionnement. Le temps personnel libéré par le confinement confirme en effet très nettement la tendance générale, exprimée dans les nombreux témoignages reçus, à cuisiner davantage, à rechercher des produits frais, sains et de proximité. Si ces choix soutiennent nombre de producteurs, grâce à des initiatives individuelles ou collectives de distributions locales improvisées ou renforcées, elles mettent en tension certaines filières : la farine manque pour la préparation domestique du pain qui devient une pratique régulière, l’offre en fruits et légumes locaux se montre également limitée puisque avril est aussi une période « de césure » entre deux années productives pour les maraîchers.
Pour tous les modes d’approvisionnement alimentaire, la montée en puissance de considérations sanitaires est un facteur clé dans le choix du lieu ou du mode d’achat (drive, commerce de proximité, achat direct à un producteur, livraison à domicile…). L'effectivité de mesures comme le port de masques, le respect de distance sociale ou le temps d’exposition renforce certains dispositifs d’approvisionnement dans un contexte de réduction des possibilités (par exemple fermeture de certains marchés ou épiceries). L’impact commence à se faire sentir avec des dispositifs alimentaires locaux qui voient leur fréquentation multipliée par trois voire même cinq, des constats de prix en augmentation dans certains circuits, des temps d’attente plus importants.
Ce contexte s’accompagne d’une montée en puissance de la politisation de la question alimentaire (voir la rubrique 9), avec des interpellations des élus (suggestion de Projet Alimentaire Territorial dans des zones où il n’y en avait pas, proposition “Nourrir Lyon autrement”...), des manifestes (IPES Food, appel d’un groupe de seize membres de l’académie d’agriculture…), montage de groupes citoyens.
Deux sentiments complémentaires s’expriment : d’un côté une certaine lassitude et de l’autre un appel à une réflexion sur l’après-crise, souvent pour proposer une réorganisation en profondeur du système alimentaire fondée sur la proximité.
En parallèle, des organisations émergent pour comprendre les impacts alimentaires dans le cadre de la crise et les réponses associées. Pour garder en mémoire les événements, des acteurs de certains territoires, comme les îles de l’Atlantique, s’organisent progressivement avec des chercheurs pour comprendre les enseignements à travers une observation fine basée sur des témoignages et des retours d’expériences sur la durée. On observe une démultiplication d’opérations, pour le moment peu coordonnées, de suivi des évolutions du système alimentaire, parfois auprès de populations ou activités précises : Régions de France, grandes villes (France Urbaine en lien avec Résolis), chambres d’agriculture, Fédération des agriculteurs biologiques tentent par exemple de recueillir témoignages et données sur les enjeux agricoles et alimentaires à leur échelle.
Le rôle des pouvoirs locaux incarnés par les élus et les maires en particulier s’affirme comme fondamental, ils retrouvent une marge de manœuvre. Le niveau communal est très sollicité autour de 2 grands thèmes :
- la résolution de problèmes pratiques comme le secours alimentaire pour les familles à bas revenu
- la question des marchés.
Les territoires ruraux sont considérés par certains de leurs habitants mais aussi des urbains comme des espaces sécurisants et potentiellement dynamiques.
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