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Bulletin de partage 3 - Des circuits courts toujours attractifs mais des interrogation pour la suite

Les circuits courts de proximité restent très plébiscités et les modes de distribution se stabilisent après une période très incertaine notamment autour des marchés. Les producteurs s’interrogent à présent : pourront-ils continuer de répondre à cette demande élevée ? Celle-ci se maintiendra-t-elle ?


 

Une demande élevée qui se prolonge face à une production qui atteint ses limites


La demande élevée de produits en circuits courts se maintient sur cette nouvelle période avec des ventes largement supérieures à la moyenne dans la plupart des circuits de distribution (magasins de producteurs, vente à la ferme, drive fermier…) (voir bulletin 1 et bulletin 2) :

- “La fréquentation de notre site bonplanbio.fr, référençant les points de vente de produits bio près de chez vous, a été multipliée par 5 au mois de mars.” (association de développement de l’AB, Bretagne, 17 avril)

- “Pour les légumes les commandes [de l’AMAP] sont passées de 37 à 62 paniers!” (client d’AMAP, Bretagne, 19 avril)

- “Nous vendons actuellement entre 190 et 200 paniers au lieu de 120 habituellement !” (salariée d’un système de vente de paniers, Bretagne, 16 avril)

- “[Le Drive Fermier] a multiplié par dix son chiffre d’affaires en doublant le panier moyen et multipliant par 6 voire 8 le nombre de commandes par semaine” (Eclairage de Mélise Bourroullec, Occitanie, 23 avril)

Ce maintien d’un niveau de vente élevé questionne de plus en plus les producteurs des circuits courts sur leur capacité à répondre à cette demande, d’autant que la période est habituellement “creuse” pour les maraîchers (période de “creux du maraîcher”, voir la rubrique “des agriculteurs sous tension”). De plus en plus de systèmes de vente directe sont ainsi contraints de limiter les ventes soit car ils arrivent au maximum de leur capacité (organisationnelle ou de réserve de produits) soit pour anticiper les ventes futures et s’assurer de préserver un stock minimal :

- “Le Locavor d’Ecuelles enregistre habituellement une trentaine de commandes pour la livraison hebdomadaire d’Avon. Les commandes sont en forte hausse depuis 2 semaines. Le 11/04 la vente en cours pour la semaine suivante a été stoppée prématurément car elle enregistrait déjà 150 commandes, soit la limite de capacité de préparation du Locavor.” (consommateur, Ile de France, 11 avril)

- “Nous avons dû limiter le nombre de paniers à 200 car nous n’avons pas assez de bénévoles pour en proposer plus. Depuis le début du confinement, nous avons dû ouvrir une liste d’attente car nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes !” (salariée d’un système de vente de paniers, Bretagne, 16 avril)

- “Pour certains produits, l’approvisionnement est limité (légumes, farine, oeuf). Les clients commandent beaucoup plus tôt donc certains produits se trouvent en rupture très vite. Depuis le début de la crise, les ventes ont triplé, passant de 130 paniers par semaine à entre 300 et 400. Nous avons des demandes jusqu’à Rennes ! Dans ce cas, nous réorientons les clients vers des structures plus proches de chez eux. ” (salariée système de vente de paniers en ligne, Ploërmel, 16 avril)

Des producteurs et des acheteurs qui trouvent leurs marques malgré les incertitudes

concernant la décision publique.


La question de l’ouverture des marchés, lieu crucial de commercialisation pour les circuits courts, reste problématique (déjà souligné dans le bulletin n°2). Après l’interdiction des marchés de plein vent par le gouvernement le 23/03, Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, a appelé les maires et les préfets à favoriser leur réouverture le 10/04 (France TV Info, 12 avril). A cette date, seuls 3 000 marchés étaient ouverts contre 10 700 habituellement (France TV Info, 12 avril). Ce point mentionné dans « Des tendances qui se confirment en matière d’approvisionnement et d’implication » et « Des agriculteurs sous tension » est particulièrement impactant pour les circuits courts.

Nous avons ainsi reçu des témoignages contrastés selon le positionnement politique à ce sujet, parfois conciliant, parfois inflexible :

- “Le collectif Agricole et les commerçants sont intervenus aussitôt l'annonce de la suppression des marchés pour que le maire fasse une dérogation, ce qui a été fait. Le marché n'a pas été supprimé et le préfet a signé la dérogation.

- “Autour des halles à Tours se tient un marché de plein vent où viennent en particulier des petits producteurs. Depuis le confinement la préfecture a supprimé ce marché. On n'a donc plus accès aux petits producteurs locaux. Il faut aller dans les halles où vendent des négociants ou alors dans les supermarchés. Il eût été facile d'organiser le marché de manière à ce qu'il respecte les règles de distanciation. Il y a la place. C'est un choix politique. C'est une mise à l'écart des circuits courts. Il est plus difficile d'obtenir les légumes de saison (asperges, fraises).” (consommateur, Centre Val de Loire, 18 avril)

- “Depuis le confinement je complète mes achats sur le marché (à condition que des producteurs bio y soient présents- je regarde sur le site de la mairie quels commerçants viennent car ils ne sont plus que 15 au lieu de 60 auparavant) afin de soutenir les petits producteurs bio locaux. Mais la ville n’a autorisé l’ouverture des marchés que bien tardivement et suite à des pressions.” (consommateur, Bretagne, 19 avril)

Malgré tout, après plusieurs semaines de confinement et d’organisation chamboulées, de plus en plus de producteurs et d’acheteurs semblent trouver leurs marques et stabiliser leur organisation, mise en place dans l’urgence (voir la reconfiguration réactive des circuits de proximité) :

- “Après une certaine angoisse chez les producteurs maraîchers et surtout élevage de moutons pour viande d'agneau, chaque producteur a pour l'instant trouvé ses marques” (membre d’une association agricole, Bretagne, 10 avril)

- “A partir du 1er avril 2020, des producteurs du marché ont commencé à s’organiser pour mettre en place un service de livraison à domicile. Commande par texto et livraison de la commande un jour donné en fonction du lieu. Paiement par chèque sans contact direct avec le producteur.” (Consommateur, Provence Alpes Côtes d’Azur, déposé le 19 avril)

- “cette AMAP a introduit des contrats d’1 mois en complément des contrats de 6 mois prévus habituellement.” (client d’AMAP, Bretagne, 19 avril)

- “Des fermes du coin mettent en place des livraisons de paniers commandés au préalable, on peut aussi aller acheter à la ferme du village directement.” (consommateur, Bretagne, 10 avril)

- “Les distributions se font désormais avec les mêmes bénévoles selon les précautions d’usage et toujours dehors grâce à la météo clémente. Les Amapiens prennent les paniers des voisins pour éviter des déplacements. Un tableau d’horaires est envoyé pour que 3 personnes maxi s’inscrivent à l’avance sur un créneau.” (membre d’une AMAP, Bretagne, 19 avril)

- “les producteurs "mas des canotiers" d'habitude au marché des arceaux font un "drive paysan" hyper bien organisé au bout de notre rue depuis le 1er avril” (consommateur, Montpellier, 16 avril)

- “Le marché du samedi matin institutionnel sur Morlaix où l'on trouve énormément de producteurs locaux et bio (viande, pain, yaourts, fromage, légumes, poissons... (au moins 50 vendeurs différents) a été mis en veille durant 2 semaines pour cause de confinement. De nombreuses questions se sont posées pour les nombreux habitués du marché : comment continuer à manger local ? comment continuer à acheter les produits de nos producteurs? comment et où vont-ils vendre leurs produits? Samedi dernier 4 avril, une dérogation avait été demandée pour remettre en place ce marché du samedi. Mais malheureusement, nous nous sommes trouvés très nombreux dans une file d'attente interminable pour seulement 10 producteurs présents (choisis parmi les anciens et adhérents à la MSA (pourquoi?)).” (consommateur, Bretagne, 4 avril)

Nous notons derrière cette stabilisation un point de vigilance : la question du coût de ces nouvelles organisations est très peu abordée et repose souvent sur les producteurs ou les bénévoles.


Ainsi, plusieurs producteurs proposent désormais la livraison de leurs produits et le coût n’est généralement pas répercuté sur les prix. De même, les achats de masques, gel et gants représentent, à la longue, un coût non négligeable.

Par ailleurs, plusieurs personnes impliquées dans des circuits courts bretons ont évoqué dans un entretien avec une animatrice de la FR CIVAM Bretagne le surcoût lié à l’arrêt des consignes sur tout ou partie des emballages, un point sur lequel peu d’informations claires ont été diffusées par le gouvernement :

- “Nous avons arrêté le retour des emballages ce qui nous coûte notamment pour les bouteilles de lait et limite également nos ventes car nous n’avons plus assez de bouteilles” (Système de paniers, Bretagne, 22 avril)

- “Nous avons décidé de ne pas reprendre les consignes au magasin pendant 1 mois, les clients sont compréhensifs et les producteurs ont confiance dans le fait qu’ils ramènent les consignes quand la crise sera terminée” (Magasin de producteurs, Bretagne, 22 avril)

- “Nos producteurs doivent utiliser des emballages neufs alors qu’habituellement ils fonctionnent en vrac ou avec de la consigne. Au delà du coût que l’achat de nouveaux emballages représente, et qui devient non négligeable, cela n’est pas en accord avec les valeurs de la structure qui défend le zéro déchet. Nous nous demandons sous quelles conditions nous pouvons reprendre les emballages ?” (Système de paniers, Bretagne, 16 avril)

A cela s’ajoute le coût humain (temps, énergie) de la mise en place de ces nouvelles organisations qui demandent souvent plus d’échanges dans les collectifs de producteurs et des temps de présence allongés pour les bénévoles :

- “L’implication demandée aux bénévoles est plus importante, ils doivent à présent préparer les paniers alors qu’avant chacun se servait, et il y a de plus en plus de paniers. Vont-ils tenir dans la durée ?” (Système de paniers, Bretagne, 16 avril)

Ces différents surcoûts, à l’image des livraisons, ne sont généralement pas répercutés aux consommateurs, selon les témoignages reçus. Une animatrice d’un groupe de vente directe en Bretagne explique que “les producteurs sont conscients de leur rôle essentiel et ne souhaitent pas faire augmenter leurs prix dans cette situation de crise” : l’occasion de s’interroger sur les prix pratiqués dans les différents circuits de commercialisation (voir : Les chaînes alimentaires tiennent, avec réajustements et interrogations).


Les producteurs s’interrogent néanmoins, est-ce que les gens seront reconnaissants de l’effort que nous avons fait ? questionne Mme Bousquet (agricultrice qui est passée de 140 à 230 volailles tuées par semaine pour répondre à la demande) dans un article du Monde. “Ce questionnement taraude tous les agriculteurs qui se sont démenés pour produire et trouver, dans l’urgence, de nouveaux modes de commercialisation.” (Le Monde, 20 avril).

Un enjeu de communication auprès des nouveaux clients des circuits courts

Alors que les circuits courts de proximité attirent plus que jamais, les clients habituels et les producteurs s’interrogent. Les nouveaux clients comprennent-ils les valeurs portées par les acteurs des circuits courts de proximité ? Se rendent-ils comptent des efforts et adaptation mises en place par les producteurs et les bénévoles ? Continueront-ils de venir après la crise ?

- “Entre début avril et le 15 avril, entre 2 et 6 appels journaliers de nouveaux clients dont nous n'avions jamais entendu parler avant la "crise" du COVID-19. (...) Nous avons noté que ces nouvelles personnes, clients potentiels de la ferme, ne devaient pas être au fait des saisons et des légumes qui viennent avec. De même, ce profil de personnes, habitant Plomelin, ne nous connaissaient pas avant la crise, malgré notre communication via la presse/télé/site internet/répertoire Mangeons Local et bon plan bio. On peut penser qu'avant le COVID-19, ces personnes ne consultaient pas les plateformes répertoriant les productions locales et que notre absence des réseaux sociaux ne nous avait pas permis d'entrer dans leurs cercle d'information.” (maraîcher, Bretagne, 16 avril)

- “A 11h, il n'y a plus rien, [les producteurs] sont ravis de repartir "à vide" [du marché], et espèrent très fort qu'à la fin du confinement les gens poursuivrons leurs achats ici en production locale et de saison. Des producteurs locaux dévalisés...enfin une bonne nouvelle !! “ (consommateur, Nouvelle Aquitaine, 10 avril)

- “De nouveaux acheteurs du voisinage surpris par la qualité et le prix abordable des articles.” (agricultrice magasin de produits locaux, Occitanie, 13 avril)

Il est donc crucial d’expliquer les modes de fonctionnement aux clients dès aujourd’hui et également au moment de la sortie de la crise, comme l’a souligné l’animatrice d’un groupe de vente directe breton. “Pour l’après-crise, nous voudrions montrer aux médias et aux clients la différence entre magasin de producteurs et d’autres modes de fonctionnement comme La Ruche qui dit oui!” (16 avril).


Les prochaines semaines semblent décisives pour que les acteurs des circuits courts parviennent à fidéliser cette nouvelle clientèle et à lui transmettre les valeurs souvent associées à ces circuits alors que beaucoup s’interrogent sur les comportements des consommateurs après le déconfinement et tentent d’élaborer des scénarios (Vosges Matin, 23 avril).


 

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