La solidarité pour les plus vulnérables s’organise et se structure dans cette période qui suit l’effervescence de la première semaine de confinement. Des procédures spécifiques et des circuits alimentaires sont désormais rodés.
Dans le domaine des solidarités, nos réflexions s’appuient sur un nombre en légère hausse de remontées du terrain (15 contre 11 pour le bulletin 1), auxquelles nous avons ajouté des informations issues de trois réseaux traditionnels de solidarité. Seul l’une des personnes ayant répondu au questionnaire pense qu’il n’y a “pas de petits réseaux de solidarité près de chez elle” (Consommateur, 27 mars, Bourgogne Franche Comté).
Les retours que nous avons reçus mettent en lumière l’importance des formes de solidarité pour les plus vulnérables (v. infra), élément présent à l’occasion du bulletin de partage n°1 mais de façon moins prégnante.
De nouvelles entrées apparaissent, mais elles restent isolées :
La détresse alimentaire a notamment été illustrée par un homme qui a « menacé de se rendre au supermarché muni d’un fusil pour faire ses courses, faute d’avoir les moyens suffisants pour subvenir aux besoins alimentaires de sa famille » (Ouest France, 05-04).
Nous n’avons pas reçu de retour sur la solidarité « au champ », pourtant largement médiatisée à propos du besoin de main-d’œuvre (Le Monde, 7 avril et la rubrique « Difficultés et adaptation des chaînes alimentaires longues et courtes » de ce bulletin). Seule a été mentionnée l’action de « Mes Producteurs mes Cuisiniers » et des « Maîtres Cuisiniers de France » qui tentent de mettre en relation les chefs et les producteurs ne sachant pas comment distribuer leurs produits (02 avril).
La mutualisation d’achats est certainement une pratique qui se diffuse à l’image de ces témoignages : “Nous partageons les coordonnées de plusieurs commerçants avec notre famille afin de nous faire livrer ou passer commande” (consommatrice, 31 mars, Ile de France) ; “Nous mutualisons des achats avec nos voisins” (Membre d’une association visant à créer un Terres de Liens, 6 avril, Bretagne).
L’échange alimentaire : “Je pense à présent maintenir cette habitude de faire mon propre pain, et certainement d'en faire partager mes amis car lorsqu'on s'y met autant en faire une certaine quantité” (femme de 32 ans, artisan, 28 mars, Bretagne).
Soulignons, qu’aucun retour ne porte sur ce qui se passe « en magasin », ni dans les GMS, ni chez les détaillants. Pourtant, toutes les grandes enseignes prévoient un dispositif offrant aux soignants et/ou personnes âgées un accès prioritaire à la commande en ligne et à la livraison à domicile. Il suffit d’aller sur les sites correspondants.
Priorité donnée aux personnes les plus vulnérables : qui agit, comment, pour qui ?
Sans que l’on puisse généraliser, la solidarité pour les plus vulnérables ou les plus exposés n’est pas toujours au rendez-vous. Les “personnes sans domicile menacées par la maladie mais aussi par le confinement” en pâtissent (Slate, 2 Avril). Les personnes âgées et les soignants n’en bénéficient pas toujours : au marché, “Il y avait une queue extrêmement longue, de plusieurs dizaines de personnes, à l’ombre, le long du boulevard. Les personnes âgées, en voyant la queue, faisaient demi-tour. J’ai trouvé ça dommage qu’on ne les laisse pas passer en priorité, eux pour qui tout est difficile en ce moment. En même temps, d’autres personnes demandaient l’indulgence des agents de surveillance de la voie publique, comme le personnel soignant, mais ils expliquaient ne pas avoir de consignes pour faire des exceptions” (Consommatrice, 2 Avril, Bretagne).
Au regard des remontées d’informations et de quelques recherches sur internet auprès de trois réseaux de solidarité, on ne peut que confirmer que la solidarité pour les plus vulnérables ou les plus exposés n’est pas systématique et généralisée sur le territoire (même s’il existe des mots d’ordre en ce sens en provenance du gouvernement). Elle résulte d’actions plus ou moins spontanées de communes, de groupes, de réseaux, d’organisations non gouvernementales autour de la fourniture de repas ou produits alimentaires, mais aussi de particuliers (voir rubrique bulletin 1 « Organisation collective de livraison de repas ou produits alimentaires »).
Soulignons aussi les « appellations » diverses de la vulnérabilité - « personnes les plus vulnérables » ; « personnes sans possibilité de se déplacer » ; « pour les plus fragiles » ; « personnes en situation de précarité » - qui correspondent à des publics divers : personnes âgées (Plus de 70 ans ? moins ?), personnes sans domicile, soignants, malades (du coronavirus ?), entreprises en difficulté…
Parmi ces formes de solidarité, on trouve divers acteurs qui conduisent des actions de solidarité, en collaboration ou non :
Un groupement de producteurs bio qui propose de passer commande et de livrer à domicile les « personnes les plus vulnérables » (consommateur, 28 mars).
Une famille : “Nous nous sommes proposés afin de faire les courses d'une voisine âgée” (consommatrice, 31 mars, Ile de France).
Des communes et communautés de communes :
Vichy Communauté met à disposition un numéro vert au bénéfice des « personnes sans possibilité de se déplacer » pour faire des courses et les leur livrer (3 avril, ville de Cusset).
Progressivement, la ville de Rennes a décidé de gérer “directement, via la cuisine centrale, l’approvisionnement en repas de différents lieux, notamment d’hébergement” des sans-abris, une partie des quartiers restant « couverts » par des ONG (Secours populaire, Croix rouge, Restos du cœur). “D’autres associations organisent des maraudes pour distribuer des denrées aux personnes à la rue”. La ville de Rennes a également mis à disposition des associations deux écoles pour que des kits alimentaires y soient préparés, récupérés sur place ou livrés par les bénévoles associatifs (Cadre technique, ville de Rennes 35000, 02-04). Il semble aussi que Rennes ait distribué des produits achetés pour la cantine centrale arrivant à la DLC (yaourts bio, crèmes caramel, portions d'omelette) dans le cadre de l’aide alimentaire (membre AMAP, 1 Avril, Rennes, 01-04 ; v. infra « réseau »).
Selon le site des Petits frères des pauvres, à Saint-Maur-des-Fossés (94), 200 agents de la mairie auraient effectué 215 portages de courses alimentaires et de pharmacie pour des personnes vulnérables (personnes âgées, isolées ou handicapées) et une initiative similaire aurait été poursuivie à Béziers (34) (Petits Frères de Pauvres, Les meilleures initiatives pour faciliter la vie des personnes âgées pendant le coronavirus, 08-04).
Ces exemples semblent refléter une réalité de terrain : nombre de communes agissent et/ou collaborent avec des ONG et/ou renvoient purement et simplement à ces ONG ; d’autant plus lorsqu’elles ont (dû ?) fermer leur CCAS (Adhérente d’AMAP, 2 avril, Ile de France).
Des organismes institutionnels
L’AGIRC-ARRCO (qui gère la retraite complémentaire des salariés du secteur privé) propose actuellement une « Aide à Domicile Momentanée », pour les plus de 70 ans (en temps normal 75 ans) : “Cette aide est uniquement dédiée aux courses (…), évaluée avec le bénéficiaire à hauteur de 5h. maximum par semaine” (Agirc-Arrco, 3 avril).
Des réseaux déjà organisés
Les AMAP sont généralement actives. Ainsi, à Rennes, suite à la distribution de produits susmentionnés (v. supra « communes »), les restes ont été pris en charge par les AMAP et associations de quartier qui ont organisé la distribution : une “petite chaîne de relais s'est organisée pour que quelques familles du quartier plus en difficulté puissent en profiter. Il semble qu'aucun produit n'ait finalement été perdu, une satisfaction” (membre AMAP, 1 avril, Bretagne).
Le réseau Cocagne coordonne également une grande diversité d’actions. Il propose des livraisons à domicile de Paniers Solidaires « pour les plus fragiles » et « à destination de personnes en situation de précarité », en collaboration avec les CCAS ou des associations. Sont également organisées des distributions exceptionnelles dans des circuits d’aide alimentaire, tels que la “livraisons de fruits et légumes frais pour les distributions d’aide alimentaire qui en manquaient cruellement”. Là encore, la collaboration est d’actualité : “avec les partenaires historiques tels que Secours Catholique ou Secours Populaire ou au travers de nouvelles collaborations avec les banques alimentaires directement.” Mentionnons aussi le développement d’épiceries itinérantes ou de ventes ambulantes de produits bio et locaux, notamment dans “les secteurs dépourvus de commerces de proximité” ou dans les “zones isolées”, ainsi que des “appels aux dons de produits non périssables auprès des réseaux d’adhérents pour fournir une antenne Caritas ayant des difficultés d’approvisionnement” et l’” accélération des partenariats avec les autres producteurs locaux, développant des systèmes d’entraide ou de vente à la ferme collectifs” (Réseau Cocagne, 8 avril).
D’autres réseaux opèrent pour d’autres « vulnérabilités ». C’est le cas des Epis (Castelforain, de la Vallée, de Jouars-Pontchartrain et des Loges en Josas) qui ont décidé d’aider un chocolatier en grande difficulté du fait de l’absence de vente à l’occasion des fêtes de Pâques (30 mars, Village de Châteaufort, Yvelines). Dans le même ordre d’idée, même si le réseau paraît ici plus informel, suite à l'arrêt des marchés, “quelques forces vives en contact avec des producteurs, qui sont aussi actives sur le comité de quartier et dans les réseaux locaux (…) relaient les propositions des producteurs”, les jours de livraison et les points de collecte chez l'habitant (consommatrice, 27 mars, Bretagne). Ce type d’initiatives (autres exemples dans la rubrique “Faire ses courses au temps du confinement”) permet d’éviter la fermeture de certains services, comme il semble que cela soit arrivé à la « bio chez vous » (entreprise livrant des fruits et légumes bio à domicile) (Consommatrice, 4 avril).
Des ONG
Nous les avons déjà citées à de multiples reprises en raison des collaborations qu’elles entretiennent avec des communes et d’autres réseaux. La Croix-Rouge française a également lancé un dispositif d’écoute et de livraison solidaire pour les personnes vulnérables en situation d’isolement social (La Croix Rouge Française, 20 mars). Les Petits frères des pauvres développent des partenariats avec des entreprises et des communes, et participent par exemple à équiper les Ehpad de tablettes et logiciel adaptés aux personnes âgées qui “ont pourtant cruellement besoin de lien social pour illuminer leur journée et ne pas se laisser mourir de solitude” (Les Petits frères de pauvres, 8 avril). Enfin, le Secours populaire annonce qu’il prend “contact individuellement avec les plus fragiles, avec les personnes que nous avons déjà aidé par le passé.3 Il propose, sur rendez-vous, une mise à disposition de produits (colis alimentaires de dépannage, produits d'hygiène), assurée par des « équipes d'intervention solidaire”. Par exemple, “Le comité de Ris-Orangis prépare des colis d'urgence et appelle les familles une par une pour venir les chercher. (…) Lundi 6 avril, 50 familles ont [ainsi] pu bénéficier de la distribution alimentaire”. Cette solidarité en provoque une autre : les bénévoles du Secours populaire “ont eu l’agréable surprise de recevoir un colis contenant des produits alimentaires et d’hygiène, issu d’une collecte réalisée par les habitants du quartier Grand Bourg” (Secours Populaire, 7 avril).
Pour proposer de nouvelles observations : https://framaforms.org/appel-a-retour-dexperience-manger-au-temps-du-coronavirus-1584194374
Présentation du Bulletin n°2 | Article suivant : Les communes au cœur de l'action
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