La première semaine de confinement a été marquée par une évolution rapide des questionnements : au fil des jours, les témoignages rendent compte de priorités qui évoluent, et d’une adaptation progressive des pratiques dans les domaines de la production, de la logistique, de la distribution et de la consommation. De nouvelles questions, plus complexes et projetées dans la durée, apparaissent aussi progressivement.
A l’annonce du confinement probable en début de semaine suivante (sans surprise puisque l’Italie voisine en faisait déjà l’expérience avec quelques jours d’avance), le week-end des 14 et 15 mars a marqué l’amorce de quelques journées de ruée sur les provisions alimentaires. Le réflexe collectif de constituer des stocks pour pouvoir “tenir” reposait sur la crainte que le confinement entraîne soit une interdiction de sortir faire ses courses, soit des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement agro-alimentaire. Certains agriculteurs se sont trouvés confrontés à des choix entre leurs clients réguliers et de nouveaux arrivants, entre satisfaire la forte demande aujourd’hui au risque d’être démunis demain. Cette situation est particulièrement marquée en zone littorale et insulaires, où de nombreux résidents secondaires sont arrivés hors saison pour la durée du confinement.
La question des quantités disponibles n’est pas le principal facteur limitant affronté lors de ces premières journées de confinement : les difficultés ont plutôt porté sur la capacité de la chaîne logistique à s’adapter instantanément à cet accroissement brutal et ponctuel de la demande. Le stress, la mise sous tension des systèmes d’approvisionnement, les heures supplémentaires et le recrutement de personnel contractuel en urgence pour le transport, le stockage, la mise en rayon et la vente ont été les principales composantes de ces journées où la demande des consommateurs était démultipliée :
Rayons vidés, les gens se servent directement sur les palettes et les employés n'ont pas le temps de réapprovisionner. Ils décident de fermer le magasin, le temps de mettre en rayon.
Consommatrice d’Ille-et-VIlaine, mardi 17 mars, jour du confinement
Afin d’éviter les contaminations, d’après les témoignages recueillis, confirmés par la presse, les achats se reportent massivement sur les drives, mais rapidement ceux-ci peinent à suivre : sites internet saturés, délais de livraisons qui s’allongent jusqu’à 5 jours plus tard, craintes sur les contaminations lors des livraisons…
Ces premières heures du confinement sont aussi marquées par des réactions cherchant à limiter le gâchis alimentaire à la suite de la fermeture brutale des restaurants et des cantines, dont les stocks risquent de ne pas être consommés. De nombreuses initiatives de don ou de revente solidaire improvisées se mettent en place.
Cette première période a également suscité des craintes pour les agriculteurs dans ce contexte d’incertitude : auront-ils la possibilité de continuer à s’approvisionner en intrants si les déplacements sont restreints ? Les consommateurs viendront-ils acheter à la ferme si les marchés sont finalement interdits ? Si oui comment organiser son temps de travail pour ne pas passer tout son temps à la vente ?
Les questions qui traversent le secteur agricole et les producteurs locaux notamment s’inscrivent dans la durée, avec des interrogations d’emblée sur l’effet de la crise : Que se passera-t-il pour l’exploitation si un producteur tombe malade, il y a un risque potentiel que la production ne suive pas
(témoignage recueilli sur le terrain auprès d’un producteur, le 15 mars) à l’échelle de toute la saison, avec des effets dans la durée.
« Il y a un risque potentiel que la production ne suive pas. »
Cependant, dès le milieu de semaine (mercredi 18 mars), un calme relatif est revenu dans les commerces, qui parviennent à réapprovisionner la plupart des rayons même si certains restent vides. Entre le 17 et le 24 mars, ces premières dynamiques, si elles ne s’effacent pas, cèdent en effet la priorité à d’autres questionnements. Quels sont les gestes individuels et les mesures publiques à mettre en oeuvre pour éviter les contagions lors des achats alimentaires ? Faut-il porter masque et gants ? Faut-il et comment maintenir les distributions dans les AMAP, modifier l’organisation des marchés ? A partir du 18-20 mars, un nombre de témoignages croissant porte sur ces interrogations, sur des ajustements improvisés pour la distribution alimentaire dans ce contexte incertain. Des “bonnes idées” lancées par quelques uns de propagent : distribution de paniers pour aller plus vite, organisation des files d’attente dans les points de distribution, filtrage des clients.
L’annonce de la fermeture des marchés le 24 mars, que craignaient par avance certains contributeurs à l’enquête, ainsi que le renforcement des messages sur l’importance des gestes barrières lors des achats alimentaires, ont généré des inquiétudes et des innovations autour des solutions de vente pour les producteurs locaux. Dans certains territoires, producteurs et consommateurs se mobilisent aux côtés de leurs maires pour maintenir des marchés de plein vent.
En parallèle, les premiers jours du confinement sont marqués par le souci de veiller à l’approvisionnement alimentaires de publics fragiles ou isolés : étudiants, personnes âgées, malades…
« Noémie G. a 89 ans. Elle vit dans un petit appartement qu'elle loue -(600 euros) au centre du village (2 000 habitants). Elle a un petit reste à vivre (10 euros/jour et encore) (...) Elle est autonome (...) Son hygiène de vie repose sur de l'activité physique (marche à pied quotidienne), de la cuisine maison, incorporant des légumes frais (soupes) et des fruits frais, et des échanges sociaux (visite de sa fille qui habite le village voisin, de son petit-fils qui habite le même village, de la famille éloignée, du kiné ("généreux", il masse vraiment pendant une demi-heure). (...) Noémie vit sur son stock de produits d'épicerie et de viande congelée. Au bout d'une semaine, elle n'a plus de fruits, bientôt plus de légumes. (...) Les piliers de ce qui la maintenait sans doute en bonne forme se craquellent. Exit les visites, le formidable kiné, la bonne soupe, la bonne marche. »
Journaliste locale, 18 mars, département 06
Certains témoignages relatent des initiatives de solidarité entre voisins, ou à plus large échelle : l’action sociale publique se réorganise en urgence pour tenter dans la mesure du possible d’ajuster les modalités de l’aide alimentaire aux contraintes du confinement, ou d’organiser des portages de repas à domicile aux personnes fragiles.
Quelques personnes, ainsi que des articles de journaux, témoignent aussi de plantations alimentaires plus importantes qu’à l’accoutumée dans les potagers domestiques.
Samedi dernier, j'avais prévu de commander semences de phacélie, jachère fleurie, coquelicot et aubergines sur le site d'Agrosemens. Finalement, je n'avais pas validé ma commande. J'y retourne aujourd'hui. Le site marchand est fermé : ils se sont fait dévaliser.
Particulier, département 13
Pour proposer de nouvelles observations : https://framaforms.org/appel-a-retour-dexperience-manger-au-temps-du-coronavirus-1584194374
Edito et présentation | Article suivant : 2. La ruée vers l'alimentaire en début de crise
Comments